Par Dr. Sara Kendall
Chers lecteurs – L’article qui suit a été rédigé par Sara Kendall, Chercheur en justice post-conflit et « Appropriation locale » au Centre Grotius d’études juridiques internationales, Université de Leiden. Les vues et opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement les vues et les opinions de l’Open Society Justice Initiative.
La demande d’asile aux Pays-Bas de trois témoins de la défense dans l’affaire Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui est toujours en instance alors que les autorités néerlandaises attendent des jugements de la Chambre d’appel de la Cour pénale internationale (CPI). Entretemps, la Chambre de première instance II de la Cour a rendu une décision la semaine dernière concernant la sécurité des témoins. Entre autres choses, la décision, qui peut être consultée ici, ordonne au Greffier de la CPI de se concerter avec les gouvernements des Pays-Bas et la République démocratique du Congo (RDC) sur la question de savoir quel Etat endossera de la responsabilité de la détention de ces témoins après leur mise en liberté par la CPI. La décision illustre le défi permanent auquel la CPI a à faire face en matière de coopération interétatique, défi qui a été mis en relief par la question de l’asile et ses implications pour la relation de la CPI avec son pays hôte et avec un pays clé qui a historiquement soutenu le travail de la Cour. Cet article considère la demande d’asile dans le contexte plus large de ses implications politiques sur la coopération Etat partie/CPI.
La demande d’asile: évolutions récentes
Ce blog suit les évolutions relatives à la demande d’asile par les témoins de la défense : voir les postes suivants du 6 juin, du 16 juin, et du 23 juin. Les tensions entre les obligations concurrentes de la CPI ont été signalées ici : à savoir, l’obligation de protéger les témoins conformément à l’article 64 (2) et l’obligation en vertu de l’article 93 (7) de retourner les témoins à leur pays d’origine immédiatement après leur témoignage. La Chambre de première instance II tente de résoudre cette tension en ordonnant une série de mesures, dont il est discuté ici, à mettre en œuvre en RDC et qui, selon elle, allaient répondre à l’obligation de la Cour de protéger ses témoins. Dans des observations transmises par le Greffe le 23 août, la RDC a indiqué sa volonté de coopérer avec ces mesures. Cependant, pour les représentants légaux des demandeurs d’asile, l’analyse de la sécurité de la CPI sur laquelle ces recommandations sont basées ne doit pas être utilisée pour la demande d’asile ; ils affirment plutôt que l’Etat néerlandais est tenu de procéder à sa propre évaluation des risques. Pour les autorités néerlandaises, entreprendre une évaluation signifie qu’il faudrait aborder la substance de la demande d’asile plutôt que d’attendre l’issue des procédures de la CPI. Étant donné les implications potentielles de la décision d’asile pour les témoins de la CPI à l’avenir, les fonctionnaires du ministère néerlandais se sont livrés à des débats publics avec la Cour sur ces questions. Cependant aucun juge n’a été nommé pour traiter de l’affaire d’asile interne, et selon un avocat des demandeurs d’asile il est possible que la réclamation ne soit pas jugée pendant quelque temps – peut-être après les élections congolaises qui sont actuellement prévues pour novembre 28, 2011.
Le contexte politique de la RDC
La question de l’asile a mis en lumière les aspects du contexte politique plus large dans lequel l’intervention de la CPI a lieu en RDC. Selon leurs résultats, les prochaines élections présidentielles et législatives peuvent influencer les demandes des témoins. Comme on le voit ici, les trois témoins ont impliqué le gouvernement congolais sous actuel Président Joseph Kabila dans le massacre de Bogoro, sur lequel porte précisément le procès Katanga et Ngudjolo. Si le gouvernement de Kabila venait à perdre les élections, la base de demandes d’asile des témoins pourraient aussi disparaître en conséquence.
