Le présent rapport couvre la période qui s’étend du 30 mai au 10 juin 2011 au procès de Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui devant la Cour pénale internationale (ICC).
Germain Katanga, commandant présumé de la milice de la Force de résistance patriotique de l’Ituri (FRPI), et Mathieu Ngudjolo Chui, présumé ancien dirigeant de la milice du Front nationaliste et intégrationniste (FNI), sont accusés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en 2003 à Bogoro, un village de la province de l’Ituri à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC).
La défense de Katanga est presque à la fin de sa plaidoirie. Durant la période actuelle, quatre témoins ont été appelés à témoigner:
- M. Jeannot Malivo Kagaba (témoin 129)
- M. Christian Mbodjima Mbaraza (témoin 160)
- M. David Adirodu Acheli (témoin 001)
- Le témoin 148
Leur témoignage est résumé ci-dessous. Il a généralement porté sur la relation entre les différents commandants de la milice Ngiti, et il a été affirmé qu’il y avait beaucoup de méfiance et de rivalité entre eux. Ces témoins ont également discuté de l’attaque de Bogoro, et ont indiqué que c’est le commandant Yuda qui a planifié l’attaque et non pas Katanga. Selon ces témoins, Katanga n’était pas à Bogoro le jour de l’attaque.
Il n’est pas prévu que la défense de Katanga appelle beaucoup d’autres témoins. Lorsque l’équipe de défense de Katanga aura fini d’appeler des témoins, la défense de Mathieu Ngudjolo commencera à appeler les siens.
M. Jeannot Malivo Kagaba (témoin 129)
Malivo, un Lendu Bindi (Ngiti), a pris la barre pour témoigner pour la défense de Germain Katanga. Il est actuellement conseiller principal auprès du Ministre des finances et de l’économie à Kisangani. Il a témoigné qu’il n’a jamais servi dans une milice ou reçu un entraînement militaire.
Pendant l’interrogatoire direct, Malivo a déclaré avoir vécu à Bunia et ses environs pendant le conflit. Il a dit avoir vécu à Aveba de décembre 2002 à mai 2003.
Malivo dit qu’il avait rencontré Germain Katanga à son arrivée à Aveba en janvier 2003. Quand il a rencontré Katanga, on lui a dit que c’était un colonel, selon lui.
Malivo a également témoigné qu’il avait visité le camp militaire à Aveba, appelé le BCA, qui était dirigé par quelqu’un qui s’appelait M. Mbadu.
Selon le témoin, pendant qu’il était à Bunia, avant l’attaque du 5 septembre 2002 contre Nyankunde, il pouvait voir des tirs de mortier lourd à Songolo, un village voisin. Il a dit qu’il voyait des huttes en feu et a par la suite entendu dire que le camp militaire du colonel Kandro (chef militaire Ngiti) avait été attaqué et que Kandro avait pris la fuite. Malivo a témoigné qu’il avait entendu dire que l’UPC, qui était basée à Nyankunde, était responsable de l’attaque.
Toujours selon le témoignage de Malivo, par la suite, Kandro et ses hommes ont attaqué Nyankunde le 5 septembre 2002. Kandro a été tué peu de temps après, selon le témoin, par les hommes d’un autre colonel, Cobra Matata. Un autre dirigeant appelé M. Yuda a repris le commandement laissé vacant par la mort de Kandro sur les hommes de ce dernier, qui étaient appelés « la garnison », selon le témoin. Les hommes ont plus tard été transférés à Kagaba, a indiqué Malivo.
Le témoin était à Aveba au moment de l’attaque de Bogoro, le 24 février 2003. Il a témoigné avoir entendu des tirs de mortier lourds à partir de 05h00, et entendait des coups de feu quand il est sorti à 6h00. Il s’est précipité vers le centre de santé pour se servir du téléphone blanc et a essayé, sans succès, d’appeler les villages locaux pour savoir ce qui se passait. Plus tard ce matin, a ajouté Malivo, ils ont été informés par l’opérateur téléphonique de Mandre Macheche, que Bogoro avait été attaqué par la garnison basée à Kagaba. La garnison était accompagnée par Nombe et Lakpa, a-t-il dit.
Il a dit que Katanga est également venu au centre de santé ce jour-là, habillé en civil, pour savoir ce qui se passait. Le Commandant Yuda a été amené au centre de santé d’Aveba avec des blessures, et Katanga s’est précipité pour voir ce qui était arrivé à Yuda.
