Pour la première fois dans l’histoire de la Cour pénale internationale (CPI), un accusé a pris la parole pour assurer sa propre défense. Germain Katanga est accusé d’avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité lors d’une attaque contre Bogoro, un village de la région de l’Ituri en République démocratique du Congo (RDC). Il s’est présenté à la barre mardi pour assurer sa propre défense.
Katanga aurait été le chef de la Force de résistance patriotique en Ituri (FRPI), une milice Ngiti. Katanga a commencé son témoignage en donnant des informations générales d’ordre personnel sur sa famille et son éducation. Il a également fourni des informations contextuelles sur le conflit en Ituri jusqu’à l’attaque de Bogoro.
Le témoignage du Katanga peut contribuer à la clarification des détails d’un conflit complexe avec un large éventail d’acteurs. Par ailleurs, son témoignage peut aider son équipe de défense à dissiper les allégations de l’Accusation concernant sa responsabilité présumée dans des crimes commis à Bogoro.
L’équipe de défense de Germain Katanga ne nie pas qu’il y ait eu une attaque contre Bogoro. Toutefois, selon la défense, Katanga n’est pas responsable de l’attaque. La responsabilité incombe plutôt aux ougandais, aux rwandais, au gouvernement central de Kinshasa, et à d’autres milices locales, telles que l’Union des patriotes congolais (UPC) dirigée par Thomas Lubanga.
Ce rapport couvre les deux premiers jours de son témoignage. Le co-accusé de Katanga, Mathieu Ngudjolo, doit également témoigner le mois prochain. Ngudjolo aurait été le chef du Front nationaliste et intégrationniste (FNI), une milice Lendu liée à la FRPI.
« Ma naissance a été une erreur »
Katanga a commencé son témoignage en décrivant sa famille et son éducation. Sa naissance a été une « erreur », selon lui. Sa mère était dans un couvent lors qu’il a été conçu, a-t-il expliqué. Lorsqu’il était bébé, Katanga a été envoyé pour vivre avec son oncle et la femme de son oncle à Mambasa.
Son oncle était un soldat des Forces armées zaïroises et a trouvé la mort pendant la bataille en 1996. À l’époque, Katanga était âgé de 18 ans et, selon son témoignage, était membre de la garde civile à Isiro. Il a également étudié les mathématiques et la physique à l’école secondaire locale, a-t-il ajouté.
Katanga a expliqué qu’après la mort de son oncle, il a décidé de rechercher ses parents biologiques et poursuivre ses études. Selon lui, il n’a rencontré son père qu’en 1998, à l’âge de 20 ans. Son père habitait à Aveba et Katanga a déclaré que son père l’a inscrit à l’Institut Bajanga situé non loin de là.
Katanga a également parlé de son identité ethnique. Il a expliqué que bien que son oncle, l’épouse de son oncle, et sa mère à lui soient d’ethnie Yogo, lui, Katanga était d’ethnie Ngiti, ethnie de son père.
Selon Katanga c’est à la mort de son oncle qu’il s’est demandé de quelle ethnie il était. D’après son témoignage, il semble qu’il ne s’est pas identifié avec l’ethnie Ngiti et n’a su qu’il était de cette ethnie que lors qu’il a rencontré son père biologique.
Attaques ougandaises
Katanga a expliqué que « tout a commencé », lorsque l’armée ougandaise a attaqué la région en 2000. « Les ougandais étaient sans pitié, » a-t-il affirmé.
Les habitants ne connaissaient pas les objectifs des ougandais, et ont décidé de former des groupes d’autodéfense pour se défendre contre les attaques. Katanga a témoigné que les attaques comprenaient le bombardement par hélicoptère et l’incendie des maisons dans les villages.
Il a décrit une attaque dont il avait été témoin, où les ougandais ont ouvert le feu sur les étudiants de l’Institut Bajanga, où Katanga était lui-même étudiant à l’époque. C’est la première fois qu’il a eu l’idée de rejoindre le groupe d’auto-défense, a-t-il dit.
A cette époque, selon Katanga, il n’y avait pas d’élément ethnique dans les combats.
Les efforts de Bemba en vue de la paix
Katanga a déclaré que Jean-Pierre Bemba Gombo (également en procès à la CPI pour des crimes commis dans le conflit en République centrafricaine) est venu à la zone de Walendu-Bindi en 2001 pour tenter de rétablir la paix. Après le départ de Bemba, a expliqué Katanga, il y a eu une accalmie dans les combats.
Cependant, a-t-il dit, les ougandais sont revenus et les choses ont empiré.
« Combattants » et groupes d’auto-défense
Katanga a aisément admis qu’il avait rejoint les groupes d’auto-défense. Il a décrit les premiers jours des combats, quand les « combattants » se battaient avec des armes traditionnelles. Selon Katanga, ils étaient mal entrainés et mal équipés.
Il a également expliqué la signification des termes « combattant », « milices » et « jeunes » ou « jeunes gens». Les explications données par Katanga sur la compréhension usuelle de ces mots pourraient aider les juges à mieux comprendre la façon dont les témoins utilisaient ces termes.
Il a appelé “combattantisme” le phénomène des groupes d’auto-défense formés par des gens appelés « combattants ». Il a dit que pour un villageois, le mot « combattant » signifiait un homme qui se bat avec des armes traditionnelles. Toutefois, il a dit qu’il considérait comme combattants ceux qui sont allés au front avec leurs armes traditionnelles.
