Germain Katanga & Mathieu Ngudjolo Chui in court
qui sommes Germain Katanga &
Mathieu Ngudjolo Chui?

Par Olivia Bueno

Chers lecteurs – Veuillez trouver ci-dessous un commentaire écrit par Olivia Bueno de l’International Refugee Rights Initiative en consultation avec des activistes congolais. Les vues et opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions de l’International Refugee Rights Initiative ou de Open Society Justice Initiative.

Le 26 août 2011, la Chambre d’Appel de la Cour pénale internationale (CPI) a statué que trois témoins, qui avaient été appelés à La Haye pour témoigner pour la défense dans l’affaire Katanga, pourraient, en principe, être retournés à la République Démocratique du Congo (RDC). Avant leur transfert à La Haye, les trois anciens chefs de milice avaient été en détention à la prison de Makala à la RDC (pour plus d’informations sur ces trois, voir « La comparution d’anciens miliciens de l’Ituri alimente les spéculations »). Floribert Ndjabu et Pierre Célestin Mbodina (Pitchou) ont été détenus depuis 2006 après avoir été impliqués dans le meurtre de Casques bleus de l’ONU et, plus récemment, Shérif Manda a été détenu après avoir été accusé d’avoir dirigé les rebelles du Front Populaire pour la justice au Congo. Aucun n’avait encore été traduit en justice. Après avoir fait leur déposition, les témoins détenus avaient demandé l’asile aux Pays-Bas ainsi que des mesures de protection à la Cour. Ils ont soutenu que leur témoignage relatif à l’implication du Chef de l’Etat congolais dans le massacre de Bogoro pouvait les exposer à de nouvelles menaces sur leur sécurité au Congo.

Dans la décision, la Chambre d’appel a affirmé que les mesures de protection pour les témoins qui avaient été ordonnées (voir discussion ci-dessous) seraient suffisantes pour assurer leur protection contre toute menace qui pourrait émaner de leur témoignage. La Chambre a toutefois affirmé qu’elle n’était pas compétente pour statuer sur d’éventuelles menaces auxquelles les témoins pourraient faire face de manière plus générale, et s’en est remis aux autorités des Pays-Bas pour la prise d’une décision sur leurs demandes d’asile avant leur retour éventuel. Ainsi, le retour des témoins demeure suspendu jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur les demandes d’asile par les autorités néerlandaises.

La décision n’a pas fait l’objet d’une attention considérable à Bunia, mais les militants qui sont familiers avec l’affaire ont exprimé leur déception quant à la façon dont l’affaire a été traitée par la Cour. Leur déception tourne essentiellement autour de deux questions. Le premier est un désaccord de fond avec la Chambre pour ce qui concerne l’examen des faits relatifs aux autres menaces auxquelles pourraient faire face les témoins : les militants estiment que le témoignage des témoins les exposent à un risque plus élevé et soulignent également qu’ils ont déjà été victimes d’une violation de leurs droits en raison de leur détention sans procès en RDC depuis plus de cinq ans. Deuxièmement, ils déplorent le fait que la Cour n’a pas utilisé de manière proactive les nouveaux éléments dont elle est saisie par les témoins. Pourquoi la Cour n’a pas profité du témoignage et suivi les preuves au-delà de l’accusé en remontant la chaîne du commandement? D’autres soulignent que le fait de juger les trois à La Haye réglerait à la fois la question des droits des témoins en matière de protection contre tout tord et celle de la nécessité de la justice.

Risques de sécurité

En décidant qu’aucune mesure de protection supplémentaires n’est nécessaire de la part de la Cour, la Chambre d’appel a attiré l’attention sur les affirmations du gouvernement de la RDC selon lesquelles aucun tord ne serait fait aux témoins à leur retour et aussi sur les mesures de protection sur lesquelles l’Unité de protection des victimes de la CPI et les autorités avaient été en mesure de s’entendre. Au nombre de ces mesures, il y avait un site sécurisé de détention au Congo et l’assurance que l’UFV continuerait d’avoir accès à des témoins afin de suivre leur sécurité.

Cependant, les militants pensent que la Chambre a sous-estimé les risques. Ils affirment que les éléments du gouvernement de la RDC vont certainement être irrités par l’implication de leur président dans ces attaques. Selon un militant, la crédibilité de la Cour pourrait être érodée « par le retour des détenus à la prison avec tous les risques d’exécutions sommaires qu’ils pourraient courir. »

Un autre militant a mis en cause le raisonnement de la CPI: « Sur la base de quels indicateurs la CPI peut-elle fonder ses évaluations du risque, en tenant bien compte de l’insécurité permanente en RDC? » Les militants font état de plusieurs affaires importantes dans lesquelles des personnes qui ont critiqué les actions du gouvernement en Ituri ont été attaquées. Selon l’un de ces militants : « Comment et pourquoi tous les témoins gênants …sont poursuivis ou déjà morts … harcelés, menacés ou tués sans enquête approfondie? » Deux cas cités à l’appui de ce point de vue sont ceux de Beiza et Kisembo.

