Aujourd’hui, la Chambre d’appel de la Cour pénale internationale (CPI) a rendu sa décision concernant l’appel déposé par l’accusation de l’acquittement de Mathieu Ngudjolo Chui. En décembre 2012, la Chambre de première instance II a acquitté M. Ngudjolo des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qui auraient été commis lors d’une attaque du village de Bogoro situé dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). La majorité d’une commission de cinq juges a confirmé l’acquittement. Deux juges n’étaient pas du même avis.
Le procureur a soumis trois motifs d’appel, à savoir :
- La Chambre de première instance a commis une erreur de droit dans son application de la norme de preuve « coupable au-delà de tout doute raisonnable » ;
- La Chambre de première instance a commis une erreur de droit car elle a omis de prendre en compte tous les témoignages et faits lors de sa prise de décision ; et
- La Chambre de première instance a commis des erreurs de procédures liées au non respect des droits de l’accusation à un procès équitable.
Concernant le premier motif, la majorité de la Chambre d’appel, composée du juge Sanji Mmasenono Monageng (juge président), du juge Sang-Hyun Song et du juge Erkki Kourula, a conclu que la Chambre de première instance avait correctement appliqué la norme de preuve « coupable au-delà de tout doute raisonnable ». Pour parvenir à cette conclusion, la Chambre d’appel a évalué l’analyse de la Chambre de première instance et la manière dont elle avait examiné les éléments de preuve par rapport aux conclusions factuelles, aux évaluations de la crédibilité du témoin et aux preuves documentaires. Elle a étudié, en particulier, si la Chambre de première instance avait omis d’accorder suffisamment d’attention et de poids aux déclarations des témoins qui faisaient référence aux aveux de M. Ngudjolo selon lesquels il avait participé à l’attaque de Bogoro. La Chambre d’appel a conclu que la Chambre de première instance avait appliqué la norme « au-delà de tout doute raisonnable » de manière acceptable.
Concernant le deuxième motif, la Chambre a conclu que la Chambre de première instance n’avait pas omis de prendre en compte la totalité des éléments de preuve présentés lors de son processus de prise de décision. Les conclusions de la Chambre d’appel sur ce motif ont été également basées sur une évaluation de la prise en considération et de l’analyse des différents éléments de preuve par la Chambre de première instance. La Chambre d’appel a conclu que l’accusation n’avait pas démontré que l’interprétation des éléments de preuve par la Chambre de première instance était déraisonnable.
Enfin, concernant le troisième motif, la Chambre d’appel a déclaré que le droit à un procès équitable était un principe fondamental des procédures pénales qui s’appliquait principalement à l’accusé. Elle n’est pas en mesure de se prononcer puisqu’il s’applique à l’accusation de manière abstraite. La Chambre d’appel a examiné le troisième motif d’appel du point de vue du devoir de la Chambre de première instance de garantir que la vérité puisse être établie.
Les arguments de l’accusation concernant ce motif d’appel sont inconnus jusqu’à présent puisque la demande du procureur a été lourdement expurgée. Les arguments concernent le fait que la Chambre de première instance n’a pas rendu les enregistrements des conversations téléphoniques de M. Ngudjolo ainsi que les rapports du centre de détention totalement accessibles. Le procureur a affirmé que les enregistrements étaient importants pour déterminer si les témoins avaient été intimidés ou si leurs témoignages avaient été influencés. La Chambre d’appel a finalement conclu que la Chambre de première instance avait exercé correctement son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle avait décidé de ne donner que des versions expurgées de ces enregistrements et ces rapports à l’accusation. La majorité a expliqué que les enregistrements contenaient des informations très sensibles sur la stratégie de la défense, ce qui a justifié cette approche.
La Chambre d’appel a cependant conclu que la Chambre de première instance avait agi de façon déraisonnable lorsqu’elle avait refusé de permettre à l’accusation d’utiliser les rapports du centre de détention pour mettre en cause M. Ngudjolo et les autres témoins de la défense lors de leurs dépositions. La majorité a également conclu que la Chambre de première instance avait commis une erreur en n’accordant pas à l’accusation le droit de poser des questions fondamentales à un témoin de l’accusation pour permettre à ce témoin d’expliquer les incohérences de ses déclarations. Malgré le fait qu’elle ait pris ces décisions, la Chambre d’appel a conclu qu’il n’était pas approprié d’ordonner une révision du procès. La majorité a expliqué qu’une révision du procès était une mesure grave et que, bien que la Chambre d’appel ait conclu que la Chambre de première instance avait fait une erreur, cette erreur n’affectait pas de manière sensible la décision d’acquittement. Autrement dit, même si la Chambre de première instance avait approuvé ces demandes soumises par l’accusation, M. Ngudjolo aurait probablement été quand même acquitté. Par conséquent, selon la majorité, il n’est pas approprié que M. Ngudjolo subisse un nouveau procès.
Les juges Ekaterina Trendafilova et Cuno Tarfusser ont émis une forte opinion dissidente conjointe dans laquelle ils exprimaient leur désaccord avec les conclusions de la majorité sur les trois motifs d’appel et l’ont accusé de fermer les yeux sur les erreurs alléguées de l’accusation. Les juges dissidents ont déclaré que le jugement de la Chambre de première instance avait été affecté de manière importante par ces erreurs et que, en conséquence, un nouveau procès aurait dû être décidé.
Avec cet acquittement confirmé par la Chambre d’appel, M. Ngudjolo a quitté la salle d’audience de la CPI en homme libre. Cependant, peu de temps après, il a été arrêté par les autorités hollandaises pour qu’il soit expulsé vers la RDC. Il a été rapporté également que les avocats de M. Ngudjolo avait déposé une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme pour empêcher son expulsion en raison d’inquiétudes pour sa sécurité. M. Ngudjolo avait fait précédemment une demande d’asile aux Pays-Bas, arguant qu’il pourrait être exposé à des risques considérables (notamment la torture et la peine de mort) s’il retournait en RDC, étant donné les déclarations qu’il avait faites lors du procès impliquant le président de la RDC, Joseph Kabila, dans l’attaque de Bogoro. À l’heure actuelle, on ignore quelle en sera l’issue.
La décision intégrale de la majorité ainsi que l’opinion dissidente des juges Trendafilova et Tarfusser peuvent être consultés ici.