Germain Katanga & Mathieu Ngudjolo Chui in court
qui sommes Germain Katanga &
Mathieu Ngudjolo Chui?

Par Jennifer Easterday

Ce rapport couvre les témoignages du 27 octobre au 11 novembre 2011 au procès Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui à la Cour pénale internationale (CPI).

Après deux ans, le procès de Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo tire à sa fin. Le dernier témoin, l’accusé Mathieu Ngudjolo, a terminé son témoignage. Les dépositions des témoins ont pris fin, et les juges devront décider s’ils vont se rendre dans la région de l’Ituri en vue de recueillir des faits supplémentaires avant de se retirer pour délibérer et rendre leur jugement.

La conclusion du témoignage de Ngudjolo marque un moment historique pour la CPI. C’est le premier procès devant le tribunal où les accusés ont témoigné pour leur propre défense.

La conclusion du procès Katanga-Ngudjolo est également importante car il s’agit seulement du deuxième procès qui se conclut devant la CPI. Le procès de Thomas Lubanga, leader de l’Union des patriotes congolais (UPC), qui concernait également des crimes commis durant le conflit en Ituri en République démocratique du Congo (RDC), a pris fin plus tôt cette année.

Katanga et Ngudjolo ont à répondre de crimes de guerre et crimes contre l’humanité à la suite d’une attaque sur le village de Bogoro, de la région de l’Ituri, en RDC. Selon l’accusation, Katanga, commandant présumé du groupe armé Ngiti, la Force de résistance patriotique en Ituri (FRPI), et Mathieu Ngudjolo, chef présumé du groupe armé Lendu, le Front nationaliste et intégrationniste (FNI), ont planifié et exécuté l’attentat contre la population à dominante Hema de Bogoro. Ils rejettent tous les chefs d’accusation.

Ngudjolo a pris la barre pour témoigner pour sa propre défense après la fin du témoignage de son co-accusé, Katanga, le mois dernier. Ngudjolo a affirmé qu’il avait été infirmier et travailleur de la santé au cours de la plus grande partie du conflit, et n’a pas eu de rapports avec le FNI avant l’attaque de Bogoro. Le jour de l’attaque, le 24 février 2003, Ngudjolo a dit qu’il était à Zumbe pour aider une femme à accoucher.

Les détails de son témoignage sont décrits ci-dessous.

Interrogatoire direct

Formation médicale et formation de policier

Ngudjolo a témoigné qu’il avait reçu une formation d’infirmier-secouriste à la Croix-Rouge de 1990 à 1992. Au milieu des années 1990, il a reçu une formation de neuf mois en tant que garde civile, a-t-il ajouté. Il a plus tard poursuivi ses études à l’Institut de médecine technique de Bunia.

Il était en formation à Bunia en tant qu’infirmier, lorsque le conflit a commencé, a-t-il indiqué. Il s’est enfui de Bunia pour rejoindre son village dans le groupement Ezekere le 14 août 2002, et y a vécu jusqu’au 6 mars 2003.

Fuite de Bunia

Selon le témoin, il a quitté Bunia après la chute du gouverneur Lopondo. Le 7 août, des hommes armés sont venus chez lui, avec l’intention de l’attaquer parce qu’il était Lendu. Ngudjolo s’est enfui, et en compagnie de « Floribert » (probablement Floribert Njabu, qui fut plus tard élu président de la FNI) s’est finalement rendu chez le gouverneur et chez le Dr Adirodu (selon d’autres témoins, le Dr Adirodu était le fondateur de la FRPI).

Ngudjolo a témoigné qu’il a fui Bunia avec le gouverneur et d’autres personnes, le 8 août. Ils se sont d’abord rendus à Songolo, puis Ngudjolo est finalement allé à Zumbe.

Les origines du conflit

Ngudjolo a affirmé que les combats en Ituri ont commencé sur un litige foncier entre un homme d’ethnie Alur, M. Uguaro, et des Lendu. Les combats se sont finalement mué en conflit entre Bira et Ngiti, a-t-il ajouté, et se sont ensuite poursuivi entre Ngali et Hema. Les combats ethniques ont été aggravés par la rébellion qui était en cours, et l’utilisation des Ougandais pour intervenir dans les combats ethniques, a expliqué Ngudjolo.

La situation sécuritaire a commencé à se détériorer en 1999 avec le début de la guerre dans le nord de la RDC, selon le témoignage de Ngudjolo. Le conflit a finalement déménagé au sud. Ngudjolo a déclaré qu’en 2000, la situation était instable et a continué à se détériorer jusqu’à ce que Lopondo soit chassé de Bunia en août 2002.