En attendant, le problème de l’asile a affecté les relations entre la Cour et le gouvernement congolais. Le gouvernement a toujours été favorable à la Cour : le président Kabila a commencé par référer la situation du Congo à la CPI, et les autorités congolaises affirment qu’elles ont toujours coopéré avec la CPI pour faciliter son travail. Il y a eu récemment des signes de tension dans leurs relations : lors de la conférence d’état du 12 mai 2011, un représentant du Greffe a dit à la Chambre de première instance que les autorités de la RDC avait « déploré » le fait qu’elles n’avaient pas été invitées à la conférence [i]Dans des observations en date du 15 juin, 2011, le ministre congolais de la Justice et des droits de l’Homme a laissé entendre que la Chambre de première instance II avait violé le mandat de la CPI. [ii] Dans leurs observations les plus récentes, les autorités congolaises ont exprimé leur frustration causée par le retour retardé des témoins, qui avaient auparavant été incarcérés en RDC dans l’attente d’un procès devant des tribunaux militaires en droit congolais. La décision la plus récente de la Chambre de première instance II documente cette frustration, en faisant remarquer qu’ « après avoir exprimé son mécontentement » du retard dans le retour des témoins, la RDC a accepté de se conformer aux mesures de protection au retour des témoins en RDC [iii].
Les réactions en RDC suite à la demande d’asile sont révélatrices de cette tension. Dans une interview à Kinshasa en juin, un magistrat des hautes cours militaires a noté que le gouvernement congolais a été surpris par la demande d’asile des témoins aux Pays-Bas [iv]. Le magistrat a affirmé que la Cour n’avait pas respecté la position du gouvernement congolais, malgré sa coopération avec la CPI. Le fonctionnaire a expliqué que bien que la RDC ait été très coopérative dans le partage d’informations avec la CPI, la relation n’est pas symétrique: quand la RDC demande des informations à la CPI, la Cour s’abstient parfois de répondre ou d’apporter son assistance en invoquant des raisons de sécurité. Un autre magistrat des hautes cours militaires a fait remarquer que si, au tout début, la CPI a bénéficié d’un soutien considérable au Congo, ce soutien a depuis connu un déclin [v]. Cette position a été reprise par des représentants du Comité Mixte de Justice, un organe de coordination pour le système judiciaire congolais et les gouvernements donateurs [vi]. Bien que le gouvernement congolais continue de coopérer à fond avec la CPI, comme indiqué dans ses observations les plus récentes, la question de l’asile des témoins a tendu les relations entre la Cour et un État partie historiquement favorable.
La question de l’asile est également en traitement dans le contexte des efforts locaux continus en vue de l’adoption d’une loi d’application du Statut de Rome de la CPI et la mise en place d’un Tribunal Spécial hybride avec une compétence sui generis pour les crimes internationaux. La législation d’application, qui vise à harmoniser la législation nationale avec le Statut de Rome, fait depuis plusieurs années l’objet de négociations au parlement congolais. La session parlementaire du printemps 2011 n’a fait aucun progrès tangible sur le projet de loi d’application. Il est peu probable que ce projet soit de nouveau examiné avant les élections de novembre prochain, et le soutien politique qu’il recevra ensuite va dépendre en grande partie de la composition de la nouvelle législature et du gouvernement. Si elle avait été adoptée, la loi d’application aurait aidé à clarifier les questions de coopération entre la RDC et la CPI en précisant quelles autorités congolaises sont responsables des questions de coopération et en adaptant certains aspects du système de justice pénale – à la fois justice civile et militaire – pour les aligner sur les articles pertinents du Statut de Rome et d’autres traités internationaux.
La décision de la Chambre de première instance II en date du 24 août invite le Greffe de la CPI à consulter les autorités néerlandaises et congolaises pour ce qui touche à la garde des témoins et à déposer un rapport auprès de la Chambre d’ici la mi-septembre. Les relations entre la CPI et ces deux États parties – l’état hôte (les Pays-Bas) et la République démocratique du Congo – continueront d’attirer l’attention tant que la question de l’asile des témoins restera en suspens.
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[i] Décision du 22 juin 2011, ICC-01/04-01/01 para. 23.
[ii] « Les autorités congolaises regrettent que la Chambre de première instance II ait violé son mandat en acceptant de recevoir la requête des quatre témoins sollicitant qu’ils soient présentés aux autorités néerlandaises dans le but d’introduire leur demande d’asile sans avoir consulté les autorités congolaises et sans avoir proposé de solution alternative qui lui auraient permis de respecter ses différentes obligations de façon équilibrée. » ICC-01/04-01/07-3123. Annexe 1. 15 juin 2011. para. 24.
[iii] Décision du 24 août 2011, ICC-01/04-01/07-3128. para11.
[iv] Interview, 27 juin 2011, Kinshasa.
[v] Interview, 28 juin 2011, Kinshasa.
[vi] Interview, 28 juin 2011, Kinshasa.
