Germain Katanga & Mathieu Ngudjolo Chui in court
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18
Décembre
2012

Ngudjolo acquitté par la CPI

Par Jennifer Easterday

Aujourd’hui, par un second arrêt de la Cour pénale internationale, les juges de la Chambre préliminaire II ont acquitté Mathieu Ngudjolo Chui de toutes les accusations.

«  Si une allégation n’a pas été prouvée hors de tout doute raisonnable cela ne signifie pas nécessairement que l’acte allégué n’a pas eu lieu. Le fait de déclarer une personne non coupable ne veut pas dire que la Chambre est convaincue de l’innocence de la personne, mais seulement qu’elle n’est pas convaincue de la culpabilité de la personne », a fait remarquer le juge président Bruno Cotte.

Les juges ont conclu que l’accusation n’avait pas réussi à prouver hors de tout doute raisonnable que Ngudjolo était le commandant d’un groupe de combattants Lendu (appelé aussi Front nationaliste et intégrationniste – FNI) de la région de l’Ituri en République démocratique du Congo (RDC). Les juges ont fondé toutes leurs conclusions aujourd’hui sur l’autorité exercée par Ngudjolo sur le FNI. Il n’y a pas eu de conclusions sur les crimes eux-mêmes.

Ngudjolo a été accusé de sept chefs de crimes de guerre (utilisation d’enfants de moins de quinze ans pour une participation active à des hostilités ; conduite d’une attaque contre des civils ; homicide volontaire, destruction de biens, pillage, esclavage sexuel et viol) et de trois chefs d’accusation de crimes contre l’humanité (assassinat, viol et esclavage sexuel) qui auraient été commis lors de l’attaque du village de Bogoro le 24 février 2003.

Pour tous les crimes sauf ceux relatifs aux enfants soldats, il est accusé d’avoir commis des crimes par le biais de la «co-perpétration indirecte», où l’accusé a utilisé une organisation hiérarchique (FNI) en vue de perpétrer les crimes. Cela signifie que Ngudjolo aurait contrôlé les combattants qui ont physiquement commis les crimes. L’accusation a affirmé que Ngudjolo était directement responsable des crimes impliquant des enfants soldats. L’accusation a également affirmé que Ngudjolo et Germain Katanga avaient un plan commun visant à « effacer » Bogoro et ses habitants Hema.

Ngudjolo a plaidé non coupable de tous les chefs d’accusation. Il n’a pas nié que des atrocités aient été commises à Bogoro. Cependant, il a nié avoir commandé le FNI lors de l’attaque. Il a affirmé qu’il n’était pas à Bogoro le jour de l’attaque et qu’il n’a rencontré Katanga qu’après l’attaque. La défense de Ngudjolo a fait valoir que l’Accusation n’avait pas réussi à prouver un lien entre les crimes et Ngudjolo. Au contraire, la défense de Ngudjolo a placé le blâme pour l’attaque directement sur le président de la RDC Joseph Kabila. Kabila a lui-même planifié l’attaque de Bogoro, selon la défense de Ngudjolo, parce que Kabila voulait reprendre le contrôle de l’Ituri.

Les juges ont largement suivi cette ligne de défense. Ils ont conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour conclure hors de tout doute raisonnable que Ngudjolo était le commandant de la milice Lendu basé dans le Groupement Bedu-Ezekere. La chambre a considéré que le fait que Ngudjolo soit devenu un dirigeant du groupe en mars 2003 ne signifie pas qu’il a été dirigeant au moment de l’attaque de Bogoro. Les juges n’ont pas fait de conclusions sur l’identité de la personne qui aurait pu être responsable de l’attaque.

L’autorité exercée par Ngudjolo sur le FNI

Les juges ont eu à décider sur le fait de savoir si Ngudjolo a commis les crimes allégués par le biais de son autorité présumée sur les combattants Lendu de Bedu-Ezekere.

L’accusation a soutenu que Ngudjolo a commandé le FNI et était à Bogoro le jour de l’attaque. Cela a été confirmé par des preuves vidéo, a ajouté l’Accusation.

Ngudjolo a témoigné qu’il avait été infirmier et travailleur de la santé pendant la majeure partie du conflit, et n’avait aucune relation avec le FNI jusqu’’après l’attaque de Bogoro. Le jour de l’attaque Ngudjolo a déclaré qu’il était à Zumbe pour aider une femme à accoucher. Il a affirmé qu’il n’a entendu parler du FNI que le 18 mars 2003, quand il a rencontré Floribert Njabu, Président du FNI. Ngudjolo a déclaré que Njabu lui a demandé de s’impliquer dans l’organisation. Le 22 mars 2003, a-t-il ajouté, il a été nommé chef adjoint en charge des opérations du FNI. Cependant, le groupe a rapidement été intégré dans l’armée nationale. Par conséquent, selon son témoignage, il n’a pas effectué d’opérations militaires.

La déposition d’un témoin clé de la défense, Emmanuel Ngabu Mandro, alias « chef Manu », le chef de Zumbe, a confirmé les affirmations de Ngudjolo. Chef Manu a témoigné que Ngudjolo n’était pas le commandant du FNI au moment de l’attaque de Bogoro. Selon le témoin, Ngudjolo était infirmier au centre de santé de Zumbe, et donc pas en mesure de donner des ordres. Chef Manu a déclaré que Ngudjolo n’est devenu le leader du FNI qu’après le 18 mars 2003, environ un mois après l’attaque de Bogoro. A cette époque, il « est parvenu à un accord » avec le FNI, et est resté à Bunia comme chef.

