Ce rapport couvre témoignages qui ont été faits au cours du procès de Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui devant la Cour pénale internationale (CPI) du 15 au 26 août 2011.
Le procès de Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui à la CPI a repris le 15 août 2011 avec l’ouverture de la plaidoirie de la défense de Ngudjolo. Durant cette période comprise entre le 15 et le 26 août, quatre témoins ont été appelés par la défense de Ngudjolo.
Ces témoins ont parlé de la situation dans le groupement Bedu-Ezekele de la région de l’Ituri en RDC, y compris Zumbe, un village principalement Lendu qui a servi de quartier général de la milice Lendu. Zumbe et la zone environnante ont été attaqués à plusieurs reprises de 2001 à 2003, période qui a fait l’objet du témoignage. En particulier, les témoins ont parlé de la situation à Kambutso, un village près de Zumbe, dont Ndgudjolo est originaire et où il a travaillé comme infirmier. Beaucoup de témoins ont parlé du rôle de Ngudjolo comme infirmier au centre de santé de Kambutso et certains ont déclaré qu’il a travaillé au centre de santé lors de l’attaque de Bogoro, sur laquelle portent les accusations contre Katanga et Ngudjolo. Le témoignage est décrit d’une manière plus détaillée ci-dessous.
Le témoin 44 (a témoigné avec des mesures de protection)
Le premier témoin de la défense de Ngudjolo a témoigné que Ngudjolo lui avait dispensé une formation en soins infirmiers à Bunia et Kambutso de 2001 à 2003. En 2002, a-t-il déclaré, il a déménagé de Bunia à Kambutso, un village dans le Groupement Bedu-Ezekele, en raison des combats dans la région.
Le témoin a déclaré qu’il y a eu de nombreuses attaques sur le Groupement en 2002 et 2003, mais qu’il ne savait pas quels groupes ont dirigé les attaques. Il a affirmé que les assaillants venaient de Bogoro, Bunia, Kasenyi, et Mandro. Selon lui, au cours de ces attaques, les gens du Groupement ont été tués, des biens ont été pillés et des bâtiments ont été incendiés. Le témoin 44 a déclaré que les gens du Groupement se sont défendus avec des machettes, des lances et des flèches.
Fait important pour la défense de Ngudjolo, le témoin 44 a affirmé que le matin du 24 février 2003, lorsque le village de Bogoro a été attaqué, il travaillait au centre de santé Kambutso. Il a déclaré avoir entendu des tirs en provenance de Bogoro tôt le matin, vers 04h00. Il soutient que vers 07h00 ou 08h00, il a été remplacé par Ngudjolo. Il a témoigné que Ngudjolo devait travailler au centre de santé pendant la journée, mais que puisqu’il était rentré chez lui pour se reposer, il ne pouvait pas dire exactement ce que Ngudjolo avait fait ce jour-là.
Le témoin a déclaré qu’il ne savait pas si Ngudjolo avait été impliqué dans d’autres activités en dehors de son travail à l’hôpital mais a dit qu’à sa connaissance, il n’y avait pas d’organisation militaire à Kambutso à l’époque et Ngudjolo n’était impliqué dans aucune activité militaire.
En contre-interrogatoire, le témoin 44 a déclaré qu’il ne savait pas que Mathieu Ngudjolo avait été membre de l’armée congolaise (les Forces Armées zaïroises), à l’époque du président Mobutu Sese Seko. Il a également soutenu qu’à sa connaissance, Ngudjolo n’a pas été impliqué dans des activités militaires en 2002 et 2003. Le témoin 44 a dit qu’il ne savait pas précisément quand Ngudjolo a commencé ses activités militaires. Tout ce qu’il savait, a-t-il dit, c’était qu’en 2003 Ngudjolo a quitté Kambutso pour Bunia et n’est jamais revenu.
Cependant, dans la suite de son témoignage le témoin a admis qu’en 2002 et 2003, Ngudjolo était un combattant, mais pas un soldat. Le témoin a expliqué que les « combattants » se battaient pour se défendre eux-mêmes alors que les soldats opéraient sous le commandement de quelqu’un d’autre.
