Le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a présenté des observations supplémentaires sur des éléments de preuve qui, selon elle, montrent que Germain Katanga est coupable de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, même si les accusations portées contre lui sont modifiées. A l’origine, le procureur avait accusé Katanga et son co-accusé Mathieu Ngudjolo de trois crimes contre l’humanité et de sept crimes de guerre qui auraient été commis lors d’une attaque sur Bogoro, village de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Ils ont été accusés en vertu de l’article 25 (3) (a) d’avoir commis des crimes par « coaction indirecte », où Katanga et Ngudjolo auraient utilisé des organisations hiérarchisées (la Force de résistance patriotique en Ituri (FRPI) et le Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI), respectivement) pour mener à bien les crimes selon le plan commun de Katanga et Ngudjolo pour faire disparaître Bogoro.
Agissant en vertu de la Règle 55 du Règlement de la Cour, la majorité de la chambre de première instance, à l’exception du juge Van den Wyngaert, a notifié les parties qu’elle allait probablement changer le mode de responsabilité de Katanga en responsabilité de « but commun » en vertu de l’article 25 (3) (d) (ii). En raison de cette évolution dans l’affaire Katanga, les juges ont disjoint les deux procès et acquitté Ngudjolo, le 18 décembre, 2012. Le parquet a fait appel de son acquittement.
Récemment, la majorité de la Chambre de première instance II a fourni des informations supplémentaires (disponibles ici) sur le changement potentiel. Mme Van den Wyngaert a aussi présenté une opinion divergente (disponible ici).
Dans ses dernières conclusions, l’Accusation a mis l’accent sur deux accusations: 1) les combattants Ngiti de Walendu-Bindi avaient l’intention de commettre les crimes qui leur sont reprochés, et 2) Katanga était au courant de ces crimes lors de l’attaque de Nyankunde, ce qui confirme l’allégation selon laquelle ils ont intentionnellement et sciemment contribué aux crimes commis à Bogoro plus tard. Les éléments de preuve présentés au procès et concernant ces deux questions militent en faveur d’un verdict de culpabilité en vertu du nouveau mode éventuel de responsabilité, selon l’Accusation.
Les combattants Ngiti avaient l’intention de commettre des crimes contre les civils Hema
L’Accusation a rappelé que dans son réquisitoire, elle n’a pas fait mention de l’identité physique des auteurs des crimes. C’est parce que, dans le cadre du mode originel de responsabilité, c’est-à dire la coaction criminelle, Katanga et Ngudjolo auraient été coupables de crimes commis par les combattants Lendu et Ngiti, a expliqué l’Accusation. Par conséquent, il n’était pas important de savoir quel groupe a commis quels crimes à Bogoro, a déclaré le Procureur. Cependant, avec le changement proposé, la majorité de la Chambre de première instance a déclaré qu’elle n’allait compter que sur les éléments de preuve montrant que certains des crimes auraient été commis par des combattants Ngiti de Walendu-Bindi, notamment lorsqu’il existe des preuves selon lesquelles les crimes auraient été commis par les combattants aussi bien Lendu que Ngiti.
L’Accusation a accepté que les preuves selon lesquelles les combattants aussi bien Lendu que Ngiti auraient commis des crimes soient utilisées contre Katanga. Agir autrement aurait dénaturé les éléments de preuve et limité la capacité de la Chambre à déterminer la vérité, a soutenu l’Accusation. Il existe des preuves que les deux groupes sont responsables des crimes, selon l’Accusation. Par exemple, le P-323 a témoigné que les combattants Ngiti et Lendu ont tué au hasard, sans faire de distinction entre soldats de l’Union des patriotes congolais (UPC) et civils, a ajouté l’Accusation. Cela, selon elle, montrait clairement que les Lendu et les Ngiti ont conjointement commis des meurtres.
La chambre devrait également examiner des preuves circonstancielles, telles que le mobile, a soutenu l’Accusation. Les combattants Lendu et Ngiti étaient poussés par la haine et l’intention d’« effacer » Bogoro, a affirmé l’Accusation. L’Accusation a fait valoir que, sur la base de ce mobile, la chambre peut en déduire que les combattants Ngiti ont commis les crimes allégués. Parmi les autres preuves circonstancielles sur lesquelles devrait s’appuyer la chambre figure le fait que les combattants Ngiti se sont réunis à Medhu et Kagaba avant de lancer l’attaque sur Bogoro, ce qui suggère qu’ils ont ensuite participé à l’attaque, a ajouté l’Accusation.