La demande d’asile aux Pays-Bas des témoins de la défense et ses implications sur la coopération interétatique
Chers lecteurs – L’article qui suit a été rédigé par Sara Kendall, Chercheur en justice post-conflit et « Appropriation locale » au Centre Grotius d’études juridiques internationales, Université de Leiden. Les vues et opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement les vues et les opinions de l’Open Society Justice Initiative.
La demande d’asile aux Pays-Bas de trois témoins de la défense dans l’affaire Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui est toujours en instance alors que les autorités néerlandaises attendent des jugements de la Chambre d’appel de la Cour pénale internationale (CPI). Entretemps, la Chambre de première instance II de la Cour a rendu une décision la semaine dernière concernant la sécurité des témoins. Entre autres choses, la décision, qui peut être consultée ici, ordonne au Greffier de la CPI de se concerter avec les gouvernements des Pays-Bas et la République démocratique du Congo (RDC) sur la question de savoir quel Etat endossera de la responsabilité de la détention de ces témoins après leur mise en liberté par la CPI. La décision illustre le défi permanent auquel la CPI a à faire face en matière de coopération interétatique, défi qui a été mis en relief par la question de l’asile et ses implications pour la relation de la CPI avec son pays hôte et avec un pays clé qui a historiquement soutenu le travail de la Cour. Cet article considère la demande d’asile dans le contexte plus large de ses implications politiques sur la coopération Etat partie/CPI.
La demande d’asile: évolutions récentes
Ce blog suit les évolutions relatives à la demande d’asile par les témoins de la défense : voir les postes suivants du 6 juin, du 16 juin, et du 23 juin. Les tensions entre les obligations concurrentes de la CPI ont été signalées ici : à savoir, l’obligation de protéger les témoins conformément à l’article 64 (2) et l’obligation en vertu de l’article 93 (7) de retourner les témoins à leur pays d’origine immédiatement après leur témoignage. La Chambre de première instance II tente de résoudre cette tension en ordonnant une série de mesures, dont il est discuté ici, à mettre en œuvre en RDC et qui, selon elle, allaient répondre à l’obligation de la Cour de protéger ses témoins. Dans des observations transmises par le Greffe le 23 août, la RDC a indiqué sa volonté de coopérer avec ces mesures. Cependant, pour les représentants légaux des demandeurs d’asile, l’analyse de la sécurité de la CPI sur laquelle ces recommandations sont basées ne doit pas être utilisée pour la demande d’asile ; ils affirment plutôt que l’Etat néerlandais est tenu de procéder à sa propre évaluation des risques. Pour les autorités néerlandaises, entreprendre une évaluation signifie qu’il faudrait aborder la substance de la demande d’asile plutôt que d’attendre l’issue des procédures de la CPI. Étant donné les implications potentielles de la décision d’asile pour les témoins de la CPI à l’avenir, les fonctionnaires du ministère néerlandais se sont livrés à des débats publics avec la Cour sur ces questions. Cependant aucun juge n’a été nommé pour traiter de l’affaire d’asile interne, et selon un avocat des demandeurs d’asile il est possible que la réclamation ne soit pas jugée pendant quelque temps – peut-être après les élections congolaises qui sont actuellement prévues pour novembre 28, 2011.
Le contexte politique de la RDC
La question de l’asile a mis en lumière les aspects du contexte politique plus large dans lequel l’intervention de la CPI a lieu en RDC. Selon leurs résultats, les prochaines élections présidentielles et législatives peuvent influencer les demandes des témoins. Comme on le voit ici, les trois témoins ont impliqué le gouvernement congolais sous actuel Président Joseph Kabila dans le massacre de Bogoro, sur lequel porte précisément le procès Katanga et Ngudjolo. Si le gouvernement de Kabila venait à perdre les élections, la base de demandes d’asile des témoins pourraient aussi disparaître en conséquence.