Selon le témoignage de Katanga, si vous aviez une arme à feu, on ne vous appelait pas combattant. Les « soldats » étaient les hommes qui combattaient avec des groupes armés organisés, tels que l’UPC et l’APC.
Katanga dit que l’usage des mots « combattant » et « milice » s’est développé au cours du conflit et ces mots ont acquis leur propre sens. Les villageois ne comprenaient ni n’utilisaient vraiment ces termes, a-t-il ajouté. Par exemple, certains villageois utilisaient le terme « milice » pour décrire leurs enfants indisciplinés ou désobéissants.
Selon Katanga, les sages du village les appelaient « les jeunes ». Ce mot a aussi changé au fil du temps pour désigner des groupes d’autodéfense, et c’est ainsi que le mot combattant en est venu à être utilisé par tout le monde, a-t-il expliqué. C’était le mot « sacré » qu’il fallait utiliser, a-t-il dit.
Tensions ethniques
Katanga a témoigné sur le début des tensions ethniques au cours du conflit. Il a affirmé que les dirigeants de la collectivité Andisoma ont donné au peuple Bira des armes blanches pour attaquer les Lendu.
« Les Lendu étaient pourchassés et tués et chassés de Nyankunde, » a-t-il dit.
Katanga a témoigné qu’il habitait dans la région surtout peuplée de Ngiti, à Kalingi. A Kalingi, quand les combattants Bira sont arrivés, ils se sont montrés impitoyables, a-t-il ajouté.
« Nous avons essayé d’éloigner nos familles et de chercher refuge à l’hôpital, » a Katanga aux juges.
Les Lendu ont été obligés de quitter Nyankunde, a-t-il dit. Katanga a expliqué qu’après l’attaque d’août 2001, il est parti avec sa famille et s’est rendu à Aveba.
La majorité des Bira n’a pas pris part au conflit, a-t-il dit. Il a déclaré qu’on lui avait dit que c’était les Hema qui ont influencé les Bira et les ont poussés à agir contre les Lendu.
« Bien sûr, les Hema étaient capables de faire cela, » a-t-il dit.
Katanga a nié avoir eu des préjugés contre les Hema. Il a dit avoir vécu avec des Hema et être allé à l’école avec eux. En fait, selon lui, à une certaine époque il avait habité avec un membre de la famille de Thomas Lubanga, qui était le chef de l’UPC, une milice Hema.
Katanga a déclaré qu’en dehors de la communauté Ngiti, personne ne savait vraiment rien des tensions ethniques qui existaient dans la région.
L’attaque de Nyankunde
Katanga a également discuté des événements majeurs du conflit qui a eu lieu dans la région en 2002, y compris le retrait des ougandais de la collectivité, l’arrivée de Lopondo et du RCD / KM-L, l’attaque de l’UPC sur Lopondo à Bunia en août 2002, et jusqu’au 5 septembre, 2002 sur Nyankunde.
Katanga a dit qu’il n’avait pas participé à l’attaque du 5 septembre contre Nyankunde. Cependant, il a déclaré avoir plus tard appris qu’il y avait une catastrophe à Nyankunde. Il s’y est rendu en octobre, avant la reprise de Nyankunde par l’UPC plus tard au cours du mois. Katanga a témoigné que la situation était désastreuse à Nyankunde et que l’hôpital avait été détruit.
Selon lui, au moment de l’attaque, il était « combattant » et habitait Niabire (orthographe phonétique), où il se livrait au commerce des peaux de bête qu’il obtenait par la chasse. Il a témoigné qu’il occupait le poste de garde du corps de Kasaki Bandro, le guérisseur et féticheur d’Aveba.
Katanga a expliqué que s’il y avait des problèmes causés par un combattant contre des civils, les hommes Kasaki étaient appelés à la rescousse. Ils ont essayé de travailler comme gardes du corps, mais s’il y avait des problèmes entre les combattants et la population civile, alors ils essayaient d’intervenir, a-t-il expliqué.
Retour de Katanga à Aveba
Katanga a déclaré être retourné à Aveba avec Kasaki fin 2002.
Selon le témoignage de Katanga, le camp de BCA à Aveba été mis en place dans la seconde moitié de 2002, peu avant l’attaque de septembre sur Nyankunde. Le camp était occupé par les combattants locaux et un peloton de l’APC.
Selon Katanga, le peloton d’environ 36 hommes a d’abord été sous le commandement d’Alpha Baby, ensuite Kambale (aussi appelé Mbale). Le chef du peloton pouvait donner des ordres aux combattants locaux, en collaboration avec les chefs des combattants, a ajouté Katanga.
À l’automne de 2002, il y avait, selon les estimations de Katanga, environ 500 combattants dans le camp de BCA à Aveba. Ce n’était pas tous des gens d’Aveba, a-t-il dit, mais des gens qui avaient fui les villages environnants.
Il y avait trois principaux commandants. Selon Katanga, c’était des indigènes qui n’avaient aucune formation militaire.
Comme l’a plusieurs fois répété Katanga dans son témoignage, les combattants se battaient généralement avec des armes traditionnelles telles que des machettes (considéré par Katanga comme « instrument de travail »), des lances, des arcs et des flèches. Il est possible qu’ils aient possédé quelques armes à feu, a-t-il dit.
Le témoignage de Katanga se poursuit la semaine prochaine. Après son interrogatoire, il sera soumis à un contre-interrogé par l’Accusation.