Les juges ont conclu que l’accusation n’avait pas prouvé hors de tout doute raisonnable que Ngudjolo était le commandant de la milice Lendu au moment de l’attaque de Bogoro. Cette décision était fondée sur le manque de preuves crédibles fournies par l’Accusation. Les juges ont également conclu que le témoignage de trois témoins à charge, P250, P279 et P280, était trop contradictoire et imprécis pour constituer la base d’une condamnation. La Chambre a également conclu que le témoignage d’autres témoins de l’Accusation manquait de crédibilité suffisante pour prouver que Ngudjolo était le commandant des combattants de Bedu-Ezekere. D’autre part, la chambre a constaté que le témoignage d’un témoin clé de Ngudjolo, Chef Manu, était crédible, même si elle a traité avec prudence son témoignage au sujet de la responsabilité Ngudjolo.

En ce qui concerne l’accusation d’utilisation d’enfants de moins de 15 ans pour une participation active à des hostilités, Ngudjolo a été directement accusé de ce crime. L’Accusation a affirmé que Ngudjolo avait lui-même utilisé des enfants soldats comme gardes du corps et avait ordonné qu’ils reçoivent une formation militaire. Cependant, la chambre a conclu que, même si les combattants ont utilisé des enfants soldats dans l’attaque de Bogoro, il n’y avait pas suffisamment de preuves pour lier Ngudjolo à ces crimes.

L’attaque de Bogoro

L’Accusation a axé sa plaidoirie sur l’attaque du 24 février 2003 sur Bogoro, un village dans la région de l’Ituri à l’Est de la RDC. L’attaque a commencé dans les premières heures de la matinée, a affirmé l’Accusation. Des soldats Lendu et Ngiti – certains d’entre eux seraient des enfants – sont descendus sur le village alors que la plupart des villageois dormaient encore. Ils se sont mis à tuer, violer, brûler, piller, selon l’Accusation. Les femmes qui ont survécu à l’attaque auraient alors été prises comme esclaves sexuelles, utilisées par les soldats du FNI et du FRPI.

La chambre a fait remarquer que même si elle avait constaté que Ngudjolo n’était pas personnellement responsable des atrocités commises à Bogoro, cela « ne signifie nullement que la Chambre est d’avis qu’aucun crime n’a été commis à Bogoro. Cela ne saurait en aucun cas remettre en question la calamité qui a frappé les populations ce jour-là », a déclaré le juge président Cotte.

 L’impact du jugement

Ce jugement est un autre rappel du fait que les affaires portées devant la Cour pénale internationale vont faire face aux normes les plus élevées en matière de preuve et que les accusés sont vraiment considérés comme innocents jusqu’à ce que leur culpabilité soit établie hors de tout doute raisonnable. Il reflète également les défis actuels auxquels a à faire face en permanence le Bureau du Procureur. La Chambre d’instance I au procès de Thomas Lubanga, auteur du premier arrêt de la CPI, a sévèrement critiqué l’Accusation pour la qualité de ses preuves et sa stratégie de mise en accusation. Même si les juges dans cette affaire n’ont pas ouvertement critiqué l’Accusation,  cette décision est un coup dur pour l’héritage des dix premières années du Bureau du Procureur de la CPI (BdP). Cette décision prête à penser fait que le nouveau procureur, Fatou Bensouda, devra apporter des changements importants aux procédures de poursuites et d’enquête du Bureau du Procureur afin de préserver l’intégrité de la cour.

Le jugement aura également un impact en Ituri, où le travail de la CPI a été mis en doute par certains. L’acquittement d’un chef Lendu juste après la condamnation d’un dirigeant Hema pourrait également exacerber les tensions ethniques dans la région de l’Ituri en RDC. Même si les réactions sur le terrain avant le jugement ont été réservées, ce jugement pourrait être interprété selon des lignes ethniques et renforcer des récits connexes sur le conflit de l’Ituri. En outre, au moins jusqu’à ce que le jugement soit rendu au procès Katanga, le jugement laisse les victimes sans réponses pour ce qui concerne la personne responsable pour les crimes commis pendant l’attaque de Bogoro.

Remise en liberté de Ngudjolo en attendant l’appel

La chambre a ordonné au Greffe de procéder aux préparatifs en vue de la libération immédiate de Ngudjolo. Le ministère public a présenté une demande en vue d’interjeter appel de cette décision, faisant valoir que Ngudjolo devrait rester en détention en attendant l’appel du jugement. Une audience sur la question aura lieu cet après-midi et une décision sera prise avant la fin de la journée.

La disjonction des affaires Ngudjolo et Katanga

Le 21novembre 2012, une majorité de la Chambre préliminaire II, à l’exception de la juge Christine Van Den Wyngaert, a informé les parties qu’elle envisageait une requalification des faits de l’affaire concernant le mode de responsabilité applicable à Germain Katanga. La majorité a reconnu que ces changements ne feraient que prolonger le procès de Germain Katanga et a décidé qu’il n’était pas nécessaire de retarder le jugement au procès de Mathieu Ngudjolo. Par conséquent, afin d’éviter d’éventuelles violations du droit de Ngudjolo à un procès sans retard indu, la majorité a disjoint les charges. La défense de Katanga a indiqué qu’elle ferait appel de cette décision.

 

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