Germain Katanga & Mathieu Ngudjolo Chui in court
qui sommes Germain Katanga &
Mathieu Ngudjolo Chui?

Par Taegin Stevenson

Avant que la présentation des éléments par la défense de Germain Katanga et de Mathieu Ngudjolo Chiu ne débute le 21 mars, il est utile de nous remémorer les exposés introductifs de leurs équipes présentés devant la Cour il y plus d’un an. Ils peuvent nous donner l’orientation que les équipes respectives de défense de M. Katanga et M. Ngudjolo pourraient prendre pour plaider leur innocence. Les deux accusés plaident non coupable pour l’ensemble des onze chefs d’accusation retenus à leur encontre.

L’avocat de la défense de Germain Katanga, David Hooper, a été le premier à se présenter. Mr. Hooper n’a pas nié l’existence d’une attaque sur Bogoro le jour en question, à savoir le 24 février 2003, mais a contesté les allégations selon lesquelles M. Katanga avait une responsabilité dans les crimes commis. Il a accusé les forces étrangères provenant de l’Ouganda, du Rwanda, le gouvernement central à Kinshasa et les autres milices locales, et particulièrement l’l’Union des patriotes congolais (UPC) dirigé par Thomas Lubanga. M. Hooper a également soulevé la question de l’âge de M. Katanga puisqu’il n’avait que 24 ans au moment de l’attaque de Bogoro et qu’il est le plus jeune accusé à être jugé devant une juridiction pénale internationale. C’est pourquoi M. Hooper a soutenu qu’il était fort peu probable qu’il ait pu planifier une telle attaque organisée et que, de plus, l’accusation manquait de preuves pour relier M. Katanga à cet événement.

Ensuite, l’avocat de la défense de M. Ngdujolo, Jean-Pierre Kilenda Kakengi Basila, a fait remarquer l’importance du procès dans la recherche de la vérité et dans le fait de donner un sens à la tragédie qui a eu lieu en Ituri, et a souligné la complexité des conflits. M. Kilenda a abordé la question des “zones grises” de procédure et a indiqué que pour comprendre totalement la situation en Ituri, il était non seulement nécessaire de juger conjointement les affaires Katanga et Ngudjolo mais également celle de Thomas Lubanga. Pour terminer, M. Kilenda a avancé qu’il existait de graves lacunes dans les éléments à charge contre son client et a invité les juges à procéder à un examen rigoureux des faits et des preuves présentés par l’accusation.

Les exposés introductifs de la défense sont reproduits ci-dessous. La transcription complète du 24 novembre 2009 peut être consultée à l’adresse : http://www.icc-cpi.int/NR/exeres/BB95CE30-5C9C-428B-BDD9-1B8BF127D2B8.htm.

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Me HOOPER (interprétation de lʹanglais) : Merci, Monsieur le Président.

Comme je lʹai indiqué il y a une ou deux semaines, je ne vais pas dire grand‐chose cet après‐midi. Ce nʹest pas parce quʹil nʹy a rien à dire, mais parce que le moment nʹest pas venu de le dire.

Nous assistons à lʹouverture du procès, à la présentation de la thèse de lʹAccusation, ce nʹest pas lʹouverture de la thèse de la Défense. Et il nʹappartient pas, et conservant cela à présent à lʹesprit, quʹil nʹappartient pas à Monsieur Katanga de prouver son innocence. LʹAccusation lʹa amené ici, à La Haye, lʹa fait amener de chez lui, en République démocratique du Congo et il appartient à lʹAccusation de prouver à un niveau élevé, sʹils le peuvent, sa culpabilité au‐delà de tout doute raisonnable. 

Et toutes ces charges, comme nous le savons, se rapportent à des événements qui se sont produits un seul jour, ce 1 jour est le 24 février 2003.

Les affirmations sont que Monsieur Katanga a planifié avec son coaccusé, M. Ngudjolo, une attaque contre le village de Bogoro.

Nous ne sommes pas directement concernés par des attaques ou dʹautres événements qui ont eu lieu à dʹautres dates ou en dʹautres lieux. Les charges qui nous occupent ne concernent que le village de Bogoro et il sʹagit exclusivement dʹévénements qui ont eu lieu le 24 février 2003 ; il y a eu — et ceci il nʹy a pas de doute à cet égard —, une attaque contre Bogoro ce jour‐là et des débordements ont été commis, mais nous soutenons que ces débordements nʹont pas été commis par Germain Katanga.

La Défense conteste le fait selon lequel M. Katanga serait responsable de ces débordements ou quʹil y aurait planifié lʹattaque ou quʹil y aurait participé. Nous contestons tous les moyens de preuve en sens inverse. Il appartient maintenant à lʹAccusation de prouver sa thèse, la thèse quʹils ont choisi de prouver.

Bogoro, comme nous lʹavons entendu de M. Ocampo ce matin, est un village dans… un village dʹIturi, à lʹest du Congo, à la frontière de l’Ouganda. Vous pouvez traverser ce village de Bogoro en quelques minutes. Cʹest une petite localité. Jʹai, de ce fait, été surpris quand jʹai commencé à travailler sur cette affaire et je me trouvais à Londres et jʹai consulté mon atlas du monde et jʹai été étonné dʹy trouver Bogoro. Pourquoi Bogoro y figure‐il, ce petit village ? Eh bien, Bogoro y figure pour une raison. Géographiquement, le village est dʹimportance… est de grande importance. Il indique le point qui vous permet dʹaller d’Afrique orientale vers la République démocratique du Congo. Vous traversez le lac Albert, lʹun de ces lacs qui longent la Vallée du Rift en Afrique, vous franchissez le mur de la Vallée du Rift, et en haut, dans une petite enclave, se trouve Bogoro. Cʹest la raison pour laquelle on trouve Bogoro sur les atlas et voilà quelle est son importance géographique et militaire 1 car Bogoro marque la route entre Bunia et l’Ouganda.

Bunia, nous le savons, est une ville‐clé de la province, la principale ville est une province qui, dʹailleurs, de la taille de l’Angleterre — la taille de mon pays et cʹest important.

