Germain Katanga & Mathieu Ngudjolo Chui in court
qui sommes Germain Katanga &
Mathieu Ngudjolo Chui?

Par Sheila Vélez

Nous vous présentons la Chronique Katanga et Ngudjolo #3, qui à l’origine a été publiée sur le site web d’Aegis Trust.  Les vues et opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions d’Open Society Justice Initiative.

Le témoin 233 reprend son témoignage à huis clos. « Je vais poser des questions sur plusieurs noms », annonce le Procureur Eric MacDonald. Toute information pouvant conduire à l’identification du témoin et sa famille doivent rester confidentielles, alors tombe sur la tribune publique.

C’est seulement près de quinze minutes après que la voix du Procureur est à nouveau audible. « Je voudrais revenir sur les événements du 24 février 2003. » Lorsque le village de Bogoro a été attaqué, le témoin 233 a cherché refuge dans la brousse. On a dit à la population de se précipiter vers le camp militaire contrôlé par l’UPC. Mais le témoin 233 n’y est jamais parvenu. De sa cachette, il assisté à ce qui s’est passé ce jour-là.

« On n’entendait que les coups de feu et l’explosion des bombes. Je voyais le camp militaire brûler et les gens s’enfuir vers les montagnes. Les soldats de l’UPC fuyaient avec les populations. On nous a dit que l’ennemi était dans le camp militaire, que les gens étaient blessés à coups de machette », dit le témoin.

La population de Bogoro avait reçu des avertissements au sujet d’attaques possibles. « Il y avait des rumeurs », a déclaré le témoin 233. « Les gens n’étaient pas sûrs de cette information, ce n’était pas concret. Quand l’attaque a eu lieu, les gens ont été surpris. » Lorsque Bogoro a été attaqué, la réaction des gens a été de courir vers le camp militaire. Ceux qui ont été assez chanceux pour l’atteindre sont partis avec les soldats de l’UPC. Ceux qui ne l’ont pas atteint ont été tués. « Pour certains, il était impossible d’arriver au camp en raison de la distance. Quand ils ont ouvert le feu, il nous a fallu agir rapidement, mais les soldats ennemis ont pris des positions dans la région », dit le témoin. Certaines personnes ont été piégées et identifiés par les soldats, qui ont demandé aux civils de leur parler dans leur langue maternelle.

La question de la langue se pose dans ce témoignage comme une question importante. Hier, l’équipe de l’Accusation a demandé au témoin de dire la Cour quelle langue a été utilisée par ceux qui ont dit qu’il était sûr de sortir des cachettes. Les mots prononcés étaient en swahili et en Kihema, les langues parlées par l’ethnie Hema. « Avez-vous entendu dire autre chose dans une autre langue? » demande M. MacDonald. « Non », répond le témoin. Il semble que le Procureur ait eu des informations différentes du témoin 233 dans une déclaration antérieure. Eric MacDonald demande à la Chambre la permission de rafraîchir la mémoire du témoin. Il s’ensuit une discussion juridique.

« Votre Honneur, si cette demande est accordée, il s’agira d’un évènement unique dans l’histoire de cette Cour », a déclaré l’avocat de la défense de M. Katanga, Andreas O’Shea, qui considère la requête du Ministère Public comme inappropriée. « Les éléments de preuve doivent être encore vivants et basés sur la mémoire des témoins. » Le Procureur a l’intention soit de lire un extrait de la déclaration faite par le témoin en 2007, soit de permettre au témoin de le relire lui-même. « Il peut aussi reconnaître sa signature, ce qui lui permettrait de corriger toute erreur dans sa déclaration », souligne M. MacDonald. Mais les équipes de la défense de Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo objectent fortement, faisant valoir que le témoin ne semble pas avoir de difficultés à se rappeler les événements. « Le témoin n’a pas dit : ‘J’ai un problème de mémoire.’  Il n’a pas dit : ‘Je ne me souviens pas.’ Le témoin a donné une réponse. Nous n’acceptons pas que l’on rappelle au témoin ce qu’il a dit dans une déclaration antérieure simplement parce que le Procureur n’a pas obtenu la réponse qu’il veut. Ce n’est pas une question de défaut de remémoration », dit M. O’Shea.

Comme l’a souligné le Procureur, plus de trois années se sont écoulées depuis cette déposition du témoin 233. Le témoin lui-même veut aussi intervenir: « Je présente mes excuses à tout le monde ici, je ne peux pas être sûr du moment où un événement s’est produit, je n’ai rien à cacher. Vous pouvez trouver des contradictions, mais vous avez ma déclaration Si j’ai oublié quelque chose vous pouvez me rafraîchir la mémoire. Je suis un être humain. Comprenez-moi, s’il vous plaît. » La Chambre décide finalement de suspendre l’audience pendant dix minutes.

Les minutes s’égrènent pendant que la Chambre prend une décision. Bien qu’ils aient concédé qu’ils étaient sensibles aux difficultés que le témoin peut connaître à se souvenir de certains événements, les juges considèrent que le Procureur pourrait obtenir la réponse qu’il souhaite en reformulant ses questions. La demande est donc rejetée, mais Eric MacDonald insiste, et avant la pause-déjeuner, l’Accusation obtient ce qu’elle cherche. « Quelle langue parlaient ces cinq combattants? » demande M. MacDonald. « Ils parlaient kilendu », dit le témoin 233, se référant à la langue maternelle de la communauté Lendu. Dans l’après-midi, le témoin 233 dit à la Cour qu’il s’est rendu à Bunia, capitale de la province de l’Ituri, à 20 km au nord-est de Bogoro. Il y a rencontré des survivants de l’attaque du 24 février et il a eu l’occasion de parler de la façon dont les événements se sont déroulés. « En particulier ce qui est arrivé aux jeunes femmes et aux jeunes filles », souligne le procureur, qui souhaite explorer les conversations de manière plus détaillée. Mais la façon dont M. MacDonald formule la question suscite une objection de la part de la défense. « C’est là une question qui suggère sa propre réponse », affirme M. O’Shea. Le Procureur doit reformuler sa question. Compte tenu de la sensibilité de la question, M. MacDonald demande que les travaux se poursuivent à huis clos.

Un long silence précède de nouveaux détails sur la fuite du témoin. Le témoin 233 a quitté Bunia, et a pris la direction de Mandro. Il est resté à Kasenyi, village à 48 km de Bunia pendant une semaine. Il y a trouvé des soldats de l’UPC. « Nous avons remarqué que les soldats avaient peur, de même que la population. Ils ont pensé que si Bogoro est tombé, Kasenyi allait également tomber. La situation était incertaine », dit le témoin. Bunia, Mandro, Bogoro, Kasenyi. Entre 1999 et 2003, l’Ituri a été le théâtre d’un conflit violent entre les ethnies Lendu, Ngiti et Hema.

Le jour fatidique du 24 février 2003, près de deux cents personnes ont été tuées à Bogoro. La communauté Hema dans le village a dressé une liste des victimes, tant civiles que militaires. « Chacun a indiqué le nombre de parents qui avaient été tués. Nous avons soumis la liste au chef », explique le témoin 233.


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