Germain Katanga & Mathieu Ngudjolo Chui in court
qui sommes Germain Katanga &
Mathieu Ngudjolo Chui?

Par Olivia Bueno

Chers lecteurs – Veuillez trouver ci-dessous un commentaire écrit par Olivia Bueno d’ International Refugee Rights Initiative (IRRI) en consultation avec des militants congolais. Les vues et opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions d’International Refugee Rights Initiative ni celles d’Open Society Justice Initiative.

Le 18 décembre 2012, les stations de radio locales, la chaine de télévision France 24 (voir la revue de presse de l’IRRI) et la section de sensibilisation de la Cour pénale internationale (CPI) ont annoncé le second verdict de la CPI à la population de l’Ituri : Mathieu Ngudjolo Chui avait été acquitté de crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Comme indiqué sur http://french.katangatrial.org, la décision reposait sur le fait que l’Accusation n’avait pas prouvé le contrôle effectif qu’aurait exercé Ngudjolo sur les milices Lendu et Ngiti qui avaient mené une attaque du village de Bogoro, ce qui constituait l’objet des accusations (pour lire l’article, cliquez ici). Comme on pouvait s’y attendre, les réactions au verdict Ngudjolo ont été partagées. Dans les communautés Lendu et Ngiti, on a constaté de la satisfaction – et même des célébrations. Dans la communauté Hema, la déception, c’est la frustration et la colère. Pour les victimes, dont la plupart sont des Hema, elles ont été déçues que Ngudjolo n’ait pas été forcé de rendre compte.

On se pose aussi la question de savoir ce que ce verdict signifie pour l’avenir de la CPI in Ituri. Est-ce que le verdict va encore plus ternir la réputation déjà problématique de la cour? Va-t-il contribuer à l’aggravation des tensions entre communautés Hema et Lendu?

Satisfaction dans la communauté Lendu / Ngiti

Les militants sur le terrain ont qualifié de joyeuse la réaction à la décision dans les quartiers sud de la ville de Bunia, qui ont une population majoritairement Lendu. Un employé du gouvernement a déclaré que la communauté de Ngudjolo était « à l’aise … en bref, ils sont sortis victorieux devant la CPI. » Un dirigeant de la communauté Lendu a dit: « Je suis heureux et joyeux … pour moi le monsieur reste innocent jusqu’à ce jour. Dieu merci, la CPI et la justice internationale ont prouvé cette innocence. « Un autre Lendu respecté dans la communauté, intervenant sur une radio locale, dans les jours qui ont suivi la décision a exprimé sa satisfaction que le chef de milice ait eu gain de cause, en ajoutant que Ngudjolo aurait continué avec son travail d’infirmier à Zumbe s’il n’y avait pas eu le besoin urgent de défendre sa communauté.

 Déception chez les Hema

L’ambiance dans le quartier Mudzipela de Bunia connu comme étant une zone surtout Hema a toutefois été faite de déception, de colère et d’indignation. Il y a eu peu de déclarations publiques, mais en privé, il y a eu beaucoup de critiques. Certains ont accusé le Bureau du Procureur de traiter les affaires en Ituri avec légèreté et avec une incompétence notoire. D’autres ont vu une injustice: « On ne peut pas condamner les gens qui n’ont pas de sang sur les mains comme Thomas Lubanga et laisser quelqu’un comme Ngudjolo en liberté, alors qu’il a tué beaucoup les gens de ses propres mains. » Selon un autre chef Hema: « Ma communauté est en colère parce que nous n’avons pas été respectés. Je ne suis pas contre le verdict … mais personne ne peut ignorer ce qui s’est passé en Ituri. Des gens ont été massacrés, mais aujourd’hui vous voulez soutenir le contraire? Je pense que parfois il est nécessaire de montrer un sens de la responsabilité. »

Certains ont contesté la décision de l’Accusation de se concentrer si fortement sur Bogoro. Selon un membre notable de la communauté Hema : « Tout le monde a vu Mathieu Ngudjolo diriger les opérations à Bunia, du 6 au 12 mai 2003, au cours desquelles plus de 200 civils ont été tués et de nombreux foyers Hema ont été pillés et incendiés … pourquoi le procureur a-t-il refusé d’engager des poursuites sur la base de tous ces faits qui sont si évidents? »

Les réactions des victimes

La chambre de première instance a dans la décision sur Ngudjolo fait des efforts pour se montrer sensible aux victimes, en soulignant dans son jugement que l’acquittement n’était pas dû à un doute quelconque que la population de Bogoro avait souffert, mais plutôt à l’incertitude au sujet du rôle de Ngudjolo. Cependant, les victimes avec lesquelles travaille l’organisation des droits de l’homme Justice Plus semblaient avoir perdu tout espoir. Beaucoup ont exprimé la crainte de voir Ngudjolo revenir en triomphe en Ituri. Une autre ONG des droits de l’homme, la Ligue pour la Paix, les Droits de l’Homme et la Justice (LIPADHOJ) a noté que la communauté des victimes étaient « très déçue » et qu’il y avait un danger que les expressions de « joie » de la part de la communauté Lendu pourraient être considérées comme « une provocation ou comme une marque d’injustice, ce qui n’est pas favorable à la réconciliation des communautés. » Un avocat Hema a averti que le verdict pourrait « renforcer la frustration » des victimes et encourager la communauté à se faire justice elle-même. Toutes les victimes n’étaient pas découragées. L’une des victimes interrogées par Justice Plus a exprimé l’espoir d’une condamnation dans l’affaire Katanga.

