Cette semaine, la chambre préliminaire II de la Cour pénale internationale (CPI) a entendu les arguments concernant la peine appropriée découlant de la condamnation de Germain Katanga pour crimes de guerre et pour crimes contre l’humanité prononcée au mois de mars. Trois témoins ont été appelés et les parties et les représentants légaux des victimes ont présenté leurs arguments.
M. Katanga est l’ancien chef d’une milice armée qui s’est fait connaître sous le nom de Force de Résistance Patriotique en Ituri (FRPI). Il a été accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité perpétrés lors d’une attaque de la ville de Bogoro située dans la région d’Ituri en République démocratique du Congo (RDC).
L’attaque visait une milice rivale, l’Union des patriotes congolais (UPC) ainsi que la population civile majoritairement Hema qui vivait à Bogoro. Les soldats Ngiti, dont certains étaient des enfants, avaient envahi le village lorsque la plupart des villageois étaient encore endormis. La chambre a conclu qu’ils avaient tué, violé, brûlé et pillé.
Le témoignage des témoins
Un témoin de l’accusation, le chef de groupement de Bogoro, a déclaré que la communauté de Bogoro continuait de souffrir de cette attaque. Le témoin a remarqué la présence d’orphelins qui ne pouvaient plus aller à l’école, de personnes physiquement handicapées dans la communauté et de personnes toujours traumatisées par l’attaque. Il a précisé que certaines victimes souffraient encore de blessures physiques provenant d’éclats qui étaient toujours présents dans leur corps. Le témoin a également indiqué que certains éléments de l’infrastructure qui avaient été détruits, notamment des écoles secondaires, n’avaient pas été reconstruits. Le témoin a également déclaré que les Hema et les Ngiti vivaient maintenant en harmonie à Bogoro.
La défense a également appelé deux témoins. Ces témoins ont rappelé le rôle de M. Katanga dans le processus de paix. Le premier témoin a indiqué que M. Katanga avait participé au processus de démobilisation. M. Katanga avait participé aux réunions sur la démobilisation et avait encouragé les autres combattants, dont les soldats Hema, à démobiliser Aveba, le village de M. Katanga. L’autre témoin a décrit comment M. Katanga avait contribué aux efforts pour libérer les employés d’une ONG qui avaient été arrêtés et détenus par une milice à Aveba. Le témoin, qui avait rencontré M. Katanga lors des réunions organisées par la Commission pour la paix en Ituri, a raconté aux juges que M. Katanga souhaitait que l’Ituri reste unie et que toutes les ethnies, dont les Ngiti et les Hema, vivent ensemble en paix.
Les circonstances aggravantes
L’accusation a demandé une peine totale allant de 22 à 25 ans. Le procureur a soutenu que la peine devait rendre justice aux victimes de Bogoro et constituer une dissuasion efficace pour les autres.
L’accusation a souligné que l’attaque avait débuté aux premières heures de la matinée et avait visé la population civile qui était encore endormie. L’accusation a déclaré que les civils avaient été attaqués avec des machettes et des armes à feu. L’accusation a soutenu que les civils avaient été attaqués sans aucune distinction.
L’accusation a argué que l’intervention de M. Katanga avait permis aux milices d’obtenir les ravitaillements dont elles avaient besoin pour réussir à attaquer Bogoro. Selon l’accusation, la forme de l’attaque a poussé les civils à fuir et à abandonner leurs biens. L’accusation a fait valoir que, sans la stratégie développée par M. Katanga et sans ses fournitures d’armes et de munitions, les combattants Ngiti n’auraient pas été en mesure d’attaquer avec succès Bogoro.
L’accusation a présenté les circonstances aggravantes suivantes :
- Abus de pouvoir ou de qualité officielle : Selon l’accusation, M. Katanga a abusé de son pouvoir en tant que chef des FRPI. En sa qualité de chef à Aveba, il a reçu et distribué les armes utilisées dans l’attaque. L’accusation a affirmé que, par ailleurs, ses autres actes en sa qualité de chef avaient été réalisés sans intention de se débarrasser des Hema.
- Vulnérabilité des victimes : L’accusation a souligné l’exceptionnelle vulnérabilité des victimes, notamment des femmes, des bébés et des personnes âgées.
- La cruauté particulière des crimes : L’accusation a soutenu que la nature particulièrement cruelle des crimes pourrait constituera un facteur aggravant. L’accusation a attiré l’attention, par exemple, sur le fait que les attaquants avaient encouragé les victimes à sortir de leurs cachettes avant de les tuer.