Cette ville… Ce village pauvre de Bogoro a acquis une importance militaire durant les deux guerres du Congo, comme nous lʹavons entendu ce matin et particulièrement durant cette deuxième guerre de 1998 à 2003. Une guerre qui a fait sans doute plus de 5 millions de victimes. Certains ont dit plus de 5 millions, un nombre incroyable. Une guerre entreprise dans une large mesure parce que lʹancien président, le président Mobutu, était responsable de la dégradation de son pays du fait de sa corruption.

Nombreux sont ceux qui maintenant regardent cette époque et considèrent que cʹétait, en fait, les jours de gloire du Congo car il nʹy avait pas de guerre à lʹépoque. Et quʹils ne souffraient pas, mais cette dégradation a permis à dʹautres états tels que le Rwanda et l’Ouganda de trouver avantage et de profiter des faiblesses, de piller cet état.

Et voilà le contexte de cette affaire.

Nous savons que l’Ouganda et le Rwanda ont présenté des excuses pour avoir occupé cette région du monde et du Congo, ils lʹont fait pendant plus de 10 ans mais le pillage était la raison pour laquelle ils sʹy trouvaient.

LʹOuganda et le Rwanda ont envahi cette zone et le Kivu, au sud et dʹautres régions et ont exploité sans merci la RDC. Les Ougandais se sont installés dans cette zone ; ils avaient une base à Bogoro. En provenance de Bogoro, ils ont attaqué des personnes sans défense qui vivaient au sud du village. Il sʹagissait principalement de Ngiti, des Lendu mais qui parlent une langue assez différente de celle parlée par les Lendu, ce sont des personnes extrêmement pauvres, une communauté agraire et sans défense.

Les Ouganda (sic) les ont attaqués avec des forces 1 armées formées et lourdement armées. Ils ont même utilisé des hélicoptères. Les personnes, les occupants de la région, les populations avaient, elles, des flèches, des arcs et des lances. Elles se sont battues bravement contre les néo‐colonisateurs.

Jʹai vu des rapports écrits par des personnes qui ont servi et ceci fait référence à ce qui sʹest passé à Walendu‐Bindi en 2001, une ONG locale a fait état de quelque 2 867 civils tués ; ça, cʹest lʹéquivalent des victimes des tours jumelles à New York et 77 localités complètement détruites, ainsi que toutes les infrastructures sociales. Il en est résulté le déplacement de 40 000 civils.

La collectivité de Walendu‐Bindi, située dans la partie sud de lʹIturi nʹavait pas participé au conflit jusquʹà la fin 2001. Donc, cʹest de… en 2002 et en 2003 que la misère sʹest abattue sur cette région et tout lʹIturi, tous ses habitants sont devenus des victimes. Personne nʹa été épargné. 

Dans ce procès, nous entendons principalement la voix des victimes hema, et je ne nie pas leur souffrance, mais souvenons‐nous que cʹest une voix, un point de vue qui a été sélectionné et que nous nʹentendrons pas le point de vue des nombreuses victimes ngiti. Les forces ougandaises, les Ougandais ont armé, formé et encouragé lʹUPC à attaquer les Ngiti. LʹUPC est venue à Bogoro et a installé également un camp à Bogoro. Il disposait de 200 ou peut‐être davantage de soldats entraînés sur place, à lʹintérieur dʹun camp défendu, bien armé et cʹétait la situation lorsque le camp a été attaqué le 24 février 2003 ; le camp a été attaqué ; le camp se trouvait à Bogoro ; lʹUPC a fui ; des débordements ont été commis. 

Nous avons entendu parler dʹune population de 6 000 habitants, ce qui nʹest pas exact. À la veille de lʹattaque commise contre Bogoro, lʹessentiel de la population était partie, toutes les écoles avaient été fermées, des centaines de familles étaient parties. En deux semaines… Dans les deux semaines précédentes, lʹ1 UPC avait quitté Bunia également et cʹétait la situation, en tout cas, jusquʹau mois de mai 2003 mais même à ce moment‐là, lʹUPC était épuisée, cʹétait une force à bout. 

En quelques mois, les Ougandais à la suite des engagements quʹils avaient pris vis‐à‐vis de Kinshasa lors de la conférence de Luanda en septembre 2002 avait finalement, difficilement quitté la région, en quittant bien entendu, les mines dʹor et toutes les réserves minérales quʹils avaient pillées. Cʹest ainsi que les ambitions dʹun Ouganda, dʹun Rwanda vorace furent ainsi étouffées et petit à petit, Kinshasa a réaffirmé son pouvoir et son autorité sur cette maudite… cette province maudite à lʹest. 

Comme lʹa dit lʹAccusation ce matin, je crois que je nʹai jamais entendu mentionner par lʹAccusation le terme de « Kinshasa » ce qui est une omission étrange ; on nʹa jamais fait mention, non plus, du gouvernement central congolais, la partie détenant le plus grand intérêt dans cette affaire, le président Kabila à Kinshasa. 

Il y a deux ans, lorsque je suis venu ici pour la première fois et que jʹai rencontré Germain Katanga, jʹai été surpris… agréablement surpris de me trouver en face dʹun jeune homme affable, agréable mais ce qui mʹa le plus surpris, ça a été son âge ; il est né en avril 1988 (sic), ce qui lui donne à peu près le même âge que mon fils. Donc, cʹest assez facile pour moi que de le voir comme jeune et rappelez‐vous quʹil a passé plus de cinq ans maintenant en prison. Deux ans ici et trois ans en RDC. Lʹessentiel de sa vie adulte et les trois ans quʹil a passés en RDC, il les a passés en prison sur la base dʹallégations fabriquées de toutes pièces sur une… à cause dʹune attaque pour laquelle il nʹétait pour rien.

Mais, lorsque je parle de son âge, je veux dire quʹen février 2003, au moment de lʹattaque de Bogoro, il nʹavait que 24 ans. Ce qui fait de lui le plus jeune accusé devant une Cour pénale internationale.

