Nous vous présentons la Chronique Katanga et Ngudjolo #6, qui à l’origine a été publiée sur le site web d’Aegis Trust. Les vues et opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions d’Open Society Justice Initiative.
« Bonjour, Monsieur le Témoin », dit David Hooper, l’avocat de la défense. « Hier, nous avons parlé des attaques précédentes qui ont eu lieu à Bogoro en 2001 et 2002 ». Le témoin 233 reprend son témoignage.
Le témoin a auparavant affirmé à la Cour que les soldats ougandais ont quitté Bogoro en août 2002. Dans la même période, le gouverneur de l’Ituri, Mulundo Lopondo, a été chassé de Bunia par l’UPC de Thomas Lubanga, le groupe de miliciens qui s’était emparé du camp militaire de l’Institut de Bogoro. Au moment de l’attaque du village de Bogoro le 24 février 2003, il n’y avait aucune présence ougandaise : « Le dernier contingent était parti juste avant l’assaut », dit le témoin. L’UPC était déjà là.
M. Hooper tient un morceau de papier. Il demande à être mis sur l’écran du témoin, alors que le gestionnaire de la Cour cherche la référence du document. « Cet élément de preuve ne doit pas être public », dit l’avocat. Ce que M. Hooper tient entre ses mains c’est une copie du bloc-notes du témoin. « Voici deux pages de votre journal montrant les trois attaques [à Bogoro] ; y a-t-il eu d’autres attaques entre 2001 et 2003? » demande M. Hooper. « J’ai noté ces attaques dans lesquelles des gens ont été tués. Ce que j’ai noté ce sont les attaques à grande échelle perpétrées à Bogoro », dit le témoin 233.
«À l’époque [à partir d’août 2002] où l’UPC occupait l’Institut de Bogoro y a-t-il eu d’autres attaques? Est-ce que l’UPC a lancé une attaque vers le sud, la région occupée par les Ngiti [groupe ethnique]? » demande M. Hooper. Le témoin 233 ne se souvient pas de tels événements. « Je ne sais rien des Ngiti. Peut-être que soldats de l’UPC qui ont attaqué les Ngiti venaient de Kasenyi, qui est plus proche de l’endroit où se trouvaient les Ngiti », déclare le témoin. Cette affirmation est démentie par l’avocat de la défense.
Les soldats de l’UPC de Thomas Lubanga sont restés à Bogoro d’août 2002 à février 2003. Ils étaient environ deux cents en tout. Avant l’attaque, une autre centaine de soldats sont arrivés au camp pour les renforcer. « Il y avait aussi des rotations », dit le témoin. L’UPC savait qu’un assaut sur le village se préparait. « Avant l’attaque, le message est venu des soldats et des femmes du marché », dit le témoin 233. « Les soldats avaient des radios Motorola et parmi eux il y en avait qui parlaient la langue Ngiti. Ils ont entendu ce message. »
Le témoin 233 connaissait personnellement Floribert Kisembo, le commandant de l’UPC. Kisembo lui avait donné un message important : « Il y aura des combats ici, il faut réunir les mamas pour évacuer les enfants. »
Donc, s’il y a déjà eu des attaques en 2001 et 2002, et si l’insécurité régnait dans le village de Bogoro, et si les gens savaient d’avance qu’il y aurait une attaque, alors, estime la défense, la plupart des gens à Bogoro s’étaient certainement déjà enfuis lorsque l’attaque du 24 février 2003 a eu lieu? « Oui, lorsque nous avons reçu l’information sur l’attaque, les habitants de Bogoro ont fui vers Kasenyi et Bunia », dit le témoin 233. La défense répond: « dans ce cas, combien de personnes étaient à Bogoro ce jour-là? » Le témoin 233 est incapable de fournir cette information.
L’équipe de défense de Katanga soulève maintenant une question controversée : à quelle distance du camp militaire de l’Institut de Bogoro se trouvait le témoin la première fois qu’il a entendu le bruit de coups de feu?
La bataille a commencé ce jour-là à quatre ou cinq heures du matin. Lorsque le témoin 233 a été réveillé par le bruit des coups de feu, il est parti. On lui avait dit qu’en cas d’attaque il devait se diriger vers le camp militaire. Mais le camp était déjà encerclé par l’ennemi. « Je suis allé dans la brousse pour trouver une cachette », dit-il. Selon le témoin, la distance qui le séparait de l’Institut de Bogoro était d’environ 1 km. La défense a fait valoir que cela semblait trop loin pour voir et faire un témoignage sur ce qui se passait dans l’Institut. Pendant un moment, le témoin semble être confus et incertain de la signification de 1 km. « S’il vous plaît, ne vous sentez pas insulté, mais un kilomètre c’est combien de mètres? » demande le juge président Cotte. « Un kilomètre est l’équivalent de cent mètres. Non, non, de mille mètres », dit le témoin 233. La Chambre sourit en signe d’empathie.
Il y a d’autres points sur lesquels les deux équipes de la défense comptent dans leurs arguments – la question des autres acteurs impliqués dans l’attaque du 24 février 2003, et la langue parlée par ces combattants pendant la bataille.
« Avez-vous vu des gens de Bira? » demande M. Hooper, se référant à un autre groupe ethnique de l’Ituri. « Les avez-vous entendu parler Bira? » M. Hooper lit un extrait de la déclaration que le témoin 233 a faite aux enquêteurs du BdP en 2007 : « À mon avis, les assaillants étaient de Bira, car ils sont venus de cette direction. De l’endroit où je me cachais, je les ai entendus parler Bira. D’autres survivants m’ont dit qu’ils avaient aussi vu des gens de Bira ».
L’équipe de défense de Mathieu Ngudjolo tient à insister sur la question de la langue aussi. Comme indiqué par le témoin dans un témoignage précédent, ceux qui ont attaqué Bogoro parlaient kilendu. Cette affirmation peut constituer une preuve de l’implication des milices Lendu-Ngiti. « Qui parle kilendu en Ituri? » demande l’avocat. « Les Lendu du Nord et les Gegere [un sous-groupe Hema] », répond le témoin. « Connaissez-vous Mbisa ou Ndo? » insiste l’avocat de la défense, « ils parlent aussi kilendu. »