Le témoin 44 a déclaré qu’il n’avait pas connaissance de groupes armés organisés tels que l’UPC (Union des patriotes congolais, dirigée par Thomas Lubanga, qui est aussi le procès devant la CPI) ou de l’attaque de Nyankunde en septembre 2002. Il a affirmé que bien qu’étant conscient des tensions et des luttes entre les Hema et les Lendu, il ne se souvenait pas d’événements spécifiques.
Le témoin 55 (a témoigné avec des mesures de protection)
Le témoin 55 a déclaré qu’il avait travaillé avec Ngudjolo au centre de santé de Kambutso entre 2002 et 2003. Ils avaient fui Bunia ensemble au début des hostilités, a-t-il ajouté. Après son arrivée à Zumbe, Mathieu Ngudjolo l’a invité à participer à une réunion en septembre 2002. Lors de la réunion, à laquelle assistaient des chefs locaux, il a été décidé de créer un nouveau centre de santé à Kambutso, selon le témoin. Il a affirmé que Mathieu Ngudjolo a été nommé président du nouveau centre de santé.
Il a également dit aux juges que Zumbe a été attaqué à plusieurs reprises en 2002 et 2003. Il a affirmé que les attaques ont été lancées par l’UPC et l’UPDF, qui ont tué des gens et brûlé des maisons. En réponse à ces attaques, a déclaré le témoin, les habitants de Zumbe se sont défendu avec des armes rudimentaires. Il a également parlé d’une attaque contre Zumbe effectuée par Bosco Ntaganda (actuellement l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI pour crimes de guerre). Le témoin 55 a également parlé de l’existence de la « Commission de structure », un comité local d’organisation, comprenant des comités administratifs, d’auto-défense, et des comités de santé, entre autres.
Comme le témoin précédent, ce témoin a également fait un témoignage important sur l’endroit où se trouvait Ngudjolo le 24 février 2003. Le témoin 55 a affirmé qu’il travaillait au centre de santé de Kambutso tôt ce matin-là. Ngudjolo a été la première personne qu’il a vu arriver au travail, a-t-il dit. Le témoin a dit qu’il a quitté le centre de santé entre 09h00 et 10h00 pour voir ce qui se passait à Bogoro. Quand il est revenu au centre de santé, dit-il, Ngudjolo était toujours là. Il a nié que Ngudjolo ait pris part à l’attaque de Bogoro.
Le témoin 55 a déclaré que l’APC (Armée du peuple congolais, les forces armées du RCD-KML) était présente à Zumbe entre 2002 et 2003. Toutefois, le FNI n’était pas alors présent à Bedu-Ezekele, a-t-il dit. Le témoin 55 a nié que Ngudjolo ait été le commandant du FNI.
En contre-interrogatoire, le témoin a déclaré qu’il n’y avait pas de groupes d’autodéfense dans le Groupement.
Le témoin 66 (a témoigné avec des mesures de protection)
Le témoin 66 a déclaré qu’il travaillait pour le chef du groupement Bedu-Ezekele, Ngabu Emmanuel, également connu sous le nom de Chef Manu, entre août 2002 et mars 2003. Comme les témoins précédents, le témoin 66 a nié que Ngudjolo ait participé à l’attaque de Bogoro. Il a affirmé que le FNI n’était pas actif dans le Groupement de 2002 à 2003 et que Mathieu Ngudjolo était infirmier, pas commandant du FNI.
Il a discuté de la création d’un comité d’auto-défense. Le témoin a déclaré que le comité était composé de jeunes de la région, et était uniquement affecté à l’auto-défense, et non à des attaques. Il a dit que Mathieu Ngudjolo faisait partie du comité de santé.
Le témoin 66 a indiqué qu’il y avait des camps militaires dans le Groupement, mais il a expliqué qu’ils n’étaient pas organisés. Comme le témoin 44, le témoin 66 a fait une distinction entre les combattants et les soldats. Il a affirmé qu’il n’y avait pas d’enfants-soldats dans la région mais que les jeunes étaient considérés comme des « combattants ».
