Germain Katanga & Mathieu Ngudjolo Chui in court
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Mathieu Ngudjolo Chui?

Par Women’s Initiatives for Gender Justice

Chèrs lecteurs,

Cet article est d’abord paru dans Panorama légal sur la CPI, un bulletin juridique régulier produit par Women’s Initiatives for Gender Justice, une organisation internationale pour les droits des femmes qui milite pour la justice pour les femmes auprès de la Cour pénale internationale (CPI) et qui travaille avec les  femmes les plus touchées par les situations de conflit sous enquête par la CPI. Les vues et opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement les vues et les opinions de l’Open Society Justice Initiative. Pour lire la version intégrale du bulletin juridique Panorama légal sur la CPI, cliquez ici.

Le 9 juin 2011, dans le cadre de l’affaire Katanga-Ngudjolo, la Chambre de première instance II a rendu une décision suspendant le retour immédiat de trois témoins détenus en RDC, dans l’attente de leurs demandes d’asile politique aux Pays-Bas.[i] Les trois individus sont des collègues militaires de l’accusé qui étaient détenus à la prison de Malaka à Kinshasa et qui ont été transférés à La Haye pour témoigner en vertu de l’article 93 du Statut de Rome et de la règle 192 du Règlement de procédure et de preuve. Ces règles créent un cadre procédural qui prescrit au Greffier de s’occuper du transfert et de la garde des témoins et de les renvoyer après leur témoignage. C’est la première fois qu’un témoin devant la CPI demande l’asile.

Dans cette décision, la Chambre a examiné la portée exacte de son devoir de protection des témoins, conformément à l’article 68 du Statut de Rome, soulignant les distinctions entre cette responsabilité et le devoir de la Cour de les protéger contre les violations des droits de l’homme en général[ii]. Elle a déterminé que l’article 68 confie à la Cour un mandat limité à « prévenir les risques encourus par les témoins du fait de leur collaboration avec elle ».[iii] Cependant, la Chambre a reconnu son obligation, en vertu des droits de l’homme internationalement reconnus, de respecter le droit des témoins détenus de demander et d’obtenir l’asile, et elle a conclu qu’elle ne pouvait pas interférer avec ce droit. En particulier, elle a reconnu le principe du non-refoulement qui protège les réfugiés en interdisant qu’ils soient renvoyés dans un endroit où leurs vies ou leurs libertés pourraient être menacées.[iv] La Cour a également déterminé qu’elle n’était pas tenue d’évaluer les risques de persécution encourus par les témoins demandeurs d’asile, et qu’elle n’était pas véritablement en mesure d’appliquer le non-refoulement parce que la Cour ne possède pas de territoire où elle pourrait maintenir des témoins sous sa juridiction. Elle a toutefois conclu qu’elle ne pouvait pas ignorer les droits de l’homme internationaux qui permettent un recours ouvert à la procédure d’asile.[v]    

La Chambre a aussi ordonné au Greffe d’autoriser les contacts entre les témoins détenus et leurs conseils néerlandais, ce qui avait auparavant été interdit par le Greffe en raison d’une entente préexistante avec les autorités congolaises, desquelles une autorisation préalable était nécessaire pour tout contact avec des individus à l’extérieur du centre de détention.[vi] Cependant, dans le cadre des demandes d’asile, la Chambre a déterminé que « cette situation ne saurait perdurer » et elle a ordonné que les conseils néerlandais puissent avoir accès aux témoins dès que possible. La décision a aussi rejeté la demande des avocats néerlandais d’intervenir en qualité d’amicus curiae. Étant donné que la demande d’asile était déjà devant les autorités néerlandaises, la Chambre n’a pas conclu que des observations d’amicus curiae lui seraient « utiles » dans son examen des faits.  

Dans sa décision du 9 juin, la Chambre n’a pas déterminé si des mesures de protection adéquates pouvaient être mises en place avant le renvoi des témoins, soulignant qu’une fois satisfaite des mesures de protection en RDC, « la Cour n’a, en principe, aucune raison de différer à plus tard le renvoi des témoins en RDC ».[vii] Le Bureau du Procureur, le gouvernement du Royaume des Pays-Bas et le gouvernement de la RDC ont tous soumis des demandes d’autorisation d’interjeter appel de la décision.

