Germain Katanga & Mathieu Ngudjolo Chui in court
qui sommes Germain Katanga &
Mathieu Ngudjolo Chui?

Par Olivia Bueno

Chers lecteurs  – Veuillez trouver ci-dessous un commentaire écrit par Olivia Bueno d’International Refugee Rights Initiative en consultation avec des militants congolais. Les vues et opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement les vues et  opinions d’International Refugee Rights Initiative ou celles   d’Open Society Justice Initiative.

Le 18 décembre 2012, la CPI va annoncer le second verdict de son histoire, celui du procès Mathieu Ngudjolo Chui. Contrairement à la crainte et l’excitation qui ont précédé le verdict en mars du procès  de Thomas Lubanga, cette décision est attendue dans le calme par les populations de la région orientale de la RDC. De nombreux leaders d’opinion hésitent à spéculer sur les conséquences possibles de la décision, et adoptent une attitude attentiste. Selon un dirigeant de la communauté: « Il faut d’abord observer la procédure jusqu’au bout. »

Pourquoi cette réaction plus réservée? Est-ce le reflet d’une simple différence d’approche entre les dirigeants des communautés Lendu et Ngiti (auxquelles appartiennent Katanga et Chui) et leurs homologues de la communauté Hema de M. Lubanga en termes de volonté de s’engager dans des efforts de sensibilisation du public? Un militant spécule que la communauté était moins encline à se faire entendre parce que les populations se sentent plus sous pression en raison de la nature plus sérieuse et plus profonde des accusations de la CPI contre leurs chefs de milice. Ou est-ce que cette retenue est liée au fait que la Cour a déjà rendu un arrêt qui a eu un impact sur l’Ituri et que cette expérience est déjà familière? Est-ce que c’est le fait que la décision Lubanga a été reçue sans incident majeur sur le terrain qui fait que les gens se sentent moins inquiets?

La situation a peut-être été rendue encore plus confuse par la décision prise par les Chambres le 21 novembre 2012 de disjoindre les cas de Chui et Katanga, qui étaient jugés ensemble, et par le retard du verdict du procès de M. Katanga qui en a résulté. Les juges ont fondé leur décision de procéder ainsi, après la fin des plaidoiries et six mois après le début de leurs délibérations, sur une requalification des faits et la proposition qu’un cadre différent pour l’évaluation de la responsabilité pénale soit utilisé dans le cas de M. Katanga. (Voir « Après la clôture du procès, les juges proposent des modifications aux accusations portées contre Germain Katanga»).

La décision de disjoindre les affaires si tard dans le procès, et après présentation des plaidoiries de l’Accusation et de la défense, est d’autant plus difficile à comprendre pour beaucoup en Ituri que le raisonnement juridique est extrêmement technique. En gros les gens se demandent pourquoi la décision a été prise si tard dans le processus et ce qu’elle va probablement signifier en ce qui concerne les verdicts. Au niveau international, certains observateurs qui suivent le procès de près se demandent si la gymnastique autour du recadrage si tardif des charges reflète un souci de renforcer la possibilité d’un verdict de culpabilité. Si les juges trouvent finalement M. Katanga coupable en utilisant ce qui semble être une forme de responsabilité moindre, est-ce que cela sera considéré comme une victoire de la communauté qui espérera ainsi la clémence pour « son » chef de file? Ou considéra-t-on cette décision comme une manipulation juridique inappropriée?

On commence déjà à entendre sur le terrain des rumeurs sur la qualité du procès et l’engagement de la cour. Un porte-parole de la communauté Lendu, par exemple, décrit les faiblesses du procès contre les deux accusés à la radio le 30 septembre 2012 en qualifiant  les enquêtes et poursuites de « précipitées » et « superficielles ». «  Quelle que soit la décision qui sera prise par la cour », selon lui, «  aucune victime et aucun iturien ne sera convaincu. » Un journaliste local et ancien dirigeant de la jeunesse reconnaît que ces déclarations reflètent une méfiance à l’égard de la cour qui se développe au sein des populations Lendu et Ngiti, qui craignent une condamnation de leurs dirigeants à la suite de celle de Thomas Lubanga. D’autre part, la condamnation qui a été prononcée contre Thomas Lubanga Dyilo est perçue dans la communauté comme tout à fait clémente et a suscité dans la communauté l’espoir qu’une clémence similaire pourrait être accordée à « ses » accusés en vertu du traitement équitable des communautés.