D’autres éléments de preuve montrent l’intention des combattants de cibler et de tuer des civils Hema, selon l’Accusation. L’Accusation a fait état de preuves présentées par le témoin P-132, qui a témoigné qu’elle avait été trouvée par un groupe de combattants qui l’ont violée puis a amenée à un camp Ngiti. Cela montre que les combattants qui l’avaient violée étaient aussi Ngiti, a ajouté l’Accusation.
Le témoin P-268 a également déclaré qu’il était détenu par des combattants dans une pièce remplie de cadavres à l’Institut de Bogoro, a rappelé l’Accusation. P-268 a témoigné que le lendemain, ils ont été forcés par un groupe de combattants Lendu et Ngiti d’attirer d’autres civils hors de leurs cachettes en parlant Hema, a déclaré l’Accusation. Ce témoin a déclaré que le groupe mixte de combattants a alors commencé à tirer et a capturé les civils, selon l’Accusation. Le témoin P-233, qui savait que les agresseurs étaient Lendu et Ngiti, a corroboré cette preuve, a soutenu l’Accusation. Ces données montrent que les combattants Ngiti étaient responsables des crimes qui auraient été commis à Bogoro, selon l’Accusation. Elles constituent aussi la preuve que les combattants avaient l’intention d’attaquer des civils Hema, toujours selon l’Accusation.
Katanga était au courant des crimes commis au cours de l’attaque sur Nyankunde
L’Accusation a soutenu qu’il existe des preuves selon lesquelles Katanga a participé à l’attaque sur Nyankunde. L’attaque sur Nyankunde était l’attaque la plus importante de tout le conflit de l’Ituri, a fait remarquer l’Accusation. Des témoins ont déclaré que c’était une attaque bien connue impliquant des combattants Ngiti et le massacre de civils, selon l’Accusation. En outre, a soutenu l’Accusation, Katanga, qui avait été impliqué dans les forces d’autodéfense de sa communauté depuis 2002, a de la famille étendue à Nyankunde. Par conséquent, même s’il n’a pas participé à cette attaque, a ajouté l’Accusation, il a du en entendre parler ainsi que des crimes qui y ont été commis.
L’Accusation a fait remarquer qu’un témoin de la défense qui avait participé à l’attaque sur Nyankunde a témoigné que c’était pour se venger d’une attaque de l’UPC sur Songolo. Katanga a aussi témoigné qu’après l’attaque de l’UPC sur Songolo des combattants dirigés par des commandants Ngiti et l’Armée du peuple congolais (APC) ont attaqué Nyankunde, a rappelé le procureur. Ils ont admis que des femmes, des enfants et des personnes âgées ont été tués pendant l’attaque, mais ils ont nié y avoir participé, selon l’Accusation.
Nyankunde est pertinent pour les juges lorsqu’il s’agit de déterminer la responsabilité de Katanga pour l’attaque sur Bogoro, a fait valoir le procureur, car les deux attaques ont impliqué les mêmes combattants Ngiti et Lendu. Un témoin de la défense a déclaré avoir participé aux deux attaques, selon le procureur. D’autres témoins ont fourni des preuves selon lesquelles Cobra Matata avait conduit des forces dans les deux attaques, celle de Nyankunde et celle de Bogoro. En outre, toujours selon le procureur, les Ngiti détestaient, et ciblaient les civils Hema à Nyankunde et les forces de l’UPC qui avaient attaqué Songolo. Cela reflète la haine des Hema qui a conduit les Lendu et les Ngiti à attaquer Bogoro, a soutenu le procureur.
Selon l’Accusation, le fait que Katanga savait que ces commandants et ces combattants étaient impliqués dans l’attaque sur Nyankunde, et qu’il avait connaissance des types de crimes qui y avaient été commis, montre qu’il devait savoir que contribuer à l’attaque sur Bogoro impliquait aussi la perpétration des crimes. Il est évident que Katanga savait que les combattants qui ont attaqué Bogoro avaient l’intention d’y commettre des crimes, a fait valoir l’Accusation.
Selon l’Accusation, tout ceci constitue la preuve que Katanga est coupable des crimes qui lui sont reprochés selon le nouveau mode de responsabilité.