La Chambre de première instance II de la Cour pénale internationale (CPI) a appliqué une norme impossible lorsqu’elle a acquitté Mathieu Ngudjolo, a déclaré l’Accusation en appel. Contestant l’acquittement par la Chambre de première instance de Ngudjolo pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, l’accusation a soulevé trois motifs d’appel :
- La Chambre de première instance a commis une erreur de droit en appliquant la norme « la culpabilité hors de tout doute raisonnable » figurant à l’article 66 (3) du Statut de Rome ;
- La Chambre de première instance a erré en droit en appliquant l’article 74 (2) car elle qu’il n’a pas tenu compte de toutes les preuves et faits en rendant sa décision ; et
- La Chambre de première instance a commis une erreur de procédure et mal appliqué l’article 64 (2), qui prévoit que « la Chambre de première instance veille à ce que le procès soit équitable et rapide et soit mené dans le plein respect des droits de l’accusé et de la protection des victimes et des témoins. »
Ngudjolo a été inculpé de sept chefs d’accusation de crimes de guerre (avec utilisation d’enfants de moins de quinze ans, pour participation active à des hostilités ; direction d’une attaque contre des civils ; homicide volontaire, destruction de biens, pillage, esclavage sexuel et viol) et de trois chefs d’accusation de crimes contre l’humanité (assassinat, viol et esclavage sexuel) qui auraient été commis lors d’une attaque contre le village de Bogoro, en République démocratique du Congo (RDC) le 24 février, 2003.
Pour tous les crimes sauf ceux relatifs aux enfants soldats, il est accusé d’avoir commis des crimes par « coaction indirecte », où l’accusé a utilisé une organisation hiérarchisée (le Front des nationalistes et intégrationnistes – FNI) pour commettre les crimes. Cela signifie que Ngudjolo aurait exercé un contrôle physique sur les combattants qui ont commis les crimes. L’Accusation a affirmé que Ngudjolo était directement responsable de ce crime impliquant des enfants soldats. L’Accusation a également affirmé que Ngudjolo et Germain Katanga, qui était son co-accusé jusqu’à la disjonction des procès avaient un plan commun visant à « effacer » Bogoro et ses habitants Hema.
Ngudjolo a plaidé non coupable de toutes les accusations. Il n’a pas nié que des atrocités aient été commises à Bogoro. Cependant, il a nié avoir commandé le FNI lors de l’attaque. Il a affirmé qu’il n’était pas à Bogoro le jour de l’attaque et qu’il n’a rencontré Katanga qu’après l’attaque. La défense de Ngudjolo a fait valoir que l’Accusation n’avait pas réussi à prouver un lien entre Ngudjolo et les crimes. Elle avait plutôt carrément attribué l’attaque au président de la RDC Joseph Kabila. Selon la défense de Ngudjolo, c’est Kabila lui-même qui a planifié l’attaque de Bogoro car il voulait reprendre le contrôle de l’Ituri.
Les juges ont conclu que l’Accusation n’avait pas réussi à prouver hors de tout doute raisonnable que Ngudjolo était le commandant du FNI. Les juges ont conclu que les preuves ne suffisaient pas pour conclure au-delà de tout doute raisonnable que Ngudjolo était le commandant de la milice Lendu basée au Groupement Bedu-Ezekere. La Chambre a considéré que le fait que Ngudjolo soit devenu un chef de file du groupe en mars 2003 ne signifiait pas qu’il en était l’un des dirigeants au moment de l’attaque de Bogoro.
Ce raisonnement est vicié, a soutenu l’Accusation en appel, et la Chambre d’appel devrait infirmer l’acquittement.
« Culpabilité hors de tout doute raisonnable »
Bien que le procureur ait reconnu l’importance de la norme « hors de tout doute raisonnable » requise pour une condamnation, il n’exige pas « que la Chambre recherche et rejette toutes les conclusions contraires possibles, même si elles sont irréalistes ou non étayées » avant de pouvoir condamner, a fait valoir l’Accusation . Cependant, c’est cette approche que la Chambre a adoptée au procès Ngudjolo, a soutenu l’Accusation. Elle a appliqué un critère de preuve excessivement difficile, et a recherché « toutes les explications potentiellement contraires » aux preuves militant en faveur de la culpabilité de Ngudjolo, même si ces explications alternatives n’étaient pas étayées par les preuves ou étaient absurdes. L’Accusation a soutenu que les conclusions de la Chambre de première instance «au mieux établissent une lecture alternative hypothétique de la preuve. » Selon l’Accusation, la Chambre de première instance a en fait exigé des preuves hors de tout doute.
Par exemple, le procureur a mis en évidence les preuves présentées par le témoin P-317. Un enquêteur des droits de l’homme de l’ONU, P-317 a témoigné que Ngudjolo lui avait avoué qu’il a organisé l’attaque de Bogoro du 24 février, 2003. Il lui aurait dit que Bogoro était une cible militaire légitime et qu’aucun civil n’y habitait à l’époque. Selon le procureur, bien que la Chambre de première instance ait considéré P-317 comme un témoin fiable et accepté que Ngudjolo ait avoué l’organisation de l’attaque, la Chambre de première instance n’a pas accepté cela comme une preuve de sa culpabilité. La Chambre a conclu que son aveu n’était pas assez détaillé et a estimé qu’il était possible qu’il lui ait menti sur son rôle dans l’attaque afin d’améliorer sa réputation dans l’armée congolaise. Selon l’Accusation, cette conclusion est « totalement spéculative et ne repose pas sur des faits. » Si on l’interprète correctement, l’aveu de Ngudjolo montre qu’il tentait de se défendre en légitimant l’attaque plutôt que de renforcer son implication dans l’attaque, a soutenu l’Accusation.