Bien entendu, la jeunesse nʹempêche pas de commettre 1 de crimes, nʹempêche pas dʹêtre complice dans la perpétuation de crimes mais est‐ce que cela ne nous fait pas nous poser une question, la question de savoir pourquoi une institution telle que celle‐ci, même si elle en est à ses premiers pas, une institution qui lutte contre lʹimpunité comme on lʹa entendu de la part de lʹAccusation ce matin et nous le reconnaissons, nous pensons effectivement que ce doit être le cas, sur une toile de fond ici, de conflit armé international faisant 5 millions de morts avec lʹimplication de beaucoup dʹétats voraces que cette… quʹune institution telle que celle‐ci mette sur la sellette un homme comme celui‐ci qui nʹavait que 24 ans au moment où ce quʹon lui reproche aurait été commis et dont le rôle essentiel a consisté, finalement, à défendre son propre peuple contre dʹépouvantables débordements. Où se trouvent tous ceux qui ont infligé cela au peuple de lʹIturi ? Où se trouvent les Ougandais, les Rwandais, les manipulateurs de Kinshasa ? Maître Gilissen en a parlé ce matin. Cʹest une question importante.

Lʹautre aspect, à son âge, est ceci : en 2003, à lʹâge de 24 ans, Germain Katanga était‐il tellement habile dans lʹart de la guerre quʹil ait pu planifier une attaque réussit contre une position militaire retranchée telle que celle qui existait à Bogoro ? Cʹest plutôt surprenant si cela devait être le cas.

Alors, qui a effectué cette planification ?

LʹAccusation, bien entendu, doit aussi rechercher des éléments à décharge et jʹestime quʹil y a certains éléments qui nʹont pas été suffisamment étudiés. 

Pendant ce procès, on va beaucoup parler de lʹorganisation du FRPI. Qui a fondé le FRPI ? Comment a‐t‐il évolué ? Nous suggérons que vous accordiez une attention toute particulière à cette question parce quʹà notre avis, ce nʹest quʹaprès mars 2003 que le FRPI, qui existait à titre nominal simplement jusquʹà maintenant, a commencé à devenir organisé. Donc après la chute de Bunia, après que les Ougandais aient commencé à poursuivre lʹUPC. Personne nʹavait jamais entendu parler de 1 la FRPI avant cette date de 2003, dʹautant… et les gens avaient dʹautant moins entendu parler du FNI. 

La FRPI à notre avis, ne disposait pas de la structure supposée par lʹAccusation à ce moment‐là. Cette structure est arrivée par la suite. Germain Katanga nʹétait pas président à cette époque‐là ; il lʹest devenu plus tard ; ça nʹétait pas lʹorganisation qui a planifié Bogoro comme semble le soutenir lʹAccusation, ici. 

Bogoro a été attaqué. Et M. Katanga a été accusé dʹavoir planifié cette attaque, cʹest ce qui figure au coeur de la cause contre lui. Mais qui a planifié cette attaque ? Et la réponse à cette question extrêmement importante, nous la trouverons peut‐être en nous posant dʹautres questions et vous, Mesdames, Monsieur le juge, vous poserez ces questions pendant les semaines et les mois à venir. Qui, par exemple, a tiré bénéfice de cette attaque ? Qui a fourni les armes que les ngiti pauvres comme ils lʹétaient étaient tout à fait dans lʹimpossibilité dʹacheter ? Qui a fourni la compétence militaire nécessaire pour mener une opération militaire aussi sophistiquée que celle‐ci ? Qui était lʹétat‐major opérationnel dʹintégration qui est arrivé à Beni après lʹaccord de Sun City à la fin 2002 ? Quel rôle, si tant est quʹil y en eut un, a joué cet état‐major ? Quel était le rôle de la maison militaire à Kinshasa et ses relations avec son armée et son agence à lʹest ? Je pense que ce sont des questions sur lesquelles il nous faudrait réfléchir dans les mois et les semaines à venir.

Précédemment, jʹai dit que Germain était né en 1988, je voulais dire 1978, bien entendu vous connaissez sa date de naissance. Il est entre vos mains, vous êtes ses juges, personne dʹautre et par mon intermédiaire il peut vous dire quʹil fait confiance à votre jugement. Vous évaluerez les éléments de preuve de manière neutre et approfondie comme vous savez le faire.

Merci beaucoup.

M. LE JUGE PRÉSIDENT COTTE : La Cour vous remercie, Maître David Hooper.

La parole est à présent à la Défense de Mathieu Ngudjolo.

Est‐ce vous Maître Kilenda ? Cʹest vous. Vous avez donc la parole.

Me KILENDA : Je vous remercie Monsieur le Président.

Monsieur le Président, Honorables juges composant la Chambre de première instance II, la Défense de M. Mathieu Ngudjolo voudrait avant toute chose, sʹacquitter dʹun agréable devoir, celui de remercier votre Chambre pour lʹoccasion quʹelle lui donne de faire sa déclaration liminaire. Elle mesure toute lʹimportance que les rédacteurs des textes juridiques régissant la Cour pénale internationale attachent à cet acte. Celui‐ci offre une belle opportunité aux intervenants dʹindiquer si par les axes de leur stratégie, du moins leurs attentes relativement au procès qui débute. Il sʹagit précisément, en ce qui nous concerne, et sans entamer tout de suite nos réserves de plaidoirie finale à lʹissue de votre instruction dʹaudience, de fixer lʹopinion tant nationale congolaise quʹinternationale sur lʹinterprétation qui est celle de notre client sur la réalité de ce que toute la presse a qualifié de drame de lʹIturi et sur la manière dont lʹenquête du Procureur a été menée jusquʹici.

De ce bref point de vue, la Défense de Mathieu Ngudjolo a accueilli favorablement votre décision du 5 novembre 2009 qui a ordonné la comparution du responsable des enquêtes du Bureau du Procureur pour demain. Elle y voit, sans préjuger du fond de votre pensée, un souci dʹobjectivation des débats en vue de la manifestation de la vérité qui est lʹobjectif poursuivi par votre Chambre.

Monsieur le Président, Mesdames les juges, Monsieur le Procureur, Mesdames et Messieurs les membres du Bureau du Procureur, très chers confrères représentants légaux des victimes, très cher confrère Maître David Hooper ainsi que tous les membres de votre équipe, quelque chose sʹest passé effectivement à Bogoro le 24 février 2003.

Mathieu Ngudjolo et sa Défense ont des motifs raisonnables 1 de le croire. Ce serait faire injure à la morale, à la raison est à la décence que de le nier.

