Entretien avec M. David Hooper, avocat de la défense de Germain Katanga. Il parle de ses vues sur la thèse du Procureur. Selon lui, l’Accusation n’a pas respecté ses obligations en matière de communication de preuves à décharge. Il a également souligné que la voix des communautés Ngiti-Lendu n’a pas été représentée au procès.
JA : Votre équipe a été récemment en RDC. Y avez-vous mené des enquêtes?
DH : Nous avons dû faire nos enquêtes nous-mêmes. Nous n’avons qu’une seule personne chargée d’enquêter pour nous, nous n’avons pas l’argent nécessaire pour engager plus d’un enquêteur. Et en fait, notre enquêteur n’est pas même un enquêteur qualifié. Il est tout simplement ce qu’on appelle une personne ressource. Mais nous devons aller voir les gens et faire notre propre évaluation. Il n’est pas qualifié pour évaluer les personnes en tant que témoins.
JA : Selon vous, est-ce que les éléments à décharge fournis par l’Accusation sont satisfaisants?
DH : Non, nous n’avons pratiquement pas reçu de preuve à décharge. Le fait même de penser que l’Accusation aller le faire n’a pas de sens.
Le Bureau du Procureur n’est même pas allé à Aveba [un village du district de l’Ituri]. Ils n’ont même pas visité Walendu Bindi, où vivent les Ngiti. Pour autant que je sache, pas un seul membre du personnel de la Division des poursuites n’y a mis les pieds. Alors, comment diable allez-vous remplir votre obligation de recherche de preuves à décharge, si vous n’allez même pas dans la zone où vivent l’accusé et ses partisans?
Le fait même de s’attendre à ce qu’un procureur le fasse constitue l’un des aspects les plus ridicules du Statut de Rome. Ils ne vont pas le faire. Ils ne l’ont pas fait. Je ne pense pas qu’il y aura jamais un cas où ils vont le faire. Les seules personnes qui vont enquêter sur l’affaire de la défense pour le défendeur sont les membres de l’équipe de défense.
JA : Quelles sont vos observations sur le dossier de l’accusation?
DH : Je crois que l’Accusation a commis sa plus grande erreur en faisant confiance à ses témoins. Ainsi, par exemple, si vous aviez un témoin qui vous dit : « J’ai été enfant-soldat et j’avais 12 ans », vous l’acceptiez. Il semble que personne n’est allé voir ses parents pour leur dire : « Quel âge a votre enfant? Et est-ce votre enfant a été enfant-soldat? » Dans l’affaire Lubanga aussi bien que dans la notre, certains des témoins ont dit menti, et c’était des mensonges faciles à découvrir. Ce que je veux dire, c’est que le procureur n’a même pas enquêté sur ses propres témoins.
JA : Donc, certaines des personnes qui vont témoigner vont contester les preuves des témoins à charge …
DH : Eh bien, nous allons appeler les parents de certains de ces témoins. Et nous allons appeler les maris de certains de ces témoins.
JA : Pourquoi ce procès a-t-il été plus rapide que celui de Lubanga?
L’affaire Lubanga a été assaillie par des problèmes causés par l’Accusation et qui ont conduit les juges à suspendre l’instance. Ainsi, la suspension de l’instance a entraîné le blocage du procès.
JA : Au cours du procès, quelle a été la participation des victimes et la position de la défense à l’égard des parties civiles?
DH : Les victimes peuvent participer pleinement sous réserve de remplir certains critères en rapport avec les faits de l’affaire. Ils ont deux conseils pour les représenter devant la Cour et ont posé des questions aux témoins et répondu aux déclarations des autres parties. Je dois dire que je ne suis pas convaincu de la nécessité de la participation des victimes telle qu’elle se fait mais voila, nous avons respecté les décisions de la Chambre pour ce qui est de la capacité de la victime à participer.
JA : Et que pensez-vous que la façon dont la voix des communautés ethniques Lendu et Hema a été représentée dans le procès à ce jour?
DH : Complètement déséquilibrée. C’est très intéressant parce que c’est l’Accusation qui a fait cette sélection.
Nous avons l’affaire Lubanga, qui couvre une question très limitée, les enfants soldats. Et je ne sais pas ce qui a été dit sur les communautés Lendu et Hema. Mais dans notre cas, les personnes qui ont été mises au banc des accusés, les accusés, sont les Lendu-Ngiti.
Inévitablement, vous allez beaucoup entendre parler de cette attaque en particulier et des choses tristes et tragiques qui sont arrivées à la population Hema ce jour-là. Mais ce dont vous n’entendez pas parler c’est des Lendu-Ngiti qui ont été tués par les Hema dans les mois précédant cette attaque. Vous n’avez pas non plus entendu parler des terribles déprédations contre les Ngiti, qui ont été attaqués par les ougandais, qui ont été attaqués par les Hema, et qui ont ensuite été plus tard attaqués par leur propre armée, l’armée de la RDC.