En attendant, le problème de l’asile a affecté les relations entre la Cour et le gouvernement congolais. Le gouvernement a toujours été favorable à la Cour : le président Kabila a commencé par référer la situation du Congo à la CPI, et les autorités congolaises affirment qu’elles ont toujours coopéré avec la CPI pour faciliter son travail. Il y a eu récemment des signes de tension dans leurs relations : lors de la conférence d’état du 12 mai 2011, un représentant du Greffe a dit à la Chambre de première instance que les autorités de la RDC avait « déploré » le fait qu’elles n’avaient pas été invitées à la conférence [i]Dans des observations en date du 15 juin, 2011, le ministre congolais de la Justice et des droits de l’Homme a laissé entendre que la Chambre de première instance II avait violé le mandat de la CPI. [ii] Dans leurs observations les plus récentes, les autorités congolaises ont exprimé leur frustration causée par le retour retardé des témoins, qui avaient auparavant été incarcérés en RDC dans l’attente d’un procès devant des tribunaux militaires en droit congolais. La décision la plus récente de la Chambre de première instance II documente cette frustration, en faisant remarquer qu’ « après avoir exprimé son mécontentement » du retard dans le retour des témoins, la RDC a accepté de se conformer aux mesures de protection au retour des témoins en RDC [iii].
Les réactions en RDC suite à la demande d’asile sont révélatrices de cette tension. Dans une interview à Kinshasa en juin, un magistrat des hautes cours militaires a noté que le gouvernement congolais a été surpris par la demande d’asile des témoins aux Pays-Bas [iv]. Le magistrat a affirmé que la Cour n’avait pas respecté la position du gouvernement congolais, malgré sa coopération avec la CPI. Le fonctionnaire a expliqué que bien que la RDC ait été très coopérative dans le partage d’informations avec la CPI, la relation n’est pas symétrique: quand la RDC demande des informations à la CPI, la Cour s’abstient parfois de répondre ou d’apporter son assistance en invoquant des raisons de sécurité. Un autre magistrat des hautes cours militaires a fait remarquer que si, au tout début, la CPI a bénéficié d’un soutien considérable au Congo, ce soutien a depuis connu un déclin [v]. Cette position a été reprise par des représentants du Comité Mixte de Justice, un organe de coordination pour le système judiciaire congolais et les gouvernements donateurs [vi]. Bien que le gouvernement congolais continue de coopérer à fond avec la CPI, comme indiqué dans ses observations les plus récentes, la question de l’asile des témoins a tendu les relations entre la Cour et un État partie historiquement favorable.
La question de l’asile est également en traitement dans le contexte des efforts locaux continus en vue de l’adoption d’une loi d’application du Statut de Rome de la CPI et la mise en place d’un Tribunal Spécial hybride avec une compétence sui generis pour les crimes internationaux. La législation d’application, qui vise à harmoniser la législation nationale avec le Statut de Rome, fait depuis plusieurs années l’objet de négociations au parlement congolais. La session parlementaire du printemps 2011 n’a fait aucun progrès tangible sur le projet de loi d’application. Il est peu probable que ce projet soit de nouveau examiné avant les élections de novembre prochain, et le soutien politique qu’il recevra ensuite va dépendre en grande partie de la composition de la nouvelle législature et du gouvernement. Si elle avait été adoptée, la loi d’application aurait aidé à clarifier les questions de coopération entre la RDC et la CPI en précisant quelles autorités congolaises sont responsables des questions de coopération et en adaptant certains aspects du système de justice pénale – à la fois justice civile et militaire – pour les aligner sur les articles pertinents du Statut de Rome et d’autres traités internationaux.
La décision de la Chambre de première instance II en date du 24 août invite le Greffe de la CPI à consulter les autorités néerlandaises et congolaises pour ce qui touche à la garde des témoins et à déposer un rapport auprès de la Chambre d’ici la mi-septembre. Les relations entre la CPI et ces deux États parties – l’état hôte (les Pays-Bas) et la République démocratique du Congo – continueront d’attirer l’attention tant que la question de l’asile des témoins restera en suspens.
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[i] Décision du 22 juin 2011, ICC-01/04-01/01 para. 23.
[ii] « Les autorités congolaises regrettent que la Chambre de première instance II ait violé son mandat en acceptant de recevoir la requête des quatre témoins sollicitant qu’ils soient présentés aux autorités néerlandaises dans le but d’introduire leur demande d’asile sans avoir consulté les autorités congolaises et sans avoir proposé de solution alternative qui lui auraient permis de respecter ses différentes obligations de façon équilibrée. » ICC-01/04-01/07-3123. Annexe 1. 15 juin 2011. para. 24.
[iii] Décision du 24 août 2011, ICC-01/04-01/07-3128. para11.
[iv] Interview, 27 juin 2011, Kinshasa.
[v] Interview, 28 juin 2011, Kinshasa.
[vi] Interview, 28 juin 2011, Kinshasa.