Dʹaprès lʹAccusation et les personnes admises à participer à cette procédure, ici représentées par les représentants légaux des victimes, Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo auraient scellé un pacte criminel qui aurait abouti aux massacres de près de 200 personnes dans le village de Bogoro, le 24 février 2003.

LʹAccusation a déjà obtenu leur renvoi en jugement devant cette Chambre depuis le 26 septembre 2008.

Selon les règles du jeu, elle sʹévertuera à présent à vous convaincre, du moins nous lʹespérons, au‐delà de tout doute raisonnable, de la culpabilité des accusés.

Pour leur part, les accusés nient dès le début les faits qui sont mis à leur charge, clament leur innocence et soutiennent, avec force, nʹavoir jamais entretenu de connivence criminelle de quelque nature que ce soit pour rayer le village de Bogoro de la carte. Pourquoi lʹauraient‐ils fait dʹailleurs ? Avaient‐ils réellement lʹintérêt à le faire ? Cette attitude des accusés est restée constante. Cʹest ici, nous semble‐t‐il, où la tâche des juges que vous êtes, arbitres impartiaux, devient à la fois exaltante, délicate et difficile. Il vous faut à tout prix trancher entre ces intérêts antagoniques en disant le droit, rien que le droit. Ceci vous impose préalablement à vous, tout comme à la Défense du reste qui nʹavez pas vécu les faits de cerner ceux‐ci de plus près, dʹen établir la relation exacte en vue de puiser, dans le trésor des textes juridiques fondamentaux de la Cour pénale internationale, les règles qui vous permettront de dire le droit.

Ainsi, vous comblerez les attentes de la communauté internationale qui est déterminée à combattre lʹimpunité. De la sorte, vous fixerez également notre client qui attend que justice soit faite dans le respect de lʹintégrité du droit.

Cet exercice, très compliqué il faut le dire, nous contraint au respect de certains impératifs. Le premier est celui de la recherche de la vérité 1 qui est lʹobjectif fondamental de toute procédure pénale, soucieuse à la fois du respect des droits individuels et de ceux de la société gravement perturbée par des crimes ayant blessé la conscience de lʹhumanité.

Le deuxième impératif est celui de lʹétablissement de lʹintelligibilité complète de ce que la communauté internationale qualifie de drame de lʹIturi. Cette intelligibilité doit procéder, dʹune part de la description objective, exhaustive et impartiale des réalités du contexte et, dʹautre part, de lʹidentification des causes réelles et originelles des confrontations armées qui ont eu lieu dans cette partie du territoire national congolais pendant plusieurs années.

Les populations autochtones ont, dès ce jour, les yeux rivés vers la Haye où les leurs sont jugés. Elles espèrent, elles aussi, que de ces joutes prétoriennes jaillira la vérité afin que justice leur soit rendue également. Ce nʹest que de cette manière que les plaies du passé peuvent être pansées par la justice pénale internationale dans cette phase post‐conflictuelle.

Voilà pourquoi, Monsieur le Président, Honorables juges, la Défense de Mathieu Ngudjolo saisit cette opportunité pour appeler particulièrement votre attention sur le fait que, à son estime, le drame de lʹIturi ne doit pas être réduit comme semble très souvent le faire lʹAccusation, dans toutes les affaires congolaises pendantes devant les Chambres de la Cour, au seul conflit inter‐ethnique entre les Hema et les Lendu. Par cette attitude, elle occulte son caractère multidimensionnel dans lequel lʹélément dʹextranéité est hautement prédominant.

Les représentants légaux des victimes, dans leurs déclarations liminaires en juillet 2008, avaient tant insisté sur la dimension internationale du conflit en donnant de sérieuses indications quant à ce. La prise en compte de cette réalité aurait pu orienter autrement  la politique pénale du Bureau de Procureur. 

Il nous faut nous attarder sur la complexité du drame de lʹIturi avant, lʹayant bien comprise, de relever ce que la Défense qualifie des zones dʹombre procédurales de lʹAccusation, pour enfin indiquer ses attentes et celles de son client. Point 1 ‐ de la complexité du drame de lʹIturi. 

Le conflit Hema‐Lendu puisse ses origines dans le passé précolonial. La colonisation belge au Congo viendra par la suite, exacerber les tensions entre les deux communautés par lʹoctroi gratuit dʹune supériorité raciale à ceux‐là. Elle avait, en effet, renforcé lʹidée exactement comme elle lʹavait fait au Rwanda entre Tutsi et Hutu que les Hema étaient des hommes supérieurs par rapport aux Lendu qui ne leur devaient quʹallégeance et obéissance.

Nantis de cette supériorité gratuitement octroyée par la puissance coloniale belge, les Hema se sont considérés depuis comme des êtres supérieurs qui devaient, sur leur passage, écraser les Lendu quʹils traitaient comme des sous‐hommes.

Ces idées à lʹévidence fumeuses et intrinsèquement criminogènes trouveront un écho favorable notamment à lʹUniversité catholique de Louvain en Belgique où, en 1974, la thèse de doctorat de M. Lobho Lwa‐Djugu Djugu, un sujet hema, intitulé « les Bahema du hautZaïre. Parenté et politique dans une société traditionnelle » sera honorée de la meilleure mention nonobstant des affirmations aussi criminelles quʹelle contenait. Cette thèse de doctorat qui fait toujours polémique dans certains hémicycles congolais montre toute la dimension dans une époque qui se veut pourtant civilisée du mépris quʹun peuple peut afficher impunément et ostensiblement envers lʹautre sous lʹoeil et la barbe de lʹétat. Il convient de porter à votre connaissance que deux députés nationaux sʹétaient publiquement battus au Parlement à cause des idées véhiculées par cette dissertation doctorale.

