Nous vous présentons la Chronique Katanga et Ngudjolo #1, qui à l’origine a été publiée sur le site web de Aegis Trust. Les vues et opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions d’Open Society Justice Initiative.
Il est 9.15 du matin et les visiteurs prennent place dans la galerie publique. Bien qu’il reste encore 15 minutes avant le début des audiences, il n’y a plus de places disponibles. C’est une journée remarquable dans la courte vie de ce tribunal permanent et dans l’histoire de la justice internationale. Aujourd’hui, la Cour pénale internationale commence son deuxième procès depuis sa création: Le Procureur c. Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui.
Les stores restent baissés pendant qu’un agent de la CPI présente une brève introduction sur l’affaire. C’est le deuxième procès relatif à la situation en République démocratique du Congo, référé à la Cour par le Gouvernement congolais, le 3 mars 2004. Les suspects, M. Katanga et Mathieu Ngudjolo, ont été livrés par les autorités congolaises et transférés à La Haye en octobre 2007 et février 2008, respectivement.
Germain Katanga, d’origine Ngiti, commandant présumé de la Force de Résistance Patriotique en Ituri (FRPI), et Mathieu Ngudjolo Chui, de l’ethnie Lendu, ancien dirigeant présumé du Front des Nationalistes intégrationnistes (FNI), sont accusés de trois crimes contre l’humanité (meurtre, esclavage sexuel et viol) et de sept crimes de guerre (utilisation d’enfants de moins de 15 ans pour leur faire prendre une part active aux hostilités ; attaques intentionnellement dirigée contre une population civile en tant que telle ; homicide volontaire, destruction de biens, pillage, esclavage sexuel et viol). L’Accusation a fait valoir que ces crimes ont été commis pendant et à la suite de l’assaut sur le village de Bogoro le 24 février 2003, dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique menée conjointement par le FNI et le FRPI contre la population Hema en Ituri.
Les stores qui dissimulent la salle d’audience sont maintenant tirés, mais les juges ne sont pas encore présents. Les participants au procès occupent leurs places. Sur la droite, le banc de l’Accusation est occupé par le Procureur adjoint Fatou Bensouda, le premier substitut Eric MacDonald et le Procureur, Luis Moreno Ocampo, qui profitent des dernières minutes qui leur restent pour parcourir les déclarations avec lesquelles ils vont ouvrir leur deuxième affaire. « Mesdames et Messieurs, la Cour! La séance est maintenant ouverte pour la Cour pénale internationale », annonce l’huissier de la Cour. Les juges de la Chambre de première instance II entrent dans la salle. Suivent quelques minutes de silence, pour permettre à un photographe de prendre des photos de ce moment. Selon le juge président Bruno Cotte, ces images vont contribuer à souligner le caractère public de ce procès.
L’huissier de la Cour annonce l’ouverture du procès. Le juge président commence par nous rappeler la composition de la Chambre : Mme la juge Fatoumata Dembélé, du Mali, la juge Christine Van den Wyngaert, de Belgique et lui-même, le juge Bruno Cotte, de la France. Il invite les participants à se présenter. Les Conseils principaux de la défense de Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chiu, David Hooper et Jean Pierre Kilenda Kakengi respectivement, prennent la parole pour présenter leurs collègues à l’auditoire. Ils sont suivis par les représentants légaux des victimes, dirigée par Jean-Louis Gilissen et Fidel Nsita Luvengika, qui représentent 345 victimes participant aux procès. Le juge président Cotte annonce que dès le début du procès, la Chambre va lire à l’accusé les charges préalablement confirmées, et veiller à ce que les accusés comprennent la nature des charges qui pèsent sur eux. Ensuite la Cour donne à Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui la possibilité de plaider coupable ou non coupable.
Sans s’interrompre une seule fois, l’huissier de la Cour lit les dix chefs d’accusation qui pèsent sur les accusés. Tous les deux plaident non coupable. Katanga et Ngudjolo affirment leur innocence.
Après une pause de 30 minutes, le Procureur prend la parole pour présenter ses arguments à la Cour. « Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs de la Cour. Le Bureau du Procureur affirme que Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui sont responsables de certains des crimes les plus graves qui touchent la communauté internationale dans son ensemble. Ils sont pénalement responsables des crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis à Bogoro, en République démocratique du Congo, le 24 février 2003. Ils ont utilisé des enfants comme soldats. Ils ont tué plus de 200 civils en quelques heures. Ils ont violé des femmes, des filles et des personnes âgées. Ils ont pillé tout le village et transformé des femmes en esclaves sexuelles. »
Le Procureur utilise une carte pour montrer aux juges où se trouve Bogoro et leur expliquer pourquoi Katanga et Ngudjolo a décidé de cibler ce village. Selon le Procureur, M. Katanga et Ngudjolo étaient les chefs de milices composées de membres des communautés Lendu et Ngiti. Ils ont été impliqués dans un conflit armé avec l’UPC, une milice majoritairement composée de membres de la communauté Hema et dirigée par Thomas Lubanga, dont le procès devant la CPI s’est ouvert le 26 janvier 2009. « Le plan de Messieurs Katanga et Mathieu Ngudjolo était d’attaquer Bogoro de façon à ouvrir la route Bunia-Kasenyi et en même temps empêcher les attaques de l’UPC sur les villages Lendu et Ngiti voisins », explique le procureur. « L’UPC avait un camp militaire au centre de Bogoro. Mais le plan de Messieurs Ngudjolo et Katanga consistait en plus qu’une simple neutralisation de l’UPC. Le plan était d’effacer Bogoro de la carte, en détruisant non seulement le camp de l’UPC, mais tout le village civil. C’était là leur plan et voila ce qu’en pense le bureau du procureur. »
L’intervention du Procureur prend fin avec l’affirmation suivante : « l’Accusation va prouver sans l’ombre d’un doute que Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo ont planifié et exécuté l’attentat contre Bogoro et doivent donc être déclarés coupables des crimes retenus contre eux », a déclaré premier substitut du Procureur Eric MacDonald.