Le témoin, comme le témoin précédent, a déclaré que l’APC était à Zumbe entre 2002 et 2003. Il a expliqué qu’ils avaient essayé de se déplacer vers le Nord-Kivu en traversant Bogoro, mais ont été dissuadés par deux fois par l’UPC et l’UPDF. Le témoin a déclaré que l’APC a alors décidé de passer par Songolo.
En contre-interrogatoire, le témoin a déclaré qu’il n’était pas au courant de l’attaque du 24 février sur Bogoro, mais avait été au courant d’une attaque sur Bogoro lancée par l’APC.
Il a également déclaré à l’Accusation que l’UPDF a fait venir des armes à Zumbe après l’attaque de mars 2003 par l’UPC contre Bunia. Le témoin 66 a dit que l’UPDF avait demandé aux Lendus de Zumbe de participer à cette attaque. Le témoin a affirmé que beaucoup de gens de Zumbe, y compris Ngudjolo, ont participé à l’attaque sur Bunia. Toutefois, il a affirmé que c’est Jaques Mbanga qui a conduit les combattants du Groupement dans cette attaque, pas Ngudjolo
Le témoin 66 a également été interrogé par le représentant légal des victimes représentant des enfants-soldats. Selon le témoin, bien que des « jeunes » de Zumbe aient été impliqués dans l’attaque de Bunia, aucun enfant n’a pris part à la bataille. Il a établi une distinction entre les « enfants », de 0 à 18 ans, et les « jeunes », de plus de 18 ans. Le témoin 66 a également déclaré que le comité d’auto-défense a été créé dans le seul but de protéger Zumbe.
Le témoin 88, Emmanuel Ngabu Mandro, également connu sous le nom de Chef Manu
Le chef Manu est né à Nyankunde et est originaire du Groupement Bedu-Ezekele, également connu sous le nom de Zumbe. Il a été chef de cette zone de 2001 à 2005, année où il a remis la chefferie à Lokana Safari. Son village d’Ezekele était à 10 km de Zumbe, d’après lui.
Le témoin a raconté comment il a rencontré le Procureur de la CPI, M. Luis Moreno-Ocampo, lorsque Moreno-Ocampo s’est rendu dans la région en juillet 2009. Lors de cette séance solennelle, le témoin a déclaré au Procureur que Ngudjolo ne se trouvait pas à Bogoro quand le massacre a eu lieu. D’autres participants à la réunion ont également déclaré au Procureur que Ngudjolo n’est pas allé à Bogoro, selon le chef Manu. Le témoin a indiqué qu’il avait présenté la mère de Ngudjolo au Procureur et que le Procureur avait promis de transmettre les salutations de cette dernière à Ngudjolo qui se trouvait alors au quartier pénitentiaire de la CPI.
Le témoin a également déclaré que sa région était entourée d’ennemis, y compris des Hema, l’UPDF et l’APC. Il était impossible de se déplacer librement, selon le Chef Manu. « Nous étions encerclés par l’UPC et l’UPDF au niveau de Mandro… au nord. Nous étions aussi encerclés par l’UPC et les éléments de l’UPDF à Bunia. On faisait face à la même situation à Nyakeru, en d’autres termes encerclés par les mêmes éléments. Idem à Bogoro, à Kasenyi et Tchoma. La conséquence de cette situation, c’est qu’il nous était impossible de nous déplacer »
Lors que les combats ont éclaté dans la région, a expliqué le Chef Manu, Les gens qui vivaient à Bunia et aux alentours ont commencé à fuir vers les collines. Il y a eu beaucoup de morts et des destructions considérables à Zumbe pendant la guerre, a ajouté le témoin.
Une fois, des soldats de l’UPC et de l’UPCF ont passé la nuit à Zumbe, selon le Chef Manu. Le témoin a déclaré que bien que n’étant pas présent, il a entendu les sages du village dire que les soldats ont combattu dans la région le matin, sont restés pour la nuit, et sont repartis le lendemain. Il a affirmé que les soldats de l’UPC ont posé des mines pendant la nuit et qu’en conséquence, des villageois avaient perdu des bras et des jambes. Selon le Chef Manu, plus de 500 mines ont été trouvées dans la région.
Le témoignage du Chef Manu s’est poursuivi la semaine suivante et il fera l’objet du prochain rapport.