Vers la fin de son interrogatoire, Ngudjolo a accusé l’UPDF (Forces de défense populaires de l’Ouganda, l’armée nationale de l’Ouganda) d’avoir été à la base du conflit ethnique entre les Lendu et les Hema. Au moment de l’attaque sur Bunia, l’UPDF et l’UPC étaient des alliés. 

Présence des Ougandais en Ituri

Ngudjolo a décrit les attaques de la région de l’Ituri qui se sont produites au début de 2001. Il a expliqué que des hélicoptères ougandais ont bombardé Zumbe le 10 janvier et des membres de l’« APC Hema » ont commis d’autres atrocités.

Selon Ngudjolo, les ougandais gouvernaient l’Ituri à l’époque. En effet, c’étaient les ougandais qui avaient fait de l’Ituri une de leurs provinces, a-t-il dit.

« L’Etat [congolais] n’existait plus », a-t-il dit. « Depuis 1998, quand la guerre en RDC a commencé, l’État n’administrait plus la partie Est de la RDC. Toute cette partie était entre les mains des ougandais, des rwandais et des gens venus du Burundi », a témoigné Ngudjolo « Et l’Ituri était entre les mains des Ougandais. »

Selon Ngudjolo, les gouvernements ougandais et congolais étaient des ennemis.

« Le gouvernement ougandais soutenait une rébellion contre le gouvernement de Kinshasa, de sorte que tous les groupes rebelles qui opéraient dans l’Est étaient pris en charge d’une part par les ougandais et de l’autre par le Rwanda contre le gouvernement de Kinshasa », a-t-il dit.

Cependant, plus tard dans son témoignage, Ngudjolo a accusé les gouvernements congolais et ougandais de collusion pour planifier l’attaque de Bogoro.

Il a accusé les ougandais du pillage des ressources naturelles de l’Ituri, y compris l’or, le bétail et le bois.

La population de l’Ituri n’était pas contente de la présence ougandaise, et c’est pourquoi il y avait la guerre, a-t-il dit. La communauté Lendu a été la première à se révolter, et plus tard même les Hema se sont révoltés selon lui.

Création du groupe d’autodéfense de Zumbe

Selon Ngudjolo, pour se protéger des ougandais, le chef de son groupement a organisé un comité d’auto-défense afin que la population puisse se défendre. La population a fait usage d’« armes blanches » pour se défendre contre les ougandais.

Ngudjolo a insisté sur le fait que le comité de jeunes créé pour l’auto-défense du village n’acceptait que des personnes âgées de « plus de 18 ans, c’est-à-dire qui ont atteint l’âge de la majorité, qui sont en bonne forme physique et capables de se battre. » Il a nié qu’il ait eu des enfants-soldats à Zumbe.

Il a également nié qu’il y ait eu des camps militaires ou des soldats à Zumbe. Comme Katanga, Ngudjolo a opéré une distinction soigneuse entre groupes locaux d’autodéfense et groupes armés politiques et militaires.

« Un civil peut être armé, mais il reste toujours un civil, même s’il est porteur d’une arme. Ce n’est pas un soldat », a dit Ngudjolo aux juges. 

Le jour de l’attaque de Bogoro

Ngudjolo a affirmé qu’il travaillait comme infirmier à Zumbe et n’était pas associé au FNI à l’époque de l’attaque de Bogoro.

Il avait mis en place le Centre de Santé de Kambutso dans sa région, a-t-il indiqué. Le jour de l’attaque de Bogoro, le 24 février 2003, il était au centre de santé en train d’aider une femme à accoucher, selon son témoignage. Il est arrivé au centre de santé à 5:00 du matin et est resté jusqu’à tard dans la soirée. Il a bien entendu des tirs en provenance de Bogoro, mais ne savait pas ce qui se passait.

Le FNI et le FRPI 

Selon Ngudjolo, le FNI n’était pas présent dans le groupement Ezekere au moment de l’attaque de Bogoro. Il a affirmé qu’il n’a entendu parler du FNI que le 18 mars 2003, jour où il a rencontré Floribert Njabu, président du FNI. Ngudjolo a déclaré que Njabu lui a demandé de s’impliquer dans l’organisation. Le 22 mars 2003, il a été nommé chef adjoint en charge des opérations du FNI. Cependant, le groupe a rapidement été intégré dans l’armée nationale, les FARDC (Forces armées de la République démocratique du Congo) à la fin du mois. Par conséquent, selon son témoignage, il n’a pas effectué d’opérations militaires.

Bien que l’Accusation allègue que le FNI et le FRPI ont conjointement planifié l’attaque de Bogoro, Ngudjolo a affirmé que le FNI et le FRPI n’ont établi une alliance qu’en mars 2003, après l’attaque.