La parole est maintenant aux représentants légaux des victimes. M. Jean Louis Gilissen s’adresse à la Chambre au nom de ses clients. Il représente les anciens enfants soldats qui ont participé à l’attaque de Bogoro, « des enfants qui sont maintenant des jeunes hommes et des jeunes femmes, qui cherchent à comprendre ce qui leur est arrivé. » dit-il. Ce sont des victimes qui cherchent la compréhension et la reconnaissance de leurs souffrances physiques et psychologiques. « Mesdames, Messieurs, croyez-moi, c’est un grand moment d’espoir pour les victimes qui, pendant plus de six ans, ont attendu que justice soit faite. »
Son collègue, M. Fidel Nsita, veut aussi intervenir pour rappeler à l’auditoire que la plupart des victimes vivent comme des personnes déplacées dans leur propre région en RDC. Traumatisés par les événements, ils ne sont pas retournés à Bogoro. Ils ne savent pas ce qui est arrivé à leurs familles. Ils ne savent pas comment leurs parents ont été tués et s’ils ont été enterrés. Ils n’ont eu aucune espèce de soutien ou de conseils pour surmonter leur traumatisme. « Ils espèrent que la procédure qui aura lieu devant la Cour leur permettra de comprendre ce qui s’est réellement passé et de retrouver leur dignité », dit l’avocat.
Après la pause-déjeuner, les avocats des deux accusés font leur première déclaration. L’équipe de défense de M. Germain Katanga a la parole. « Sans aucun doute, il y a eu une attaque contre Bogoro ce jour-là et les excès ont été commis », dit M. Hooper, « mais nous disons à ces excès n’ont pas été commis par Germain Katanga. »
L’avocat de la défense dit aux juges que quand il a rencontré Germain Katanga pour la première fois, ce qui l’a beaucoup frappé a été son âge. Né en 1978, au moment de l’attaque de Bogoro, M. Katanga avait seulement 24 ans. « Cela fait de lui la plus jeune personne à être inculpée devant un tribunal pénal international ou une Cour pénale Internationale. Ici se pose la question de savoir pourquoi une institution comme celle-ci, qui lutte contre l’impunité », dit M. Hooper, dans « un conflit armé international qui fait cinq millions de morts, avec la participation de beaucoup d’États pillards… met au banc des accusés un homme qui n’a que de 24 ans au moment dont parlent ces allégations et dont le rôle essentiel à [cette] époque était simplement de défendre son peuple contre des excès épouvantables ».
M. Hooper demande au public de penser à la responsabilité assumée par les puissances étrangères et les autorités de Kinshasa. « Où sont ceux qui ont infligé aux pauvres populations de l’Ituri toute cette misère? Où sont les Ougandais et les Rwandais? » s’interroge l’avocat. « Monsieur le Président, dans les conclusions de l’Accusation, ce matin, je ne pense pas avoir entendu le mot « Kinshasa » mentionné une seule fois. C’est là une étrange omission. » Il continue : « Bogoro a été attaqué, et il [Katanga] est accusé d’avoir planifié l’attaque. Voila la base même des charges qui pèsent sur lui. Mais qui a planifié l’attaque ? Qui a bénéficié de l’attaque ? Qui a fourni les armes que les Ngiti ne pouvaient pas avoir achetées? Qui a fourni les connaissances militaires nécessaires pour mener une telle opération qui est relativement complexe? » Voila des questions avec lesquelles l’équipe de défense de Katanga va sonder les arguments du Procureur au cours des prochains mois.
De même, la défense de Mathieu Ngudjolo insiste sur la responsabilité des pays étrangers – à savoir, l’Ouganda et l’État congolais dans le cas de Bogoro. Les défenseurs soulignent également le droit de la communauté Lendu à la légitime défense. « Disons simplement que c’est à la fois l’absence et l’incapacité de l’État congolais à l’époque d’assurer la sécurité collective des habitants de l’Ituri qui ont expliqué la prolifération des groupes d’auto-défense ainsi que la présence de pays étrangers, comme l’Ouganda, qui a mis en place un véritable gouvernement militaire », affirme le conseil Jean Pierre Kilenda. « C’est ce qu’on appelle l’instinct de conservation. Ils se défendaient contre les plans évidents d’extermination de la population Lendu. » Il conclut : « Au lieu d’essayer de trouver les vrais responsables de cette tragédie, qui devrait être trouvés au sein de l’armée ougandaise ou parmi les gens au pouvoir à Kinshasa, le Procureur prend ces deux jeunes gens, Katanga et Ngudjolo. »
Le procès s’ouvre avec un objectif clair : l’établissement de la vérité sur ce qui s’est passé le 24 février 2003 dans un minuscule village de la province de l’Ituri : Bogoro. Le peuple congolais attend la justice.