Germain Katanga & Mathieu Ngudjolo Chui in court
qui sommes Germain Katanga &
Mathieu Ngudjolo Chui?

Par Sheila Vélez

Nous vous présentons la Chronique Katanga et Ngudjolo #2, qui à l’origine a été publiée sur le site web de Aegis Trust.  Les vues et opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions d’Open Society Justice Initiative.

Le premier témoin du second procès concernant la RDC est à la barre. L’image est déformée, mais la voix est parfaitement audible. Elle appartient à une femme. Il s’agit du chef du groupe d’enquêteurs affectés à cette affaire qui, à la demande de la Chambre, fera la lumière sur les enquêtes menées en Ituri. « Le témoin a maintenant la parole pour donner un aperçu général de son témoignage. Nous sommes maintenant à votre écoute », dit le juge président Cotte.

 Le témoin a préparé une présentation qui offre un aperçu des procédures de collecte des preuves dans l’enquête. L’enquête a débuté vers mai 2006, et était destinée à examiner les crimes qui ont eu lieu dans la région. Ainsi, selon le témoin, Bogoro n’était pas le seul point de mire au début, même si l’Accusation a présenté plus tard, un argument très concret prétendant que tel état bien le cas.

Après l’ouverture de l’enquête, l’«équipe conjointe » composée d’enquêteurs, de procureurs et de personnels de la coopération, a été mise en place pour mener l’enquête. Cette équipe a eu à faire face à plusieurs problèmes différents.  

« Je vais d’abord parler de la situation sécuritaire et des questions de protection des témoins, qui ont été des questions difficiles au cours de cette enquête », a déclaré le témoin. Selon le chef du groupe d’enquêteurs, la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC a été une source constante d’instabilité du fait de la présence de milices actives dans les zones d’opération. Cela a eu un impact sur leurs missions, sur l’accès aux régions où ils voulaient opérer, et aussi sur la recherche de témoins et la gestion des témoins. « Nos témoins ont également fait l’objet de menaces flagrantes dans le cadre de cette enquête. D’une part, le sentiment de menace que le témoin ressent est subjectif. Un témoin ou une source peut sentir qu’il ou elle sera traitée comme un traître dans sa propre communauté, et ainsi craindre des représailles. Mais, d’autre part, certaines des menaces ont été très réelles. Il s‘est agi de menaces bien objectives. Il y a clairement eu intimidation de nos témoins sur le terrain et il y a aussi eu un risque prévisible de préjudice physique. »

En plus des témoins, le personnel du Bureau du Procureur a également reçu des menaces sur le terrain. « Les enquêteurs du Bureau du Procureur sont également relativement faciles à identifier sur le terrain. Le Bureau du Procureur ne conduit pas des missions secrètes sur le terrain et il est encore très probable qu’on nous identifie, ce qui peut être préjudiciable à nos témoins. »

Un autre défi majeur auquel le BdP a eu à faire face a été l’interrogatoire des témoins vulnérables. « Bien que le BdP essaie de prendre toutes les mesures de précaution possibles pour porter assistance aux victimes qui pourraient subir de graves traumatismes consécutifs à ce qu’ils ont vécu, il y a toujours la possibilité de re-traumatisation à travers le processus d’entrevue », explique le chef de la les enquêteurs. « Les victimes de violences sexuelles constituent un bon exemple. Ces types de victimes ont souvent peur d’être marquées dans leurs propres sociétés, mais elles ont également peur des représailles des auteurs des crimes ou de groupes proches d’eux. Dans ce type d’environnement, il a été extrêmement difficile de trouver des victimes qui ont accepté de parler au personnel de la Division des poursuites. Il faut absolument que les victimes dans cette affaire qui ont finalement décidé de nous parler et de témoigner dans ce procès soient félicitées pour leur courage. »

Il y a plusieurs étapes dans l’interrogatoire d’un témoin potentiel. Premièrement, les enquêteurs tiennent une rencontre préliminaire en vue de la préparation de l’interview intégrale. Au cours de cette première réunion, le BdP recueille des renseignements afin de tester la fiabilité du sujet et découvrir si il ou elle possède des renseignements qui pourraient être utiles à l’enquête. Il est également important de savoir si la personne pourrait avoir commis un crime selon le Statut de Rome.