Parlant de cette thèse de doctorat, lʹassociation congolaise 1 « Médias pour la paix » qui du 10 au 11 juillet 2003 organisait à Kinshasa une table ronde pour la résolution du conflit communautaire hema‐lendu écrivait — nous citons : « Ce travail calqué sur lʹhistoire des Hutu et Tutsi du Rwanda et du Burundi développe lʹidée de la supériorité des Hema (confère page 287, thèse de LOBO, plagiat et transposition des pages 152 et 153 de Jacques Maquet pouvoir et société en Afrique, Hachette 1970) il perpétue avec 50 ans de retard la thèse controversée de vieux ethnologues occidentaux sur les inégalités des races. »

La deuxième République du Congo‐Zaïre, celle dirigée de main de fer par le maréchal Mobutu, bâtie sur le principe macabre « diviser pour mieux régner », a exploité ce conflit hema‐lendu au profit de ceux‐là. Les postes politiques administratifs et judiciaires étaient confiés aux Hema. De nombreux conflits fonciers devant les cours et tribunaux se résolvaient au grand dam des Lendu qui injustement dépossédés de leurs terres étaient désormais traqués de toutes parts. Les plaintes que ces derniers déposaient devant les autorités judiciaires ne recevaient comme seul réponse que des actions de représailles sanglantes menées par des agents dits de lʹordre corrompus, manipulés et instrumentalisés. Illustratif à cet égard le massacre de la population civile lendu bindi dans la collectivité de Walendu‐Bindi lors dʹune opération commando conduite par un colonel dépêché par le pouvoir Zaïrois en 1992.

Au parquet près le tribunal de grande instance de Matete en 2004 chargé dʹinstruire un dossier relatif à la thèse de doctorat susvisée, une magistrate congolaise en avait fait les frais. Nʹeût été sa fuite à lʹétranger, elle aurait payé sa témérité de vouloir poursuivre lʹintellectuel hema mise en cause. En 1999, lorsque la balkanisation du pays est à son comble, du fait des guerres dites de libération, ce conflit sera exploité de plus belle et prendra des proportions incommensurables. Les lendu seront systématiquement massacrés par les Hema et les Ougandais 1 tout semble désormais receler une véritable intention génocidaire. Tout est, à lʹévidence, planifié pour assurer une nette éradication de la tribu lendu. Des enfants sont recrutés, envoyés en formation militaire en Ouganda et engagée dans des hostilités pour massacrer les Lendu. Pendant ce temps, lʹétat congolais est inexistant, il est impuissant. Le Leviathan à qui les citoyens ont fait dont de leur souveraineté personnelle nʹest plus que lʹombre de lui‐même. Il ne parvient plus à assurer la sécurité collective. Tout se passait comme si les citoyens étaient encore dans lʹétat de nature, cet état de radicale imprévisibilité ou lʹhomme est un loup pour un autre. Les forces militaires ougandaises qui ont occupé le pays pendant cette période considéreront les Lendu comme leurs pires ennemis, les massacrant à souhait. LʹOuganda puissance occupante depuis 1998 est lʹallié incontestable et féroce de lʹUnion des patriotes congolais.

Certains témoins du Procureur soutiennent que les jeunes gens Hema sont recrutés par lʹUPC et envoyés en formation militaire en Ouganda. Dʹautres auraient été entraînés au Rwanda et même au pays notamment au centre de formation de Rwampara à Bunia.

Que devraient faire les Lendu pendant ce temps ? Assister impuissants à leur élimination physique, à leur extermination ? Accepter la disparition totale de leur tribu et de leur peuple ? Lʹinstinct de conservation étant naturel, cʹest à partir de ce moment que, devant lʹincapacité de lʹétat congolais dʹassurer leur sécurité collective, les Lendu vont commencer à sʹorganiser au sein de leurs familles respectives pour essayer, avec des instruments rudimentaires de repousser les attaques répétées et aveugles de lʹennemi visiblement déchaîné, mettant en oeuvre de puissant moyens militaires dont des hélicoptères de combat, des MIG 24, des chars de combats et autre artillerie lourde dont des autos blindées.

Cela sʹappelle lʹinstinct de conservation et relève de la pure légitime défense devant une action visiblement planifiée pour lʹextermination 1 de cette population lendu. Et cette organisation nʹest pas le fait de Mathieu Ngudjolo qui nʹest pas le responsable des Lendu encore moins le plus haut commandant des Lendu comme le prétend le Procureur.

Telle est la vérité historique de ce qui sʹest passé en Ituri. Les historiens sont là pour le démontrer. Il est regrettable que lʹAccusation ne ressortisse pas toujours cet aspect de la situation réelle vécue par les Lendu dans ses différentes écritures. Voilà qui explique la naissance des groupes dʹautodéfense qui nʹest quʹune réponse rationnelle à lʹincapacité et à la carence de lʹétat congolais dʹassurer la sécurité et le bien‐être de nombre de ses citoyens livrés à lʹarbitraire, à la criminalité multiforme et aux exactions dʹun pays étranger, lʹOuganda qui a occupé son territoire au vu et au su de cette même communauté internationale qui, par lʹaction du Procureur près de la Cour Pénale internationale réclame aujourdʹhui le châtiment de Mathieu Ngudjolo qui nʹa exercé aucun pouvoir décisionnaire en Ituri. 

Deux. Des zones dʹombre procédurales.

Même si, au départ, la Défense de Mathieu Ngudjolo avait été farouchement opposée à la décision de la Chambre préliminaire I du 11 février 2008 de joindre les présentes causes, se plaçant dans la vision du Procureur qui considérait que les deux accusés avaient formé une entente criminelle en vu de déloger lʹUnion des patriotes congolais de Bogoro, la logique commandait que tous les présumés protagonistes fussent juger ensemble en vue de faire lʹéconomie de la contrariété des décisions à rendre.

Le Procureur poursuit un autre congolais devant cette Cour pour enrôlement et conscription des enfants‐soldats. Il est accusé par le Procureur dʹavoir fait par la suite participer ces enfants‐soldats à des hostilités. Tout esprit lucide en vient à se demander tout de suite au bénéfice de qui et contre qui ces enfants devaient combattre ?

Il est également fait grief à Germain Katanga et 1 à Mathieu Ngudjolo notamment dʹavoir fait procéder à lʹenrôlement des enfants‐soldats et de les avoir engagés à des hostilités. Tout ceci laisse voir dans lʹesprit du Procureur que deux groupes ethniques sʹaffrontaient en Ituri.