L’avocat de la défense de Katanga a interrogé le témoin sur un autre combattant nommé Kisoro. Malivo dit que Kisoro avait ses propres troupes et était basé à Kaswara, près d’Aveba. Kisoro terrorisait les gens qui étaient à Aveba, y compris le témoin, parce que les gens d’Aveba étaient menacés à chaque fois qu’ils passaient par Kaswara, selon Malivo. Malivo a indiqué qu’il y avait une atmosphère de méfiance entre les commandants dont aucun ne voulait être sous le commandement de l’autre. Malivo dit que Kisoro n’aimait pas Katanga, et il avait attaqué Aveba à deux reprises.
En contre-interrogatoire, Malivo a témoigné qu’il avait lu le manifeste de la FRPI, et alors qu’il était à Aveba, il avait appris que c’était un mouvement de résistance créé pour rassembler les combattants Ngiti
Il a aussi prétendu que Katanga a remplacé Kandro après la mort de ce dernier, mais seulement en théorie. Selon Malivo Katanga n’avait aucune autorité sur le Commandant Yuda, qui contrôlait les soldats de Kandro sur le terrain.
Malivo a témoigné qu’il avait vu Mathieu Ngudjolo Chui à Kinshasa. Malivo a dit qu’il avait entendu dire que Mathieu Ngudjolo était infirmier à l’hôpital général de Bunia et qu’il est devenu plus tard un soldat à Zumbe avant de rejoindre les FARDC (forces armées de la RDC).
Lors de son contre-interrogatoire, Malivo a admis qu’il avait des membres de sa famille qui avaient été dans des milices. L’un de ces parents était Philémon Manono Anyodi, qui a servi comme secrétaire privé de Germain Katanga. Manono est détenu à la prison de Makala avec d’autres personnes originaires de l’Ituri depuis mars 2005, a reconnu le témoin. Malivo a admis que Manono avait été arrêté avec Katanga, et Malivo est en contact avec Manono depuis sa détention. Le témoin a également admis que Manono l’appelle de temps en temps de la prison par téléphone portable.
Le procureur a accusé le témoin d’avoir parlé de l’affaire avec Manono. Malivo a déclaré qu’ils avaient discuté de beaucoup de choses, mais il ne se souvenait pas d’avoir discuté de l’affaire. Il a admis que Manono lui donnait des informations sur Katanga et la situation de Katanga à La Haye. Il a également reconnu avoir obtenu des informations sur l’affaire par Internet, mais a nié avoir obtenu des informations sur l’affaire alors qu’il était à Kinshasa.
L’Accusation a également allégué que le témoin mentait à la Cour afin de protéger Katanga en affirmant que ce dernier était venu au centre de santé d’Aveba pour se servir du téléphone blanc. Le témoin a confirmé qu’il y avait aussi un téléphone blanc au camp de BCA. L’accusation a demandé pourquoi Katanga était allé au centre de santé et non au camp de BCA pour se servir du téléphone blanc. Le témoin a répondu qu’il ne savait pas pourquoi, mais s’en tenait à son témoignage précédent.
M. Christian Mbodjima Mbaraza (témoin 160)
Mbodjima, un Ngiti d’Aveba, est le secrétaire particulier du Ministre provincial des finances et de l’économie en RDC.
Mbodjima a témoigné qu’il a pour la première fois rencontré Katanga à Aveba en 1998 alors qu’ils étaient tous deux étudiants. Ils vivaient très près l’un de l’autre et se rencontraient souvent, a-t-il dit.
Le témoin a décrit l’état général d’insécurité dans la région cers 2001, quand il était dans sa dernière année d’école secondaire à Gety. Il a témoigné qu’il y avait des combats entre les soldats ougandais et les combattants dirigés par le colonel Cobra, le colonel Kandro, Kisoro, et d’autres.
Mbodjima a raconté qu’en août 2002, il a rencontré les commandants et les combattants lors d’un voyage de Bunia à Aveba. Il a vu le colonel Kandro, le Colonel Cobra, Move, et Katanga. Katanga avait une arme avec lui à l’époque, a dit Mbodjima, mais il ne savait pas ce que faisait Katanga.
Comme le témoin précédent, Mbodjima également témoigné au sujet de l’attaque de Nyankunde le 5 septembre 2002, et a décrit cette attaque comme étant une vengeance du colonel Kandro pour l’attaque de Songolo. Il a dit que les deux commandants d’Aveba, Nono et Abala, ont tous les deux été tués pendant l’attaque de Nyankunde. Comme Malivo, Mbodjima dit que Kandro a été tué plus tard par le colonel Cobra.
Avant l’attaque de Bogoro, a expliqué Mbodjima, il se déplaçait souvent d’Aveba à Gety. Lors de ces visites, il rencontrait Katanga, qui avait une arme et était entouré de gardes du corps, selon le témoin. Toutefois, a indiqué Mbodjima, il ne connaissait ni la fonction militaire de Katanga ni son rang précis.