Lors d’une séance tenue par l’ONG locale Justice Plus à Bunia le 17 octobre 2012 sur « L’état de la question des réparations dans l’affaire Lubanga, » les participants se sont posé des questions sur l’égalité de traitement des communautés, en faisant valoir que Ngudjolo et Katanga devraient bénéficier de la même considération que celle accordée à Lubanga avec une sentence plus légère afin de promouvoir la réconciliation, la coexistence pacifique de différents groupes ethniques, et une paix durable dans l’Ituri dans son ensemble. Ils craignent que si leurs accusés sont reconnus coupables, et ils ont l’impression qu’il en sera ainsi, et si les peines sont trop sévères,  cela ne fera qu’exacerber chez la communauté Lendu le sentiment qu’elle a fait l’objet d’un traitement injuste. Cette impression a déjà été renforcée par le fait qu’il n’a pas de victimes Lendu aux procès de la CPI (Dans l’affaire Lubanga, tant l’auteur que les victimes étaient de la communauté Hema : dans les affaires présentes les auteurs sont Lendu et originaires de communautés apparentés alors que les victimes sont encore Hema). D’autres ont soutenu qu’on doit laisser la cour faire son travail de manière indépendante et qu’elle doit avoir la liberté de traiter les parties adverses du conflit différemment s’il existe des circonstances juridiques différentes.

Cependant pour beaucoup de gens, la réflexion sur les procès Katanga et Chui semble avoir ressuscité des préoccupations anciennes concernant la cour et la portée de sa justice. Plusieurs de ceux qui sont intervenus lors de la consultation ont réitéré la critique selon laquelle le tribunal n’a poursuivi que du menu fretin  tout en laissant impunis les acteurs les plus puissants, à la fois au niveau national et international. Une ONG locale de droits humains, Action Citoyenne pour la Paix, a exprimé ce sentiment lors du débat d’octobre dont il a été fait état ci-dessus. De même, selon un dirigeant Hema interrogé pour ce blog, « Les victimes veulent que tous les acteurs impliqués dans les crimes en Ituri soient jugés. » Un leader Lesse a émis le même genre de réflexion : « La cour doit procéder à l’arrestation de tous les acteurs, y compris les gros poissons. »

On s’est aussi posé la question de savoir dans quelle mesure les efforts en vue de la reddition des comptes ont contribué à la paix et à la sécurité. Interrogé sur la réaction des victimes aux processus de la CPI, un leader Ngiti a déclaré: « Ici, il n’y a que la déception car les procès ne mettent pas fin à l’insécurité dans la région de l’Ituri »  Un chef Nyali exprime des sentiments similaires, « Vraiment il y a déception car l’insécurité est grandissante sur terrain. Il ne passe pas deux jours sans enregistrer un cas de main armée dans la ville de Bunia. » En effet, la milice FRPI (l’ancienne milice de Germain Katanga) est encore très active et continue d’occuper le territoire de Walendu Bindi, selon un militant local. Toujours selon le même militant, l’existence de l’enquête de la CPI risque d’entraver les efforts visant à mettre fin à l’impasse : des groupes de miliciens ont peur de négocier avec le gouvernement, car ils craignent d’être arrêtés. Particulièrement à la lumière de l’insécurité grandissante dans l’Ituri et la panique provoquée par la progression du M23 au Nord-Kivu, l’impact des décisions de la Cour à cet égard devra être surveillé de très près.

 


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