Beiza était un ancien cadre UPC qui a été intégré dans l’unité de sécurité présidentielle à Kinshasa, mais qui, au cours des dernières années se trouvait en exil à Kampala. Le 21 avril 2011, le Journal Le Millénaire a réalisé une interview avec Beiza dans laquelle il confirme ainsi le témoignage de Shérif Manda : « Je confirme que l’ordre d’attaquer les deux localités est venu du Président Kabila. » Moins d’un mois plus tard, Radio Okapi a rapporté que Beiza avait été arrêté à Kampala, en citant des sources militaires ougandaises. Selon Radio Okapi, ces sources militaires avaient refusé de fournir le motif de l’arrestation de Beiza. Dans le même temps, la femme de Beiza affirme qu’elle n’a pas été informée de son arrestation, et les sources citées par les avocats des témoins affirment que Beiza a été battu et est détenu, blessé dans une prison près de la frontière entre l’Ouganda et la RDC. (Pour plus d’informations, voir « Trois témoins de la défense mettent l’attaque de Bogoro sur le dos de la RDC »).

Les inquiétudes autour de l’affaire Beiza sont encore plus renforcées par la mort de Floribert Kisembo en Ituri. Kisembo a été l’ancien chef d’Etat-major de l’UPC et a été intégré dans l’armée congolaise en 2005, devenant commandant de la région militaire de Lubutu au Maniema. Comme l’a rapporté Radio Okapi, sa position a été attaquée par des forces régulières congolaises au début de mai 2011, et il a été blessé dans l’attaque. Le gouvernement congolais a justifié l’attaque en disant qu’il avait déserté deux semaines auparavant. Cependant, des rumeurs circulant dans l’Ituri affirment que la mort Kisembo était liée au fait que le gouvernement craignait qu’il en savait trop et pourrait s’être livré à des dénonciations comme d’autres l’ont aussi fait. Les rumeurs indiquent également que ces choses que connaissait Kisembo étaient en rapport avec les cas en cours devant la Cour à La Haye.

En plus des préoccupations sur la façon dont la Cour évalue la nature de la menace qui pèse sur les témoins à leur retour, on se demande aussi s’il n’y a pas « deux poids deux mesures », ce qui aurait un impact sur le principe d’égalité des armes entre l’Accusation et la défense. Un commentateur a appelé Joska dans le Journal Le Millénaire se fait l’écho de ce sentiment : « Ces témoins de la défense devraient bénéficier de la même sécurité que celle accordée à l’Accusation. Procéder autrement serait une injustice. » « La CPI a perdu sa crédibilité », explique un militant, « parce que pour l’Accusation, ils protègent même des témoins qui sont moins crédibles, mais pour la défense, ils veulent livrer les gens à la mort. » Cependant, il faut noter que contrairement aux témoins de l’Accusation, ces témoins de la défense ont été transférés de la détention en vertu d’un accord spécial avec le gouvernement de la RDC, ce que la Chambre a été obligée de prendre en considération.

Une autre critique de l’approche de la Cour semble enracinée dans une frustration plus générale entraînée par le fait que la Cour n’a pas été en mesure de traduire plus de gens en justice et qu’elle a poursuivi trop peu d’auteurs de crimes et qui étaient d’un rang trop bas. Dans ce contexte, certains militants ont exprimé l’espoir que le témoignage fait à la Cour et impliquant des responsables de haut niveau pourrait ouvrir la porte à des poursuites futures. Cependant, il n’y a aucune indication que le procureur est en train de s’engager dans cette voie. En outre, malgré le fait que les témoins ont déjà passé des années en détention sans inculpation, la CPI n’a pas été en mesure de suivre directement leurs cas. Selon un militant, il était dommage que la CPI ne puisse pas « trouver un mécanisme pour … pour être en mesure de les juger à La Haye, plutôt que de les retourner à la détention prolongée qui est ni plus ni moins qu’un signe de l’incapacité du gouvernement congolais à les juger. »

Cependant si Cour voulait répondre à ces critiques des militants, elle ferait face à un certain nombre de contraintes. Pour suivre des pistes supplémentaires et s’engager dans de nouvelles affaires il faudrait des ressources supplémentaires, et la Cour est maintenant en train de jongler avec les ressources limitées de plus de six situations de pays où des accusations ont été portées. La Cour est également limitée par sa dépendance par rapport à la coopération des États aussi bien en général que pour la protection des témoins. Il est à noter, comme l’a si éloquemment décrit le Dr Sara Kendall dans « Les témoins de la défense demandent l’asile aux Pays-Bas: implications pour la coopération avec les Etats » les choses qui se sont passées autour de ces témoins ont déjà fragilisé la relation avec la RDC, avec des « expressions de mécontentement » de la part du gouvernement de la RDC en ce qui concerne le retard dans le retour des témoins. L’Etat hôte, les Pays-Bas, est également confronté à une situation difficile : trancher une affaire d’asile très médiatisée avec le sujets les moins sympathiques (après tout, il s’agit de chefs de milices, impliqués dans la perpétration de crimes en RDC). Il est clair que la Cour cherche à se frayer une voie à travers des eaux difficiles, et il reste à voir quelles seront les implications à plus long terme.

 


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