A la suite de la présentation des preuves contre Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, au début de décembre 2010, selon le calendrier provisoire rendu public par le tribunal, le procès doit reprendre aujourd’hui, le 21 février 2011. L’audience devrait reprendre avec le témoignage de deux victimes participantes, qui ont été autorisées à comparaître devant la Cour. Cette étape sera suivie de la plaidoirie de la défense.
L’Accusation a appelé à la barre un total de 26 témoins, qui ont exprimé leur point de vue devant les juges de la Chambre de première instance II de la Cour pénale internationale (CPI), mais seulement 25 d’entre eux seront pris en considération. Entretemps, en raison de problèmes de crédibilité, l’Accusation a demandé à la Chambre de ne pas s’appuyer sur la déposition du témoin 159, qui a témoigné sur les événements de Bogoro et dont la mère a été tuée le jour de l’attaque. En outre, deux autres témoins ont été appelés par la Chambre.
Germain Katanga est le présumé commandant du FRPI (Front de résistance patriotique de l’Ituri) et Mathieu Ngudjolo Chui est le présumé ancien dirigeant du FNI (Front nationaliste et intégrationniste). Ils sont accusés d’avoir conjointement commis, par l’intermédiaire d’autres personnes, trois crimes contre l’humanité: meurtre, esclavage sexuel et viol. En outre, ils ont également été accusés de sept crimes de guerre, y compris l’utilisation d’enfants de moins de 15 ans à qui ils ont fait prendre une part active aux hostilités ; d’avoir intentionnellement dirigé une attaque contre des populations civiles ; homicide volontaire, destruction de biens, pillage, esclavage sexuel et viol. Ces crimes auraient été commis à Bogoro, village de la province de l’Ituri, à l’est de la RDC, de janvier à mars 2003.
Le témoin 323, qui a fait sa déposition du 8 au 12 mars 2010, était un ancien soldat UPC basé à l’institut Bogoro et qui était présent lors de l’attaque. Selon sa déclaration, il y a eu des meurtres, des destructions et des pillages perpétrés par les assaillants qu’il a observés à partir d’un endroit derrière les buissons où il s’était caché.
« Il y avait de nombreux kadogo [enfants], ils ont participé à la guerre, mais je ne pourrais pas vous dire leur âge … Ils ne portaient pas d’armes à feu, ils étaient armés de machettes et de flèches », a déclaré le témoin 323.
Plusieurs témoignages ont abordé la question des enfants soldats. M. Jean-Claude Renaud (témoin 373), un photojournaliste dont les images ont été présentées comme éléments de preuve, a témoigné au début du mois d’avril 2010. Il a fait des remarques sur les photos où on voyait ce qui semblait être de très jeunes enfants portant des armes ou portant des tenues militaires. « Il [un enfant dans une photo tenant un fusil] tient une kalachnikov AK-47 » a-t-il déclaré au cours de son interrogatoire par le procureur Gilles Dutertre. « Et quel âge a-t-il selon vous? » a demandé le procureur. « Je pense qu’il a entre 11 et 12 ans », a répondu M. Renaud. Les photos ont été prises dans les régions de Zumbe et Nyankunde/Songolo plusieurs semaines après l’attaque de Bogoro.
D’anciens enfants soldats aussi ont comparu devant la Cour pour parler de leur expérience dans les groupes armés du FNI et du FRPI et témoigner de la responsabilité présumée des accusés dans l’organisation de l’attaque de Bogoro. Le témoin 279 a déclaré avoir été enlevé avec d’autres enfants de son âge de son village natal et emmené à la colline de Zumbe, où il a été formé pour être un combattant. Après avoir fourni des informations concernant la structure de commandement du FNI, le témoin a identifié Mathieu Ngudjolo Chui comme étant le commandant en chef des combattants Lendu sur la colline de Zumbe. Selon lui, l’attaque de Bogoro a été planifiée par Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui. Le témoin, qui a lui-même participé à l’assaut, a décrit aux juges les préparatifs de l’attaque : rassemblement des troupes, points à partir desquels les troupes ont approché Bogoro, et désignation des commandants devant mener les troupes.
En outre, selon un travailleur dans le domaine de la démobilisation des enfants soldats (témoin 267), dans le FRPI, c’est à Katanga que revenait le pouvoir ultime de décider ou d’autoriser la démobilisation des enfants de ses forces armées.
Ils n’ont pas été les seuls à témoigner sur la structure de la milice et l’autorité de l’accusé. Le récit le plus frappant a été la déposition du témoin 28, un ancien enfant soldat basé dans le camp Aveba. Il a fourni des informations sur la structure de commandement du FRPI et a mis l’accent sur l’autorité suprême de Katanga. « Pendant que vous avanciez sur le champ de bataille au milieu de la fusillade, savez-vous ce que faisait Germain Katanga? » a demandé le procureur Eric MacDonald. « Germain était là, il faisait partie du groupe de combattants, il se battait aussi. Nous progressions tous ensemble. Vous savez, sur le champ de bataille il y a pas de chefs, chacun doit se battre en fonction de son expérience », a répondu le témoin. « Qu’est-il arrivé à la fin de la bataille? » a poursuivi le procureur. « Il y a eu du pillage, des maisons ont été incendiées et des cadavres enterrés, la mesure du possible ». Le témoin a également décrit la planification de l’attaque avec le FNI et la présence de la délégation du FNI à Aveba pendant les jours précédant l’attaque.