Après l’attaque de Bogoro, le témoin a rencontré Katanga à plusieurs reprises à Aveba, a-t-il dit. Cependant, il ne savait toujours pas quelle position Katanga avait dans la milice, cependant.
« Je n’ai jamais eu le courage de lui demander quel poste il occupait dans cette milice, » a dit Mbodjima. « Il ne me l’a jamais dit lui-même. »
En contre-interrogatoire, le témoin a déclaré que tous les combattants Ngiti étaient ensemble au moment de l’attaque de Nyankunde. Il a dit qu’il ne savait pas où se trouvait Katanga le jour de cette attaque.
Mbodjima a également confirmé que quand il a vu Katanga en 2002 au cours de son voyage de Bunia à Aveba, Katanga portait une arme, mais le témoin ne savait pas si Katanga était un commandant à cette époque.
Le premier témoin a pour la première fois entendu parler de la FRPI en 2004, et c’est seulement à ce moment qu’il a appris que Katanga était le président de la FRPI, a-t-il dit.
M. David Adirodu Acheli (témoin 001)
Adirodu a témoigné qu’il a fui Bunia en septembre 2002, et s’est rendu à Zumbe. Après deux semaines à Zumbe, il dit être parti avec un groupe de civils et des soldats de l’APC (Armée populaire congolaise) sous le commandement de Bahati Dezumbe. Il est allé à Nyabiri, où il a rejoint la milice de l’Ituri, a-t-il dit.
Il a témoigné qu’il a été démobilisé en 2005. Il a décrit la structure du processus de démobilisation, en expliquant qu’il y avait des enfants aussi bien que des adultes qui étaient démobilisés. Il a dit avoir travaillé comme agent de liaison dans le processus de démobilisation.
Le témoin a parlé du processus de démobilisation des enfants et du rôle des diverses ONG concernées. Quand un enfant arrivait, il trouvait le témoin et les responsables de la CONADER (Commission nationale de la RDC pour le désarmement, démobilisation et réinsertion) avant d’aller se présenter à Terre des Enfants, a indiqué Adirodu. L’enfant était alors interrogé sur le lieu d’où il venait, le groupe dont il venait, et le nom du leader de son groupe. La CONADER servait de témoin aux questions posées au témoin, a-t-il dit.
Après la première série de questions, si l’enfant ne pouvait pas donner le nom du leader, le témoin a dit qu’il le renvoyait chez lui. Adirodu également a aussi affirmé qu’il renvoyait chez eux les enfants qui disaient qu’ils n’étaient là que pour recueillir des avantages. Les enfants admissibles passaient ensuite par un traitement à Terre des Enfants, a-t-il dit. Finalement, une des autorités de démobilisation a dit au témoin de démobiliser d’autres enfants, et de laisser les enfants de la communauté, y compris les enfants-soldats de la milice, bénéficier des avantages du site de démobilisation.
Adirodu a également témoigné au sujet de son rôle dans la milice. Il a dit qu’il était secrétaire d’un certain commandant Movi (phonétique) et plus tard s’est rendu à Aveba.
En ce qui concerne les combats à Bogoro, le témoin a dit qu’une délégation est arrivée à Aveba de Beni pour voir Katanga. Ils ont dit qu’ils voulaient attaquer Bogoro et ont demandé à Katanga s’il pouvait les aider. Selon Adirodu, Katanga a répondu que Bogoro n’était pas une zone sous son contrôle, il leur a proposé d’aller voir le commandant Yuda parce Bogoro entrait dans le cadre de son territoire. Ces gens ont vu Yuda et planifié l’attaque contre Bogoro avec Yuda, selon le témoin. Adirodu dit qu’il avait entendu dire que de nombreux soldats ont été tués pendant les combats, et que Yuda était là et avait été blessé. Il a également dit que le commandant Bahati avait participé à l’attaque.
En contre-interrogatoire, l’Accusation a interrogé le témoin sur sa relation avec les membres de la famille immédiate de Katanga et d’autres témoins de la défense et a demandé si le témoin avait parlé avec eux du procès. Adirodu dit qu’il avait en fait parlé avec eux à l’occasion, mais pas du procès. Le témoin a nié avoir parlé de l’affaire avec qui que ce soit.
Adirodu a également affirmé qu’il avait entendu dire que Kandro avait conduit les Ngiti à la bataille de Nyankunde. Le témoin a dit qu’il ne savait pas s’il y avait des combattants Lendu dans cette bataille, car il n’y était pas.