Il a rencontré Katanga pour la première fois le 8 mars 2003, à Dele, a-t-il ajouté. Toutefois, ils n’ont jamais eu l’occasion de travailler ensemble parce que leurs groupes respectifs avaient des structures très autonomes et qu’il était difficile d’opérationnaliser l’alliance.

Contre-interrogatoire

L’Alliance FNI / FRPI

L’Accusation a également interrogé Ngudjolo sur la façon dont il a rejoint le FNI / FRPI.

Selon Ngudjolo, Floribert Njabu l’a nommé chef adjoint en charge des opérations du FNI / FRPI le 22 mars 2003. Il a affirmé que Njabu le connaissait depuis l’époque où il suivait la formation de garde civil. Ngudjolo a rejeté l’affirmation de l’Accusation selon laquelle Njabu l’a choisi, avec d’autres commandants de milices, parce que Ngudjolo était le chef des combattants du FNI dans le groupement Ezekere.

Ngudjolo a expliqué que la branche armée de l’alliance était le FRPI, qui était basé à Walendu Bindi. La direction de l’aile armée du FRPI était basée à Beni, a-t-il ajouté. Toutefois, Ngudjolo a dit qu’il ne pouvait pas commenter sur la façon dont cette structure fonctionnait car l’Alliance a été rapidement intégrée dans les forces armées nationales.

Bien que certains membres du groupe d’auto-défense du Groupement d’Ezekere aient été intégrés dans l’alliance FNI / FRPI, certains sont restés avec leur groupe, a expliqué Ngudjolo.

Rapports avec le Dr Adirodu

L’accusation a également interrogé Ngudjolo sur ses rapports avec le Dr Adirodu. Ngudjolo avait témoigné qu’après l’attaque de sa maison à Bunia, il s’est enfui à la maison du docteur Adirodu avant de quitter Bunia. Ngudjolo a expliqué en contre-interrogatoire que le Dr Adirodu était le médecin-chef de Bunia, et membre du RCD-K/ML (Rassemblement Congolais pour la Démocratie – Mouvement de Libération). Toutefois, Ngudjolo a soutenu qu’il n’a jamais parlé de la situation politique en Ituri avec Adirodu.

Aucun intérêt à attaquer Bogoro

Parlant de l’attaque de Bogoro, Ngudjolo a affirmé que les gens de son groupement n’ont pas participé à l’attaque parce que Bogoro ne présentait aucun intérêt pour eux. Ils s’intéressaient plutôt à Bunia à cause des approvisionnements et des relations d’affaires, ce qui signifie que le groupe d’auto-défense de Zumbe n’avait aucune motivation pour attaquer Bogoro.

Les enfants-soldats et les crimes commis pendant l’attaque de Bogoro

Lors du contre-interrogatoire, Ngudjolo a nié qu’il y ait eu des groupes armés dans le groupement d’Ezekere. Il a également nié avoir utilisé des enfants soldats et a allégué que ce phénomène a été importé en RDC par Joseph Kabila. L’Accusation a montré à Ngudjolo la photo d’un enfant tenant une arme, alléguant qu’elle a été prise en présence de Ngudjolo. Il a déclaré ne pas reconnaitre la photo, et a protesté qu’il ne devrait pas être condamné sur la base d’une photographie qu’il ne reconnaissait pas.

Ngudjolo a également témoigné qu’il n’avait jamais assisté à un viol ou une agression sexuelle pendant le conflit.

Le rôle de Ngudjolo dans le FNI / FRPI

L’accusation a projeté une vidéo dans laquelle Ngudjolo parle de son rôle comme agent de liaison avec les civils à Bunia. Ngudjolo a déclaré qu’il est allé à Bogoro pour s’occuper du problème des otages et transmettre l’ordre du général de permettre un libre accès aux véhicules et de cesser d’arrêter des gens.

Accord de cessation des hostilités

Ngudjolo avait témoigné lors de son interrogatoire qu’il avait signé un accord de cessation des hostilités en tant que « représentant du peuple Lendu. » Il a témoigné qu’il avait signé le jour même où il a rejoint l’alliance FNI / FRPI, le 18 mars 2003, mais avant sa nomination comme colonel (qui selon son témoignage, a eu lieu le 22 mars 2003). Il a signé simplement parce qu’il n’y avait personne d’autre pour représenter la communauté Lendu, a-t-il indiqué. Plus tard, il a déclaré avoir signé à la place du chef Manu.

Les représentants légaux des victimes

Le représentant légal des enfants-soldats victimes a demandé quelle était la définition d’« enfant-soldat », selon Ngudjolo.

Réponse de Ngudjolo : « Un enfant qui a moins de 18 ans qui est enrôlé dans une force armée, qui porte une arme et qui est devenu un soldat ».