Devant une telle éventualité, il devient difficile de comprendre le saucissonnage des affaires qui sont actuellement pendantes devant la Cour pénale internationale dans la situation en République démocratique du Congo, plus précisément dans la contrée de lʹIturi. Ces affaires mériteraient toutes un même examen conjoint de manière à en saisir les causes et les effets dans leur globalité et interactivité.

Dans cet ordre de préoccupation, votre Chambre devra avoir constamment à lʹesprit afin de mieux comprendre ce drame que les affaires aujourdʹhui pendantes devant la CPI dans la situation en République démocratique du Congo en ce qui concerne lʹIturi, ne sont en réalité quʹune. Elles auraient dû du reste, être jugées ensemble. Elles méritaient toute une jonction. Qui avait intérêt à chasser lʹUnion des patriotes congolais de Bogoro et pour quelle raison ? LʹUPC avait‐elle réellement en son sein des enfants‐soldats ? Et pourquoi faire ? Pour quelle raison plausible lʹOuganda nʹest‐il pas à la barre alors quʹil sʹétait proprio motu assigné une fallacieuse mission de pacification de lʹIturi au motif bien précis dʹy protéger les populations livrées à elles‐mêmes et de sécuriser ses frontières ? Comment comprendre que certains hommes politiques actuellement gestionnaires de lʹétat congolais dont les témoignages auraient pu éclairer la religion de votre haute juridiction pour avoir joué un rôle de premier plan notamment au sein des structures comme lʹEMOI — cʹest‐à‐dire État major opérationnel intégré ‐ nʹait jamais été entendu à ce jour alors que leur audition serait à même dʹapporter des réponses à quantité de questions qui gravitent autour de lʹaffaire de Bogoro ? Comment expliquer que le Procureur n’ait pas entendu, ne serait‐ce que comme témoins, les responsables de 1 l’APC — Armée du peuple congolais de Mbusa Nyamwisi — dont les éléments étaient présents à Bogoro avant lʹarrivée de lʹUPC et de lʹUPDF, armées ougandaises.

Quelle est finalement la politique pénale du Procureur près la Cour pénale internationale ? Les accusés actuellement à la barre de la CPI sont‐ils les responsables du massacre de Bogoro ? Lʹont‐ils réellement planifié ? Les responsabilités de cette affaire de Bogoro ne seraient‐elles pas localisées au niveau des pays étrangers en lʹoccurrence, lʹOuganda et de lʹétat congolais qui aurait eu intérêt à bouter dehors lʹennemi UPC qui aurait contrarié leurs ambitions politico‐économiques à un moment donné ? Ces questions, nous semble‐t‐il, ne doivent pas être dissociées de lʹexamen de lʹaffaire que vous jugez dès aujourdʹhui et dont les réponses vous permettront de saisir les réalités politico‐militaires et économiques de lʹIturi en proie à de graves violations des droits de lʹhomme durant plusieurs années. Les réponses à ces questions vous éclaireront également sur les véritables raisons de lʹémergence des groupes dʹautodéfense en Ituri.

En attendant dʹy revenir de façon plus approfondie en terme de plaidoiries et de conclusions, disons simplement que cʹest à la fois lʹabsence et lʹincapacité de lʹétat congolais de lʹépoque dʹassurer la sécurité collective des habitants de lʹIturi qui a justifié aussi bien la prolifération des groupes dʹautodéfense que la présence des pays étrangers en Ituri comme lʹOuganda qui y a institué un véritable gouvernement militaire dont lʹanimateur principal sʹaffiche avec insolence sur nombre des vidéos produites par le Procureur.

3. Les attentes de la Défense de Mathieu Ngudjolo Chui.

Nous abordons, Monsieur le Président, Mesdames les juges, ce procès après la décision du 26 septembre 2008 qui a confirmé dix charges à lʹencontre de notre client. Tout pourrait donc paraître perdu pour lui dont une 1 certaine opinion ne souhaite quʹune peine éliminatrice de la société. Quʹà cela ne tienne ! Mathieu Ngudjolo et sa défense abordent ce procès la conscience apaisée, mus par lʹimpératif de la recherche de la vérité.Cet apaisement résulte dʹabord de la décision confirmative des charges elle‐même dont le paragraphe 71 rappelle que cʹest à la Chambre de première instance que revient en définitif lʹévaluation des éléments de preuve grâce auxquels les charges ont été confirmées.

Cet apaisement résulte ensuite, Monsieur le Président, et honorables juges de lʹassurance que vous avez conformément aux dispositions légales données aux accusés. Dès la première conférence de mise en état du 27 novembre 2008 après avoir interrogé ces derniers sur le fait de savoir sʹils plaidaient coupable ou non coupable et à la suite de leur réponse de plaider non coupable, vous leur avez sans ambages rappeler leurs droits, ceux liés à la présomption dʹinnocence et à la légalité criminelle. Par la même occasion vous insistiez auprès du Procureur pour lui signifier quʹil avait toujours la charge de la preuve des crimes imputés aux accusés. Vous êtes même allé plus loin pour exiger de lʹAccusation de produire un tableau détaillé reprenant de façon on ne peut plus claire les charges mises à lʹencontre des accusés et tous les éléments de preuve y afférents. Votre méthode dʹapproche est symptomatique du respect de présomption dʹinnocence.

Lʹexigence au Procureur dʹun tel tableau tend, à notre humble avis, à lui rappeler respectueusement la norme dʹadministration de la preuve au niveau de lʹinstance de jugement devant la CPI. Il doit, pour vous convaincre de la responsabilité des accusés, prouver leur culpabilité au‐delà de tout doute raisonnable. Le caractère rigoureux de la norme dʹadministration de la preuve, à ce niveau de la procédure, recèle un souci du respect de la personne humaine tant cette norme est hautement protectrice des droits de lʹaccusé qui ne doit pas être exposé aux foudres 1 de la justice pénale internationale si sa culpabilité est démontrée avec doute, avec des zones dʹombre. Ce qui tend à éviter des poursuites dʹagrément devant la haute instance pénale et à convaincre même lʹaccusé que sa condamnation, si condamnation devrait être prononcée est exempte de tout arbitraire.