- La discrimination : L’accusation a argué que la discrimination à l’encontre des Hema devrait être considéré comme un facteur aggravant. L’accusation a affirmé que lorsque la discrimination était le fondement d’un acte commis, elle pouvait entraîner une cruauté particulière vis-à-vis des victimes.
L’accusation a affirmé que ces facteurs devraient être considérés par les juges comme un motif d’infliger une peine plus sévère à M. Katanga.
Le représentant légal des victimes a fait valoir des allégations similaires. Il s’est intéressé aux préjudices subis par la totalité de la communauté de Bogoro qui était, selon lui, un important centre d’activités commerciales qui s’était totalement appauvri après l’attaque. Le représentant légal des victimes a mis l’accent sur les trois circonstances aggravantes signalées également par l’accusation : la vulnérabilité des victimes, la cruauté des crimes et la discrimination ethnique manifestée à l’encontre des Hema.
Les circonstances atténuantes
Selon la défense, il existait de nombreuses circonstances atténuantes que la chambre devrait prendre en compte afin de diminuer de manière importante la peine de M. Katanga. La défense a souligné le fait que la chambre avait déclaré M. Katanga coupable comme complice des crimes et avait conclu qu’il n’avait pas eu l’intention directe de commettre des crimes. Selon la défense, la conclusion du rôle accessoire de M. Katanga était très différente de la théorie sur l’affaire avancée par l’accusation lors du procès (selon laquelle M. Katanga était le cerveau de l’attaque à laquelle il avait lui-même participé). La défense a soutenu que, être condamné en tant que complice garantissait une peine bien moins sévère qu’une condamnation en tant qu’auteur principal. En effet, tel que suggéré par la défense, si les faits de l’affaire avaient été connus antérieurement, il est probable que l’accusation aurait engagé des poursuites à l’encontre de M. Katanga.
La défense a également fait valoir que les juges devraient prendre en compte de manière plus large les circonstances auxquelles M. Katanga avait été confronté à l’époque. La défense a mis l’accent sur son relatif jeune âge à l’époque de l‘attaque, soit 24 ans, et le conflit en cours ainsi que la nécessité de protéger sa communauté des attaques.
Le rôle actif qu’il a joué avec sincérité dans le processus de paix a également été retenu par la défense comme une circonstance atténuante. La défense a attribué à M. Katanga le succès de la démobilisation à Walendu-Bindi. La défense a également mis en avant le témoignage de témoins qui avaient évoqué la décence dont avait fait preuve M. Katanga vis-à-vis de la population locale.
La défense a abordé la question de la charge qui pesait sur M. Katanga et sur sa famille du fait de la longueur de ce procès. La défense a déclaré aux juges que M. Katanga avait à charge six enfants (trois enfants adoptés et trois enfants biologiques) ainsi que sa femme.
La défense a fait valoir que le temps passé par M. Katanga en détention devait être décompté de sa peine. Ce temps devrait inclure les deux ans et demi de détention en RDC, pour des charges que la défense allègue être fallacieuse mais liées au procès. La défense a soutenu que, cumulés aux six ans et demi passés dans le quartier pénitentiaire de la CPI, cela signifiait qu’il devrait avoir une réduction de neuf années sur sa peine.
M. Katanga s’est également présenté à la barre Il a affirmé que, en fournissant des armes et des munitions à la milice Ngiti, il avait aidé le « chef de l’état » de la RDC à protéger la population et l’intégrité physique du pays.
« Qui suis-je pour empêcher le chef de l’état de faire son devoir envers son pays ? Nous savons tous que nous avons le droit d’assurer la sécurité de la population et l’intégrité de l’état. […] Si la majorité me déclare coupable de complicité, que fait le procureur pour présenter l’auteur principal à la justice ? », a déclaré M. Katanga.
M. Katanga s’est également adressé directement aux victimes de l’attaque. Il a indiqué qu’il connaissait la douleur de ceux qui avaient perdu des membres de leur famille et des amis et leur a témoigné sa compassion.
« Quant aux victimes trahies par ceux que nous avons aidé par le passé et qui sont devenus leurs bourreaux. Je pense à eux jour et nuit », a conclu M. Katanga.
Les juges prononceront la peine le 23 mai 2014 à 9h30.