Le représentant légal a tenté de clarifier le sens, suggérant que les enfants soldats étaient ceux qui avaient moins de 15 ans et qui étaient membres d’une force armée, qu’ils aient ou non porté une arme.

Ngudjolo a maintenu sa distinction fondamentale entre civils et militaires, affirmant que pour être un soldat, on doit recevoir une formation militaire. Un civil qui n’a pas reçu de formation mais qui porte une arme est toujours un civil, a-t-il dit.

« Même un enfant âgé de moins de 15 ans qui porte une arme, mais qui n’a pas reçu une formation militaire est un enfant civil, mais qui est porteur d’une arme », a témoigné Ngudjolo.

Ngudjolo a de nouveau nié qu’il y ait eu des enfants-soldats à Zumbe.

Le représentant légal des enfants-soldats a demandé si Ngudjolo a vu un groupe armé, soit milice ou groupe d’auto-défense, avec des enfants qui avaient de toute évidence moins de 15 ans. Ngudjolo a répondu qu’il y avait un problème de perception, étant donné que nombreux groupes ethniques ont des gens qui sont de plus petite taille que les autres groupes ethniques. Il a admis que bien qu’on puisse souvent dire si une personne était d’âge mineur, on ne pouvait déterminer son âge exact qu’en parlant aux parents de la personne.

Selon un rapport de la MONUC présenté par le représentant légal des victimes, le FNI / FRPI formait des enfants-soldats, et Zumbe était un site de formation régulier. Ngudjolo a catégoriquement nié cela. Il a dit qu’il n’y avait aucun centre de formation dans le groupement Ezekere. Toutefois, il a témoigné qu’à Ezekere, il y avait des jeunes qui avaient des armes et le chef Manu les a amenés au centre de démobilisation.

Le représentant légal des victimes de l’attaque de Bogoro a interrogé Ngudjolo sur le fait qu’il avait affirmé que les gens du groupement Ezekere n’avaient aucun intérêt à attaquer Bogoro. Ngudjolo a témoigné qu’il n’y avait aucun lien entre les gens de son groupement et Bogoro, et a soutenu qu’il n’y avait aucun motif pour attaquer le village. 

Questions posées par les juges 

Le juge président a commencé par demander à Ngudjolo de clarifier son témoignage au sujet du conflit ethnique en Ituri. Ngudjolo a témoigné que bien qu’il y ait eu des conflits fonciers, qui ont poussé le gouvernement de la RDC à Kinshasa à intervenir, le peuple Hema et les Lendu avaient vécu en paix et en harmonie depuis de nombreuses années.

Le juge a également demandé si Bahati de Zumbe, un infirmier, ou tout autre infirmier ou le personnel médical, appartenait à un groupe d’auto-défense. Ngudjolo a répondu qu’à Zumbe, Bahati de Zumbe n’était pas un membre du groupe d’auto-défense. Il a dit que pour les autres agents de santé, il aurait été difficile d’être membre du groupe d’auto-défense, car il y avait tellement d’activités médicales en cours.

Ngudjolo a reconnu avoir formé certains membres des groupes d’auto-défense pour fournir un traitement médical de base en cas de blessures lors des combats.

Le juge président a interrogé Ngudjolo sur le rôle exact de l’Ouganda dans la planification de l’attaque de Bogoro. Ngudjolo a indiqué qu’il avait appris que les présidents ougandais et congolais se sont rencontrés et ont conclu un accord pour rétablir la paix en Ituri. C’est pourquoi les ougandais ont été impliqués dans l’attaque de Bogoro, a soutenu Ngudjolo.

« S’il n’y avait pas eu d’accord entre les deux parties, le gouvernement de Kinshasa ne serait pas venu à Bogoro et ne se serait pas impliqué dans la bataille », car à cette époque de l’UPC et l’UPDF ne s’entendaient plus, a-t-il ajouté.

Ngudjolo a également fourni des précisions exactes sur le contenu de sa formation de garde civil. Il a été formé en tant que policier, dans l’utilisation des armes légères (y compris l’AK-47), des bombes lacrymogènes, et dans les règlements militaires. C’était une formation standard de policier, a-t-il dit.

Les juges ont également interrogé Ngudjolo sur sa nomination dans le FNI / FRPI. En particulier, le juge a demandé à Ngudjolo pourquoi, selon lui, Njabu, le président du FNI, l’a nommé chef d’état-major chargé des opérations, et non de l’administration, s’il avait été un professionnel de la santé. Ngudjolo a expliqué qu’en raison de sa formation de garde civil, il connaissait les structures militaires et pouvait ainsi aider Njabu.


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