Or, pour lui permettre dʹaffiner sa théorie et de la faire admettre aux juges et à la communauté internationale le Procureur a recouru à des témoins qui auraient vu le corpus du plan de rasage de Bogoro de la carte et qui auraient attesté de la qualité de plus haut commandant du Front des nationalistes et intégrationnistes — FNI ‐ de Mathieu Ngudjolo. Ces témoins lʹauraient vu donner des instructions à ses autres commandants dépêchés sur le terrain tant lors de lʹélaboration du plan que lors des hostilités. Toute lʹenquête du Procureur repose sur ses prétendus témoins. Ces autres commandants qui auraient été instrumentalisés par Mathieu Ngudjolo nʹont jamais été entendus, ce qui est pour le moins curieux.

Il est étonnant également de constater, alors que lʹOuganda, à cette époque, est puissance occupante ayant massacré beaucoup de congolais durant la période conflictuelle quʹaucun officiel militaire ougandais nʹa été entendu sur lʹaffaire de Bogoro. Des témoins du Procureur affirment pourtant que lʹOuganda faisait et défaisait les alliances entre groupes politico‐militaires montés par ses soins en Ituri ; que lʹOuganda manipulait et armait ces groupes politico‐militaires ; que lʹOuganda entraînait des enfants‐soldats recrutés par lʹUPC ; que les militaires ougandais et ceux de lʹarmée du peuple congolais de Mbusa Nyamwisi étaient présents en Ituri en général et en particulier en ce qui nous concerne à Bogoro durant la période infractionnelle.

Certains témoins du Procureur affirment que les armes qui ont servi à attaquer Bogoro seraient venues de Kinshasa via Beni où se trouvaient lʹEMOI — lʹÉtat major opérationnel intégré — et le quartier général de 1 Mbusa Nyamwisi qui aurait coordonné des opérations de ravitaillement des troupes en armes et munitions.

Il est de notoriété publique que les torchons avaient toujours brûlé entre lʹUPC et le RCD/K‐ML de Mbusa Nyamwisi, lʹUPC appuyé par lʹarmée ougandaise son allié à lʹépoque, avait chassé M. Lompondo gouverneur militaire de Mbusa Nyamwisi de la ville de Bunia, le 9 août 2002. Il est aussi établi à suffisance de faits que de nombreux accords ont été conclus entre les deux groupes pour arrêter les hostilités en Ituri avant le 24 février 2003. Il en est ainsi notamment des accords de Kampala de 2002 et des accords de Dar‐es Salaam du 10 février 2003. Au cours de ceux‐ci, lʹUPC avait demandé, mais en vain, au Président congolais Joseph Kabila de retirer ses troupes de Beni et aux RCD/KML de cesser toute activité militaire en Ituri. Tous ces accords ont donc échoué et lʹAPC branche armée de RCD/K‐ML de Mbusa Nyamwisi a continué ses activités militaires en Ituri.

À un moment donné un conflit opposa lʹUPDF — Armée ougandais — à lʹUPC. Antérieurement à ce conflit, les armées ougandaise et rwandaise sʹétaient déjà affrontées à Kisangani.

Ainsi donc durant cette période, plusieurs conflits sont à épingler :

1. Conflit Rwanda‐Ouganda à Kisangani. RCD/Goma avait le soutien du Rwanda. LʹUPC avait le soutien de lʹOuganda.

2. Conflit Ouganda et UPC contre RCD/K‐ML de Mbusa Nyamwisi à partir du 9 août 2002. M. Lompondo, gouverneur militaire de Mbusa Nyamwisi est chassé de la ville de Bunia par les forces alliées — armée ougandaise — et UPC.

3. LʹUPC tourne le dos à lʹOuganda et va sʹallier à RCD/Goma du docteur Adolphe Onosumba soutenu par le Rwanda. Dʹoù énervement de lʹOuganda en janvier 2003 et conflit ouvert Ouganda contre UPC.

4. Entente entre Ouganda, Kinshasa et RCD/K‐1 ML de Mbusa Nyamwisi contre UPC.

5. Après cette entente, lʹOuganda qui avait la gestion totale de lʹIturi créé FIPI — Front de lʹintégration pour la pacification de lʹIturi — dont lʹobjectif était de déloger lʹUPC de lʹIturi puisque, semble‐t‐il, elle sʹopposait à la paix en Ituri.

Au vu de la traçabilité de cette situation hyper conflictuelle qui avait intérêt à chasser lʹUPC de Bogoro ? Au lieu de rechercher les vrais responsables de cette tragédie qui doivent se recruter au sein de lʹarmée ougandaise et parmi les hommes au pouvoir à Kinshasa, le Procureur sʹen prend à ses deux jeunes gens Katanga et Ngudjolo.

Dans ses conclusions et recommandations sur le conflit inter‐ethnique Hema‐Lendu en territoire de Djugu dans la province orientale dans son rapport du 7 décembre 1999, lʹAssociation congolaise des droits de lʹhomme — lʹASADHO ‐ demandait à court terme :

1. Quʹune enquête devrait être menée sous la responsabilité dʹune autorité neutre et crédible comme le rapporteur spécial de la commission des droits de lʹhomme des Nations Unies afin dʹétablir les responsabilités, notamment dans les rangs de la hiérarchique militaire ougandaise et des dirigeants du RCD/ML qui revendiquait le contrôle du territoire dans lequel se sont déroulés les événements déplorés.

2. Que les autorités ougandaises et RCD/ML devraient pouvoir accorder toutes les autorisations et droit dʹaccès aux organismes humanitaires tels que le comité international de la Croix‐Rouge afin dʹassister les déplacés et les blessés.

Lʹobjectif du procès qui sʹouvre ce jour est la manifestation de la vérité sur ce qui sʹétait réellement passé le 24 février 2003 à Bogoro. Cette Cour pénale est très attachée à la manifestation de la vérité. Tant ses textes fondateurs que sa pratique le prouvent. Lʹobjectif visé étant alors la manifestation de la vérité, votre Chambre va sʹescrimer à rechercher ce que la théorie du droit nomme les faits adjudicatifs (qui a fait quoi, où, quand, pourquoi et comment ?)