Le résultat, je le sais, c’est que les gens de Walendu Bindi, les Ngiti, savent encore que seule la voix d’une partie des victimes a été entendue devant cette Cour. Et c’est celle des Hema. Ils ne comprennent pas, parce qu’eux ont été attaqués par les Hema.
JA : Alors, quelles autres questions les Ngiti-Lendu ont-ils soulevées avec vous?
DH : Ils m’ont dit, pour vous donner un exemple : « Comment cela se fait que tous les gens qui sont allés témoigner sont tous revenus avec des vêtements de meilleure qualité » Mais en plus, ils disent aussi : « Pourquoi nous les Ngiti et les Lendu, il semble que nous n’avons pas la voix au chapitre? Personne ne nous a demandé de dire à la Cour tout ce qui nous est arrivé. » Et il n’y a pas de victimes Ngiti ou Lendu, pour autant que je sache, parmi les 300 victimes. Et c’est à cause des choix de l’Accusation en matière de chefs d’accusation. Et ils [les Ngiti-Lendu] en ont assez de tout cela.
Les parents des enfants soldats pensent que la CPI les a enlevés. Parce qu’ils ont été emmenés hors de la zone et n’ont pas été revus depuis. Dans la cadre de la protection des témoins, ils ont tous été envoyés à l’école, ont reçu des vêtements, un logement, peut-être certains d’entre eux ont été réinstallés en Europe.
Il s’agit d’une incitation à fournir des éléments de preuve et également un encouragement à faire un faux témoignage. Je pense que dans notre cas, il y a eu des situations où l’Accusation a été d’une certaine façon manipulé par ses témoins pour procéder à ce genre de réinstallation. Je suppose que ce que l’Accusation dit, c’est que cela n’a rien à voir avec elle, mais tout à voir avec ce que l’Unité des victimes et des témoins (UVT) en pense. Mais j’ai vu des preuves qui font penser que le procureur a mis la pression sur l’Unité pour qu’elle le fasse en faveur d’un témoin.
Judit Algueró travaille actuellement au Tribunal spécial pour le Liban. Auparavant, elle a couvert le procès Katanga / Ngudjolo Chui et le procès Lubanga pour Aegis Trust.
Questions et réponses avec David Hooper, conseil de la défense de Germain Katanga: Deuxième partie
Entretien avec M. David Hooper, avocat de la défense de Germain Katanga. Il parle de ses vues sur la thèse du Procureur. Selon lui, l’Accusation n’a pas respecté ses obligations en matière de communication de preuves à décharge. Il a également souligné que la voix des communautés Ngiti-Lendu n’a pas été représentée au procès.
JA : Votre équipe a été récemment en RDC. Y avez-vous mené des enquêtes?
DH : Nous avons dû faire nos enquêtes nous-mêmes. Nous n’avons qu’une seule personne chargée d’enquêter pour nous, nous n’avons pas l’argent nécessaire pour engager plus d’un enquêteur. Et en fait, notre enquêteur n’est pas même un enquêteur qualifié. Il est tout simplement ce qu’on appelle une personne ressource. Mais nous devons aller voir les gens et faire notre propre évaluation. Il n’est pas qualifié pour évaluer les personnes en tant que témoins.
JA : Selon vous, est-ce que les éléments à décharge fournis par l’Accusation sont satisfaisants?
DH : Non, nous n’avons pratiquement pas reçu de preuve à décharge. Le fait même de penser que l’Accusation aller le faire n’a pas de sens.
Le Bureau du Procureur n’est même pas allé à Aveba [un village du district de l’Ituri]. Ils n’ont même pas visité Walendu Bindi, où vivent les Ngiti. Pour autant que je sache, pas un seul membre du personnel de la Division des poursuites n’y a mis les pieds. Alors, comment diable allez-vous remplir votre obligation de recherche de preuves à décharge, si vous n’allez même pas dans la zone où vivent l’accusé et ses partisans?
Le fait même de s’attendre à ce qu’un procureur le fasse constitue l’un des aspects les plus ridicules du Statut de Rome. Ils ne vont pas le faire. Ils ne l’ont pas fait. Je ne pense pas qu’il y aura jamais un cas où ils vont le faire. Les seules personnes qui vont enquêter sur l’affaire de la défense pour le défendeur sont les membres de l’équipe de défense.
JA : Quelles sont vos observations sur le dossier de l’accusation?