Kandro a été tué par Cobra Matata après l’attaque de septembre 2002 contre Nyankunde, selon Adirodu. Katanga était censé prendre le relais de Kandro, mais il n’est devenu le chef des combattants Ngiti qu’après l’attaque de Bogoro, a prétendu le témoin.
L’Accusation a également interrogé le témoin sur sa connaissance de la situation militaire de Ngudjolo. Adirodu a répondu qu’il ne savait pas si Ngudjolo était un commandant à Zumbe, car il pensait que le commandant Bahati était le chef des combattants là-bas. Il a également dit qu’en mars 2003, après l’attaque de Bogoro, il a appris que Mathieu Ngudjolo était le chef des combattants Lendu et a été le chef d’état-major du FNI / FRPI.
Adirodu a également été interrogé par le représentant légal des enfants-soldats victimes. Il a demandé à Adirodu comment il estimait l’âge des enfants qui venaient au centre de démobilisation. Réponse du témoin : « Quand vous regardez un garçon, vous voyez son état physique et son comportement, et sur cette base que vous pouvez estimer son âge. »
Adirodu a également souligné qu’au début, le processus de démobilisation n’avait pas beaucoup de participants enfants. Il ne pouvait pas dire pourquoi le processus a d’abord été un échec et pourquoi les enfants soldats ne sont pas venus se faire démobiliser. Il a affirmé que c’est seulement après qu’ils ont décidé d’ouvrir le processus à d’autres enfants issus de foyers où il y avait des combattants que plus d’enfants sont venus.
« Je sais qu’il a été dit que les sites allaient seulement recevoir les enfants qui avaient été dans des groupes armés, et je pense que c’est la raison pour laquelle il n’y avait pas assez d’enfants », a-t-il dit. « À la fin, je n’ai pas fait de distinction entre les enfants qui avaient été dans le camp et d’autres qui ont été traumatisés. »
Le témoin 148
Ce témoin a fait sa déposition avec des mesures de protection, y compris un pseudonyme et une déformation de la voix et du visage. Une grande partie de son témoignage s’est faite à huis clos. Il a témoigné qu’il a pris part à une bataille à Tchey sous les ordres du commandant Kandro, quand Tchey a été attaqué par les Ougandais. Dans la bataille suivante, il s’agissait d’une tentative de « libérer » la région d’Aveba, où les Ougandais et les autres pillaient les médicaments de l’hôpital.
Selon le témoin, il est plus tard parti avec Kandro à Songolo, et il a décrit d’autres batailles contre les Ougandais, qui ont eu lieu dans la région.
Lorsque Lopondo a été chassé de Bunia, le témoin a déclaré qu’il était à Songolo. Le témoin a vu Lopondo quand il est arrivé à Songolo et a indiqué qu’ils se sont servis du vélo du témoin pour le transport de Lopondo dans le village. Après le départ de Lopondo, a ajouté le témoin, Songolo a été attaqué par les Ougandais, les Bira, et l’UPC (Union des patriotes congolais, une milice hema présumée dirigée par Thomas Lubanga, qui est également inculpé par la CPI).
Après l’attaque de Songolo, selon le témoin, les combattants se sont préparés pour une attaque sur Nyankunde. Il a affirmé que les commandants en charge de l’attaque sur Nyankunde ont été Kandro, Cobra Matata, et un soldat de l’APC, Fauste.
Cobra Matata a plus tard tué Kandro, a indiqué le témoin, puis attaqué les combattants de Kandro basés à Avenuma. Selon le témoin, les soldats de Kandro se sont enfuis à Kagaba, où ils sont restés sous les ordres du commandant Yuda.
Le témoin a également déclaré qu’il avait participé à l’attaque de Bogoro et a expliqué que l’attaque a été menée par un certain nombre de groupes travaillant ensemble. Yuda a ordonné la planification de l’attaque, a déclaré le témoin. Bien qu’il ait admis que des civils ont été tués pendant l’attaque, il a souligné que beaucoup d’entre eux étaient armés. Il a nié avoir vu des enfants-soldats lors de l’attaque ou des femmes violées. Il a dit qu’il n’a pas vu Katanga, le jour de l’attaque de Bogoro.
Le témoin a également déclaré que Katanga a été nommé à la tête de la FRPI, mais il ne se souvenait pas quand.
L’avocat de la défense pour Ngudjolo a également interrogé le témoin sur l’attaque de Bogoro. Le témoin a réitéré que c’était Yuda qui avait planifié l’attaque, avec son adjoint Androso Zaba Dark. Dark est resté en tant que commandant de Bogoro après l’attaque.
Lors du contre-interrogatoire, le témoin a déclaré que Kandro était le commandant suprême des combattants Ngiti.
Son contre-interrogatoire continue et fera l’objet d’un compte-rendu dans le prochain rapport.