Lʹimportance des faits devant les juridictions internationales nʹest plus à démontrer. Quʹil suffise de lire lʹarrêt de la Cour internationale de justice du 19 décembre 2005 dans lʹaffaire République démocratique du Congo c. Ouganda, arrêt condamnant l’Ouganda pour exercice des activités militaires illégales en République démocratique du Congo. Quʹil sʹindique aussi dʹétudier lʹarrêt de cette même Cour du 25 juin 1986 dans lʹaffaire ÉtatsUnis c. Nicaragua. La valeur de la relation exacte des faits qui se sont produits à Bogoro doit être examinée à lʹaune de la norme dʹadministration de la preuve à ce niveau de la procédure, cʹest‐à‐dire au‐delà de tout doute raisonnable.

Ceci conduit la Chambre à être très regardante vis‐à‐vis des parties en ce qui concerne leurs exposés des faits et la présentation de leurs éléments de preuve. Votre Chambre doit vérifier si, en vue de la manifestation de la vérité, elle dispose de tous les éléments factuels vérifiés. Des personnes‐clés ont‐elles été entendues par lʹAccusation ? LʹAccusation nʹa‐t‐elle pas laissé de côté le témoignage de certains individus qui auraient pu apporter des éléments de réponse sur la réalité du massacre de Bogoro ?

Devant ce qui, manifestement, pourrait apparaître comme des zones dʹombre de lʹenquête, ne serait‐il pas possible de recourir à certains témoins dits « de la Cour » ?

Dit autrement, dans cette quête de la vérité, la Cour devra se poser la question fondamentale suivante : qui, précisément, avait intérêt à chasser lʹUnion des patriotes congolais de Bogoro ? Quelles fonctions exerçaient MM. Mathieu Ngudjolo et Germain Katanga à la date des faits ? Ne serait‐il pas plus logique, pour la Cour, dʹentendre les autorités ougandaises qui géraient politiquement, administrativement et militairement lʹIturi ? Les généraux ougandais, Kaleh Kayihura, sorte de gouverneur militaire de lʹIturi, Kazini, qui avait créé la province de Kibali‐Ituri par son décret du 22 juin 1999 et avait même autorisé une firme canadienne à exploiter du pétrole en Ituri, ne mériteraient‐1 ils pas dʹêtre entendus ?

Dʹaucuns ont aussi raconté quʹalliée verus domino des Ougandais, lʹUPC leur avait tourné le dos à un moment donné. Et cʹest ainsi que les Ougandais ont conclu dʹautres pactes avec lʹAPC de Mbusa Nyamwisi, actuel ministre congolais, qui avec lʹappui du gouvernement congolais dans la structure appelée EMOI aurait décidé de bouter finalement dehors lʹUPC de Bogoro, on dirait quʹun plan de délogement de lʹUPC de Bogoro aurait été échafaudé par les plus hautes autorités ougandaises et congolaises. Pour la manifestation de la vérité, ne conviendrait‐il pas dʹentendre ces autorités en vue dʹéclairer la religion de la Cour sur les tenants et les aboutissants de lʹattaque de Bogoro ? La Défense de Mathieu Ngudjolo démontrera que les accusations portées contre son client ne sont fondées ni en fait, ni en droit. Elle nʹattend pas développer lʹargument du tu quoque, Ngudjolo nʹétant nullement impliqué ni individuellement, ni par personnes interposées à lʹattaque de Bogoro du 24 février 2003. Elle ne peut sʹempêcher de souligner le caractère biaisé et inachevé des enquêtes et instructions menées par le Procureur dans cette affaire. Alors, quʹil a amassé des pièces qui démontrent lʹimplication des officiers ougandais bien nommés et bien identifiés, il est curieux et décevant de constater que le Procureur nʹa même pas cru utile de les entendre comme témoins.

Une haute juridiction comme la vôtre est en droit dʹattendre des réponses justes aux questionnements que nous venons de formuler et qui peuvent en appeler dʹautres. Ces réponses révèleront si les accusés avaient réellement concocté un plan visant à rayer Bogoro de la carte ou si les auteurs de ce plan machiavélique ne se recruteraient pas parmi les autorités ougandaises et congolaises qui étaient décisionnaires en Ituri. Ceci a toute son importance, tant sur le plan de lʹimputabilité des faits que de la définition des modes de responsabilité.

La Défense de Mathieu Ngudjolo est dʹavis, et 1 reste convaincue que la Cour pénale internationale a tous les moyens juridiques de sa politique pénale. Même les États‐Unis, qui nʹont pas encore daigné ratifier le Statut de Rome, ont foi en cette Cour. Ce 3 novembre 2009, ne les avons‐nous pas entendu réclamer de la République démocratique du Congo lʹarrestation et le transfert à La Haye de Bosco Ntanganda, cet autre acteur, directement impliqué dans les événements de lʹIturi ?

Monsieur le Président, Honorables juges, le peuple congolais, en particulier la population de lʹIturi, attend justice. Il sait que, si la CPI met en oeuvre toutes les dispositions pertinentes la régissant, cette justice lui sera rendue.

Pour répondre à cette attente légitime, votre Chambre se doit de combler… de combler tous les vides laissés par les enquêtes du Procureur et de renverser les inégalités quʹelle crée et qui sont incompatibles avec lʹobjectif principal de cette haute instance, qui est de lutter contre lʹimpunité en assurant la primauté du droit.

Au cours de lʹinstruction définitive qui sʹouvre ce jour, votre Chambre aura présent à lʹesprit le principe moteur du défaut de pertinence de la qualité officielle consacrée dans lʹarticle 27 du Statut de la CPI. Dans la recherche de lʹétablissement de la vérité au sujet des événements survenus à Bogoro le 24 février 2003, rien ne doit vous arrêter, ni les fonctions politiques actuellement exercées par certains commanditaires de ces crimes au sein du gouvernement congolais, ni les grades militaires revêtus par les officiers ougandais et congolais ayant trempé directement ou indirectement dans lʹaccomplissement de ce drame. Le peuple congolais attend la vérité. Le peuple congolais attend la justice et lʹheure, en République démocratique du Congo nʹest‐elle pas à la tolérance zéro, décrétée à juste titre par le chef de l’État, celui‐là même qui a déféré la situation en République démocratique du Congo devant votre Haute Cour ? Monsieur le Président, Mesdames les juges, jʹai dit.


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