DH : Je crois que l’Accusation a commis sa plus grande erreur en faisant confiance à ses témoins. Ainsi, par exemple, si vous aviez un témoin qui vous dit : « J’ai été enfant-soldat et j’avais 12 ans », vous l’acceptiez. Il semble que personne n’est allé voir ses parents pour leur dire : « Quel âge a votre enfant? Et est-ce votre enfant a été enfant-soldat? » Dans l’affaire Lubanga aussi bien que dans la notre, certains des témoins ont dit menti, et c’était des mensonges faciles à découvrir. Ce que je veux dire, c’est que le procureur n’a même pas enquêté sur ses propres témoins.
JA : Donc, certaines des personnes qui vont témoigner vont contester les preuves des témoins à charge …
DH : Eh bien, nous allons appeler les parents de certains de ces témoins. Et nous allons appeler les maris de certains de ces témoins.
JA : Pourquoi ce procès a-t-il été plus rapide que celui de Lubanga?
L’affaire Lubanga a été assaillie par des problèmes causés par l’Accusation et qui ont conduit les juges à suspendre l’instance. Ainsi, la suspension de l’instance a entraîné le blocage du procès.
JA : Au cours du procès, quelle a été la participation des victimes et la position de la défense à l’égard des parties civiles?
DH : Les victimes peuvent participer pleinement sous réserve de remplir certains critères en rapport avec les faits de l’affaire. Ils ont deux conseils pour les représenter devant la Cour et ont posé des questions aux témoins et répondu aux déclarations des autres parties. Je dois dire que je ne suis pas convaincu de la nécessité de la participation des victimes telle qu’elle se fait mais voila, nous avons respecté les décisions de la Chambre pour ce qui est de la capacité de la victime à participer.
JA : Et que pensez-vous que la façon dont la voix des communautés ethniques Lendu et Hema a été représentée dans le procès à ce jour?
DH : Complètement déséquilibrée. C’est très intéressant parce que c’est l’Accusation qui a fait cette sélection.
Nous avons l’affaire Lubanga, qui couvre une question très limitée, les enfants soldats. Et je ne sais pas ce qui a été dit sur les communautés Lendu et Hema. Mais dans notre cas, les personnes qui ont été mises au banc des accusés, les accusés, sont les Lendu-Ngiti.
Inévitablement, vous allez beaucoup entendre parler de cette attaque en particulier et des choses tristes et tragiques qui sont arrivées à la population Hema ce jour-là. Mais ce dont vous n’entendez pas parler c’est des Lendu-Ngiti qui ont été tués par les Hema dans les mois précédant cette attaque. Vous n’avez pas non plus entendu parler des terribles déprédations contre les Ngiti, qui ont été attaqués par les ougandais, qui ont été attaqués par les Hema, et qui ont ensuite été plus tard attaqués par leur propre armée, l’armée de la RDC.
Le résultat, je le sais, c’est que les gens de Walendu Bindi, les Ngiti, savent encore que seule la voix d’une partie des victimes a été entendue devant cette Cour. Et c’est celle des Hema. Ils ne comprennent pas, parce qu’eux ont été attaqués par les Hema.
JA : Alors, quelles autres questions les Ngiti-Lendu ont-ils soulevées avec vous?
DH : Ils m’ont dit, pour vous donner un exemple : « Comment cela se fait que tous les gens qui sont allés témoigner sont tous revenus avec des vêtements de meilleure qualité » Mais en plus, ils disent aussi : « Pourquoi nous les Ngiti et les Lendu, il semble que nous n’avons pas la voix au chapitre? Personne ne nous a demandé de dire à la Cour tout ce qui nous est arrivé. » Et il n’y a pas de victimes Ngiti ou Lendu, pour autant que je sache, parmi les 300 victimes. Et c’est à cause des choix de l’Accusation en matière de chefs d’accusation. Et ils [les Ngiti-Lendu] en ont assez de tout cela.
Les parents des enfants soldats pensent que la CPI les a enlevés. Parce qu’ils ont été emmenés hors de la zone et n’ont pas été revus depuis. Dans la cadre de la protection des témoins, ils ont tous été envoyés à l’école, ont reçu des vêtements, un logement, peut-être certains d’entre eux ont été réinstallés en Europe.
Il s’agit d’une incitation à fournir des éléments de preuve et également un encouragement à faire un faux témoignage. Je pense que dans notre cas, il y a eu des situations où l’Accusation a été d’une certaine façon manipulé par ses témoins pour procéder à ce genre de réinstallation. Je suppose que ce que l’Accusation dit, c’est que cela n’a rien à voir avec elle, mais tout à voir avec ce que l’Unité des victimes et des témoins (UVT) en pense. Mais j’ai vu des preuves qui font penser que le procureur a mis la pression sur l’Unité pour qu’elle le fasse en faveur d’un témoin.
Judit Algueró travaille actuellement au Tribunal spécial pour le Liban. Auparavant, elle a couvert le procès Katanga / Ngudjolo Chui et le procès Lubanga pour Aegis Trust.