Dans une décision ultérieure rendue le 22 juin, la Chambre semble toutefois avoir infirmé ses conclusions précédentes, soutenant que :

[p]ar conséquent, les témoins détenus peuvent en principe être transférés dès que l’Unité [d’aide aux victimes et aux témoins] aura confirmé que la RDC a accepté de coopérer avec la Cour sur cette question et que tous les préparatifs nécessaires auront été achevés. La Chambre rappelle cependant à la RDC que même si les mesures susmentionnées sont mises en œuvre, la Cour ne sera en mesure de lui renvoyer les témoins détenus que si les autorités néerlandaises rejettent leur demande d’asile.[viii]

La décision du 22 juin a été rendue après que lereffe ait soumis des observations sur l’efficacité de mesures de protection proposées le 7 juin,[ix] un rapport contesté par les conseils des témoins. Dans sa précédente évaluation des risques, l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins avait considéré que le fait que des témoins aient comparu devant la CPI n’était pas susceptible d’accroître leur degré d’exposition à un risque.[x] L’Unité a cependant relevé qu’il serait difficile de mettre en place des mesures de protection adéquates pour les témoins détenus dans un système carcéral[xi]. Dans sa décision du 22 juin, la Chambre a conclu que la mise en place de plusieurs mesures de protection respecterait les critères nécessaires pour permettre le retour des témoins tel que décrit ci-dessus. Les critères devant être mis en place par les autorités de la RDC incluent : leur incarcération dans le centre en mesure de leur offrir le maximum de protection, sous la supervision de gardes spécialement formés et dans des conditions propres à les protéger des codétenus, avec un accès aux représentants de l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins deux fois par semaine, y compris durant toute procédure les concernant.[xii] 

Les trois témoins affirment que leurs vies et celles de leurs familles seront en danger s’ils sont renvoyés en RDC, car ils connaissent le rôle du gouvernement, en particulier celui du président Kabila, dans l’attaque de Bogoro. Pour soutenir cette allégation, les conseils néerlandais des trois témoins ont fait parvenir une communication urgente à la Chambre de première instance concernant le statut du colonel Richard Beiza Bamuhiga (un Congolais), qui aurait été gravement agressé par les forces de sécurité ougandaises après le retrait de son statut de réfugié à la suite d’un accord intervenu entre les autorités ougandaises et congolaises, et qui serait dans un état critique.[xiii] La Défense de Ngudjolo a aussi présenté des observations appuyant la requête des témoins pour que la CPI ne les renvoie pas en RDC.[xiv]

La Défense de Katanga avait demandé de rencontrer les témoins au centre de détention de la CPI avant leur témoignage. Cette requête a été rejetée par la Chambre de première instance qui a soutenu que le protocole relatif à la familiarisation des témoins interdit ce type de contact. La Chambre a autorisé la Défense de Katanga à tenir des rencontres urgentes avec des témoins dans la partie administrative d’un établissement pénitentiaire en RDC.[xv] Le conseil de la Défense a ensuite demandé que les témoins puissent visiter l’accusé en prison après leur témoignage à la CPI.[xvi] Au moment de cette publication, la Chambre de première instance n’a pas rendu de décision relative à cette requête.

Lire la décision de la Chambre de première instance de suspendre le retour immédiat des témoins.

Lire la décision de la Chambre de première instance relative à la sécurité des trois témoins.

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[i] ICC-01/04-01/07-3003.

[ii] ICC-01/04-01/07-3003, par 59.

[iii] ICC-01/04-01/07-3003, par 61 (c’est nous qui soulignons).

[iv] ICC-01/04-01/07-3003, par 67(9).

[v] ICC-01/04-01/07-3003, par 63(4).

[vi] ICC-01/04-01/07-3003, par 75.

[vii] ICC-01/04-01/07-3003, par 85.

[viii] ICC-01/04-01/07-3033, par 42.

[ix] ICC-01/04-01/07-2989.

[x] ICC-01/04-01/07-2799-Conf cité dans ICC-01/04-01/07-2952, par 26, 32.

[xi] ICC-01/04-01/07-2952, par 12, 33.

[xii] ICC-01/04-01/07-3033, par 41.

[xiii] ICC-01/04-01/07-2963.

[xiv] ICC-01/04-01/07-2965.

[xv] ICC-01/04-01/07-2755.

[xvi] ICC-01/04-01/07-2773.


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