L’Accusation a soutenu qu’elle ne pouvait pas trouver de précédent où les juges ont convenu qu’une personne a avoué sciemment et volontairement, « mais ont refusé d’admettre l’aveu à cause d’une explication spéculative – non étayée par le dossier et jamais présentée par la défense – selon laquelle la personne avait une raison “possible” mentir. »
Il s’agit d’un exemple de l’approche « viciée » de la Chambre de première instance en matière d’évaluation des preuves et, finalement, sa décision d’acquitter Ngudjolo, a déclaré l’Accusation. L’application de cette norme « irréaliste » de la preuve, a soutenu l’Accusation, explique pourquoi elle n’a pas pu conclure au-delà de tout doute raisonnable que Ngudjolo avait autorité sur les combattants Lendu qui ont attaqué Bogoro.
Compte tenu de tous les éléments de preuve
La Chambre de première instance a également omis d’examiner toutes les preuves ensemble, a soutenu l’Accusation. Selon l’Accusation, l’analyse de la chambre était « compartimentée » et « sélective » et « ignorait » d’importants éléments de preuve concluante. Lorsque la Chambre de première instance trouve un élément de preuve compatible avec un autre, elle met en question sa crédibilité en soutenant que cette compatibilité pourrait être due à une « collusion », a ajouté l’Accusation.
L’Accusation a expliqué que l’évaluation de la preuve effectuée par les juges se déroule en trois étapes. Tout d’abord, la Chambre de première instance évalue la fiabilité et la crédibilité de la preuve. Deuxièmement, la Chambre utilise les éléments de preuve fiables et crédibles pour décider si l’Accusation a prouvé tous les faits allégués. Troisièmement, les juges doivent déterminer si tous les éléments des crimes et des modes de responsabilité ont été prouvés hors de tout doute raisonnable. Cependant, selon l’Accusation, la Chambre de première instance a omis de considérer l’ensemble de la preuve à chacune de ces trois étapes.
En particulier, l’Accusation a contesté le traitement par la Chambre de première instance de la prétendue «Lettre de savon», que le témoin de la défense D03-66 a admis avoir écrite. L’Accusation a soutenu que la lettre constituait une preuve essentielle qui corroborait le témoignage des témoins à charge sur l’organisation par Ngudjolo de l’attaque de Bogoro. Cependant, la Chambre de première instance n’a pas considéré la lettre comme authentique et ne s’est donc pas basée sur elle dans ses conclusions. Selon l’Accusation, la Chambre de première instance n’a pas dûment examiné la totalité du témoignage de D03-066 et d’autres preuves concluantes avant de rejeter l’authenticité de la lettre.
L’Accusation a également fait valoir que la Chambre de première instance n’a pas correctement évalué la crédibilité de ses témoins et n’a pas tenu compte des preuves essentielles pertinentes dans la détermination des faits. Selon l’Accusation, le mauvais traitement infligé aux preuves par la Chambre l’a conduit à acquitter Ngudjolo.
Droit à un procès équitable et protection des témoins et des victimes
L’Accusation a également fait valoir que la Chambre de première instance a commis une erreur de procédure et mal appliqué l’article 64 (2). Cet article prévoit que « la Chambre de première instance veille à ce que le procès soit équitable et rapide et soit mené dans le plein respect des droits de l’accusé et la protection des victimes et des témoins. » L’Accusation a fait valoir que la Chambre de première instance a violé le droit de l’accusé à un procès équitable. Cependant, toutes les autres informations relatives à ce moyen d’appel ont été expurgées du mémoire d’appel public.
Procédure d’appel
La Chambre d’appel n’est pas liée par l’interprétation que fait de la loi la Chambre de première instance II. La Chambre d’appel rendra ses propres conclusions sur la façon dont la loi doit être interprétée et puis utilisera cette interprétation en vue d’examiner les conclusions factuelles de la Chambre de première instance.
En ce qui concerne les prétendues erreurs de fait, la Chambre d’appel s’en remet généralement aux conclusions de la Chambre de première instance, même si cela signifie adopter une conclusion différente. Elle n’interférera avec les conclusions factuelles que si la Chambre de première instance a commis une erreur évidente – lors que la preuve n’allait pas raisonnablement conduire à la même conclusion.
La Chambre d’appel va faire preuve d’une certaine déférence à l’égard de la Chambre de première instance dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de cette dernière en matière de procédure. Pour de prétendues erreurs de procédure qui étaient essentielles au verdict ou pourraient potentiellement faire rejeter ou réviser la décision, la Chambre d’appel n’interviendra que lorsque la Chambre de première instance a abusé de son pouvoir discrétionnaire.
Pour les raisons exposées ci-dessus, l’Accusation a soutenu que la seule conclusion raisonnable qu’un juge des faits pourrait avoir tirée sur la base des preuves et des constatations de fait pendant le procès, c’est que Ngudjolo était le chef des combattants Lendu qui ont attaqué Bogoro. En conséquence, selon l’Accusation, la Chambre d’appel devrait infirmer l’arrêt de la Chambre de première instance acquittant Mathieu Ngudjolo. Elle a demandé à la Chambre d’appel de constater que Ngudjolo était le chef de la milice Lendu. Elle a également demandé que la Chambre d’appel renvoie l’affaire devant une Chambre de première instance différente pour l’inclusion d’autres conclusions factuelles et juridiques dans les charges.