Un bon processus avec un mauvais résultat?

Pour certains, la décision du tribunal est appropriée – même si elle est décevante. Selon un avocat de Bunia, « Cette décision est juste, mais elle favorise l’impunité. » Certains ont exprimé leur compréhension du processus à cause de la protection des droits dont a bénéficié Ngudjolo. Un leader de la communauté Zande a déclaré : « Si je comprends bien, le tribunal a fait son travail et montré qu’il ne peut pas prendre les choses à la légère et que le sérieux doit toujours être placé au-dessus de tout. » Un journaliste indépendant et représentant des jeunes à Bunia a également qualifié la décision de « justifiée », disant qu’il « démontre l’indépendance des juges de la CPI vis-à-vis du procureur, et montre la neutralité et la crédibilité de la cour. En bref, c’était un bon procès. » Le chef Zande précité  a émis l’hypothèse que l’impact du verdict ne serait pas significatif, car « il s’est déjà passé beaucoup de temps. »

Cependant pour d’autres, la décision reflète l’existence d’une réelle confusion en ce qui concerne la responsabilité du commandement parmi les milices à ce moment qui aurait été difficile à rejeter. Un avocat a fait remarquer que la décision du tribunal a été faite de bonne foi parce que  « nul ne peut ignorer le fait qu’à ce moment les combattants Lendu n’étaient pas bien organisés hiérarchiquement avec une structure de commandement responsable et organisée. » Cette idée a été renforcée par les ONG Justice Plus et Action citoyenne contre l’impunité (ACCI), qui ont  rappelé que la structure de commandement des milices Lendu n’était pas bien établie avant la création de la Commission de pacification de l’Ituri en avril 2003. La seule indiscipline qui avait été punie alors, selon un militant, l’était sous l’autorité morale ou mystique-spirituelle de Kakado, un sorcier.

Pour sa part, le gouvernement a refusé de porter un jugement sur le verdict. Son porte-parole, Lambert Mende a déclaré à Radio Okapi : « nous n’avons pas l’habitude de porter un jugement sur la valeur de la décision des juridictions, en particulier celles auxquelles nous participons à travers le Statut de Rome. »

Les préoccupations concernant le processus  

Alors que certains ont exprimé leur foi, d’autres suspectaient des influences politiques. Un monsieur travaillant pour l’Eglise catholique en Ituri a demandé s’il y avait d’autres motivations derrière l’acquittement: « N’est-ce pas parce qu’l’historiquement, il a travaillé de connivence avec le président Kabila? »

D’autres ont blâmé le manque de professionnalisme de la section des enquêtes du tribunal. Un journaliste a indiqué qu’il considérait que c’était l’ancien procureur, Luis Moreno-Ocampo qui devait être invité à justifier l’absence de condamnation, et non pas les Chambres. Selon un intellectuel Hema : « Il est grand temps que les dirigeants de la cour démissionnent avant les procès suivants. Ils pourraient ainsi sauver des vies humaines et éviter le pire » Un défenseur des droits humains a fait la réflexion suivante : « Le tribunal manque à sa mission première en Ituri en raison de l’incompétence du procureur, qui n’a pas voulu écouter les gens quand ils ont voulu lui parler. « Un homme qui a été interviewé pour cet article a déclaré : « Les enquêtes n’ont pas été bien faites. Au lieu de considérer toutes les violations commises … la CPI a choisi de ne considérer que le massacre d’un seul jour à Bogoro … et le verdict est ce qu’il y a de pire. » Justice Plus a affirmé que la décision a envoyé un mauvais signal pour la lutte contre l’impunité, et la LIPADHOJ a déclaré que l’échec de l’Accusation à apporter des preuves concluantes dans cette affaire « soulève une certaine inquiétude à propos d’autres affaires devant le tribunal. » Ils ont fait remarquer que l’affaire impliquant un seul massacre en une seule journée est relativement simple par rapport à d’autres questions portées devant la CPI et ils ont émis l’espoir « qu’à l’avenir, on ne pourra pas reprocher au travail du Bureau du Procureur la même légèreté »

Regain de tensions entre les communautés?