L’interview complète se déroule généralement au cours d’une mission différente. Le témoin reçoit une explication sur la Cour et les raisons de la réunion avec les enquêteurs. « Nous parlons de ce que signifie être un témoin et ce que signifie faire une déposition. Nous expliquons la nature volontaire de l’ensemble du processus. Si le témoin est victime d’un crime, nous devons également expliquer ce que cela signifie dans le cadre du Statut [de Rome] », explique le chef des enquêteurs.

Une fois la déclaration du témoin terminée, elle est lue de nouveau au témoin pour assurer l’exactitude de l’information. La déclaration est enregistrée et le contenu en est discuté avec l’équipe mixte.

La possibilité d’utiliser des éléments à décharge est une question importante et la Chambre veut savoir comment le BdP traite les informations qui peuvent disculper l’accusé. « Le Bureau se penche sur les informations recueillies et les preuves en sa possession et essaie de trouver ce qui pourrait être potentiellement à décharge et ce qui doit faire l’objet d’enquête », dit le témoin. Le BdP est tenu d’enquêter non seulement sur des renseignements incriminants, mais aussi sur des preuves potentiellement disculpatoires. Selon le témoin, le personnel du BdP a examiné plus de 16.000 éléments de preuve dans cette affaire, soit plus de 85.000 pages. Selon le témoin, en avril 2008, le BdP a mis ce matériel potentiellement disculpatoire à la disposition des deux équipes de défense.

Un autre aspect essentiel des enquêtes a été le nombre de morts. « Lorsque nous lisons la décision de confirmation des charges, il y est fait mention d’environ 200 victimes, des gens qui ont été assassinés ou victimes d’homicide volontaire. Comment êtes-vous arrivé à ce chiffre de 200 victimes? Avez-vous trouvé les corps? Avez-vous examiné le lieu [des meurtres]? » demande le juge Cotte.

 « Les chiffres sont basés sur les informations que nous avons reçues de nos témoins qui étaient présents au cours de l’attaque ou aussitôt après et qui ont participé au dénombrement des pertes civiles après l’attaque. Les chiffres sont bien évidemment très vagues. Nous n’avons pas accès aux chiffres exacts. Nous n’avons pas compté de corps et nous n’étions pas présents au moment de l’attaque, » explique le témoin.

Le BdP n’a jamais compté les corps, physiquement. Les témoins ont confirmé ce fait. Ce chiffre ne constitue qu’une estimation. Les témoins n’ont pas établi l’identité des victimes, ni dit s’il s’agissait de victimes de meurtre ou d’homicide, de viol ou d’esclavage sexuel, ou de destruction de bien, ce qui, selon le juge président, constitue un question pertinente. « Lors que nous avons eu accès au lieu du crime, c’était bien après le moment où le crime a été commis, » dit le témoin.

Cette affaire porte sur une attaque, qui a eu lieu en un seul et même endroit, avec des corps enterrés, mais l’Accusation n’a pas cru nécessaire de procéder à une exhumation complète. Il s’est seulement agi d’exhumation partielle. « Les exhumations de Bogoro n’ont été effectuées que dans un but de corroboration, » répond le témoin aux questions maintenant posées par l’équipe de défense de M. Katanga.

-« Avez-vous des enquêteurs d’origine congolaise? » demande M. Hooper.

-« Non, nous n’en avons pas. »

-« Eh bien, avez-vous des gens qui sont des enquêteurs et qui parlent la langue des gens qui font l’objet de vos enquêtes? »

-« J’ai des gens qui parlent français, oui. »

-« Des francophones. Bon. »

M. Hooper veut revenir sur la question des preuves disculpatoires. « Êtes-vous allés à des endroits à Walendu Bindi? » demande M. Hooper, faisant allusion à la région surtout habitée par la communauté Lendu et Ngiti. Je vais vous donner quelques noms, ça pourra vous aider. J’ai parlé d’Aveba, de Bavi, de Gety, de Bukiringi, de Kagaba, par exemple? » poursuit-il. « Non, nous n’avons pas été à ces endroits, autant que je m’en souvienne, » dit le témoin.

L’implication présumée d’autres acteurs – le gouvernement de Kinshasa, les commandants des FARDC (l’Armée Nationale), les principaux dirigeants de la milice rebelle RCD-KML et des officiers supérieurs ougandais – constitue un argument important soulevé par les deux équipes de défense. On a demandé au BdP s’il avait interrogé ces gens.

 « Non, nous ne les avons pas interrogés. »


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