Lorsque M. Gilissen, le représentant légal des victimes, lui a demandé s’il a aujourd’hui compris ce qui s’est passé pendant le conflit, l’ancien enfant soldat a déclaré: « Jusqu’à ce jour, je n’ai toujours rien compris de ce qui s’est passé. Même maintenant, dans ma tête, un Hema est un ennemi ».
La violence sexuelle
La voix des femmes a également été entendue. Selon le témoin 249, elle était à Bogoro le jour de l’attaque et a été blessée à la jambe alors qu’elle tentait de s’enfuir. Dans son témoignage, elle a déclaré qu’un groupe d’assaillants l’a violée après l’avoir rattrapée, en dépit de sa blessure à la jambe. Elle poursuit : « Je leur ai dit, ‘s’il vous plaît laissez-moi tranquille, je suis fatiguée’. Ils ont dit, ‘Si tu ne peux pas, on va te tuer ». Je l’ai dit, « OK, vous pouvez me tuer, je m’en moque ». « Puis ils m’ont traînée par terre mais j’ai refusé, et ils m’ont jetée sur le sol et m’ont violée plusieurs fois. J’étais terriblement affaiblie et j’éprouvais une douleur horrible ». Elle a ensuite été donnée comme épouse à l’un des soldats et n’a réussi à s’enfuir qu’au bout de plusieurs semaines. À la suite des viols qui ont eu lieu pendant sa captivité, elle est tombée enceinte. Elle a assisté à l’enterrement plusieurs corps derrière l’Institut de Bogoro après l’attaque, dans les trous creusés autour du camp ainsi que dans les trous qui servaient de latrines.
De même, le témoin 132 a été enlevée pendant l’attaque de Bogoro et gardée en captivité dans l’un des camps de Ngiti où elle a été agressée sexuellement par les soldats. En raison de son état mental, causé par le traumatisme qu’elle a vécu, elle s’est vue accorder des mesures spéciales de protection et a été accompagnée par un membre de l’Unité d’l’aide aux victimes et aux témoins (VWU) de la Cour.
Les récits de plusieurs sortes de témoins ont été présentés devant le comité. Au cours du procès et jusqu’à une date récente, les juges ont également entendu des témoignages de la population civile qui ont notamment identifié les accusés, le chef du village de Bogoro et un agent de droits de l’homme travaillant pour la Mission des Nations Unies en RDC (MONUC) au moment des événements. Maintenant c’est au tour des victimes participantes de faire le récit des évènements devant la Cour.
Plaidoirie de la défense
Selon l’estimation donnée lors d’une audience en date du 29 novembre 2010, les équipes de défense de Katanga et Ngudjolo vont appeler à la barre entre 30 et 35 témoins, respectivement, chaque équipe prenant environ trois mois pour présenter toutes ses preuves. Selon Sophie Menegon, gestionnaire de cas pour l’équipe de défense du Katanga, tous leurs témoins vont faire leur témoignage sur des crimes. « Nous sommes en train de voir quel témoignages utiliser et l’équipe est allée en Ituri pour rencontrer certains des témoins … mais nous estimons que nous allons présenter notre premier témoin d’ici le 23 mars », a-t-elle expliqué.
Mme Menegon n’a pas été en mesure de faire des commentaires sur la stratégie de défense de son équipe. Cela ne sera public que d’ici le 7 mars, date à laquelle l’équipe de défense sera tenue de divulguer ses moyens de preuve aux parties ainsi qu’un document expliquant les grandes lignes de la défense. Comme décidé par la Chambre, l’obligation de divulgation ne doit être exécutoire que 15 jours avant le début de la plaidoirie de la défense.
Néanmoins, nous pourrions anticiper sur certains des points que la défense de Germain Katanga va soulever. Au cours de sa déclaration initiale du 24 novembre 2009, M. Hooper, avocat de la défense de Germain Katanga, a souligné l’implication des pays voisins, Rwanda et l’Ouganda dans le conflit en Ituri, et la politique de laissez-faire du gouvernement du Président Kabila. Selon M. Hooper, ni Germain Katanga, ni le groupe militaire qu’il aurait commandé n’avaient la maturité ni les ressources nécessaires pour mener une telle attaque.
« Qui a fondé le FRPI? Comment s’est-il développé? Nous vous recommandons de porter une attention particulière à cette question, parce que nous affirmons que ce n’est qu’en mars 2003 que le FRPI – qui jusque là n’existait pour l’essentiel que d’une manière théorique – a commencé à s’organiser », a souligné M. Hooper. « Qui a bénéficié de l’attaque? Qui a fourni les armes que les gens de Ngiti, démunis qu’ils étaient, étaient tout à fait incapables d’acheter? Qui a fourni les connaissances militaires nécessaires pour mener une telle opération qui est relativement sophistiquée? » a-t-il demandé.
Voila certaines des questions qui pourraient être abordées par la défense dans sa plaidoirie.