Un certain nombre de personnes interrogées ont exprimé la crainte que le verdict puisse aggraver les tensions entre les communautés Hema et Lendu / Ngiti. Selon un militant des droits humains : « Au lieu de la réconciliation, le tribunal risque de nous faire revivre la guerre ici avec ses décisions. » La Coalition de la RDC pour la CPI a exprimé la crainte « que le verdict pourrait être manipulé et mettre en danger la paix en Ituri, nous demandons donc au procureur de la CPI de continuer à enquêter sur les faits et les preuves dans le but de restaurer la confiance dans l’efficacité de la Cour dans la lutte contre l’impunité pour les crimes internationaux. » Un jeune militant de la région d’Aru a indiqué que « l’impact de la décision sur la société est négatif et provoque la division, la haine et la guerre tribale … le verdict est mauvais … personne ne peut ignorer le fait que Thomas Lubanga, Mathieu Ngudjolo et Germain Katanga étaient tous des chefs de guerre qui ont causé de nombreux morts. » Un militant des droits humains a averti que  « la communauté Hema a très mal reçu cet acquittement …est-ce que le gouvernement et la communauté internationale peuvent être en état d’alerte maximum afin que le pire ne se produise pas suite à cet acquittement. » La sensibilité à l’accroissement des tensions ethniques se manifeste par la réticence à s’exprimer de certains groupes. Par exemple ceux qui conduisent des entrevues pour ce blog ont indiqué que 90 pour cent des chefs de la communauté Lendu ont refusé de répondre aux questions. En outre, il n’y a eu aucune déclaration officielle de la communauté Hema ou du parti politique associé à Thomas Lubanga.

La voie à suivre?

Certaines des personnes interrogées ont souligné la nécessité de trouver ceux qui sont responsables des crimes qui ont été commis en Ituri. En effet, certains ont suggéré qu’il fallait que des condamnations précèdent l’acquittement. Selon un politologue: « Nous avons constaté un certain manque de sagesse de la part de la CPI … le tribunal aurait dû commencer par condamner les auteurs de ces crimes [de Bogoro] avant de relâcher ceux qui sont innocents. » Un jeune militant de la région d’Aru est d’accord « Elle [la CPI] aurait du arrêter les vrais auteurs qui ont commis des crimes contre la population de Bogoro avant de relâcher Mathieu Ngudjolo. » Le politologue a défié la CPI de faire plus : « Si Ngudjolo n’est pas l’auteur les massacres de Bogoro, alors qui est responsable? Si la CPI ne peut nous indiquer ceux qui sont responsables, ils risquent … la perte de crédibilité de la Cour aux yeux des Ituriens … [ou] le renforcement des frustrations des victimes. »

D’autres ont soutenu que des poursuites supplémentaires pourraient apaiser les tensions. Un employé du gouvernement a déclaré: « La CPI doit faire tout son possible pour arrêter les autres qui sont encore actifs sur le terrain et dont la présence pourrait à tout moment faire renaître l’insécurité. » Une préoccupation particulière chez ceux qui appellent des poursuites supplémentaires concernait une exploration la reddition de comptes en ce qui concerne le gouvernement. Un instituteur a déclaré : « Je pense que la libération de Ngudjolo est une bonne chose parce qu’il est innocent. C’est Kabila qui a armé ces gens, c’est lui qui a donné des armes à ces gens. Il n’est pas nécessaire de chercher plus loin, et si une condamnation est nécessaire, c’est Kabila qui doit être condamné parce que c’est lui qui est directement responsable de ce massacre. » Un militant local des droits de l’homme a noté que des efforts supplémentaires en matière de justice devraient « commencer par arrêter tous les gros poissons pour barrer la route à l’impunité. »

Certains s’attendaient à ce que la CPI et non pas le gouvernement congolais s’occupent des poursuites futures. Dans une déclaration rendue publique le 18 décembre 2012, l’ACCI a invité les autorités congolaises à activer des mécanismes complémentaires pour poursuivre les crimes commis par Ngudjolo au niveau national. En particulier, ils ont attiré l’attention sur le massacre commis en mai 2003 à Bunia. La LIPADHOJ a appelé le gouvernement à adopter une loi d’application du Statut de Rome au niveau national pour aider d’autres enquêtes. Il est à noter, cependant, que le gouvernement peut avoir à faire face à ses propres difficultés. Selon un militant, Ngudjolo a été arrêté et jugé en 2003 par le Tribunal de Grande Instance de Bunia pour l’enlèvement et assassinat d’un Hema, qui était un cadre de l’Union des patriotes congolais (UPC), parti politique de Thomas Lubanga. Il a ensuite été acquitté.

Une autre question c’est ce qui va arriver à Ngudjolo lui-même. Il est actuellement aux Pays-Bas après sa libération de détention à la CPI en attendant la levée de l’interdiction de voyage de l’ONU pour pouvoir se rendre en RDC. Un avocat Hema s’est dit préoccupé par cette perspective: « Mon souhait est qu’ils l’envoient dans un autre pays, ou au moins une autre province. » Interrogé sur la perspective du retour de Ngudjolo, le porte-parole du gouvernement Mende a déclaré que tous les Congolais « ont le droit à la protection de l’Etat congolais. Pourquoi des mesures spéciales seraient-elles nécessaires? »”

 


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