La semaine dernière, l’Accusation a présenté ses conclusions au procès contre Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui. L’Accusation a soutenu qu’elle avait prouvé, au-delà de tout doute raisonnable, que les deux accusés étaient coupables de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les crimes auraient été commis lors d’une attaque sur le village de Bogoro en Ituri, République démocratique du Congo.
Les représentants légaux des victimes (RLV) de cette attaque ont également présenté leurs conclusions. Les victimes qui participent à cet essai se divisent en deux groupes: les enfants soldats, qui faisaient partie du Front nationaliste et intégrationniste (FNI) et des Forces de résistance patriotique en Ituri (FRPI), les milices armées qui auraient perpétré l’attaque ainsi que des victimes de l’attaque elle-même.
Il s’agit seulement du second procès à la Cour pénale internationale (CPI), qui a créé un nouveau système de participation des victimes au procès. Par conséquent, de nombreux aspects de la participation des victimes sont nouveaux et toujours sujets à débat dans la salle d’audience, comme on le voit dans leurs conclusions.
Les faits saillants des présentations des RLV sont discutés ci-dessous.
Représentant de victime pour les enfants soldats
Le premier à présenter ses conclusions a été le représentant légal pour les enfants soldats victimes. Le RLV a fait valoir que la participation des victimes aux travaux devrait être importante, car ils sont en mesure de contribuer à la manifestation de la vérité. Bien que les victimes puissent prendre des positions similaires à celles de l’Accusation, ils n’en constituent pas pour autant un procureur de remplacement, a noté le RLV. Cette position unique était évidente dans les positions prises par le RLV, qui, pour une part a été d’accord avec l’Accusation, mais en désaccord avec elle pour ce qui concerne la nature du conflit armé.
Il s’agissait bien d’un conflit armé international
Le représentant des victimes a été d’accord avec l’Accusation sur le fait que le conflit armé n’était pas accidentel mais était le résultat d’années de problèmes croissants dans la région. Toutefois, le RLV a qualifié le conflit d’international, en faisant valoir que l’Ouganda avait occupé du territoire dans l’est de la RDC dans le cadre d’une rébellion organisée par le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-KML). Le conflit avait comme cible le gouvernement de la RDC, et les Forces de Défense du Peuple (UPDF) ont joué un rôle dans la création des groupes armés locaux et ont délégué des fonctions, telles que l’occupation de Bogoro à leur groupe d’auxiliaires, l’Union des Patriotes Congolais (UPC) de Thomas Lubanga.
L’attaque de Bogoro s’inscrivait dans le cadre de la tentative du gouvernement de la RDC de reprendre le contrôle de son territoire en utilisant les parties prenantes locales. Ces groupes locaux, tels que les FRPI et le FNI, ont été transformés de groupes locaux d’autodéfense en « vrais groupes armés » grâce à l’aide d’officiers de l’armée de la RDC, selon le RLV. Ils avaient reçu une assistance logistique, en formation, en armes, en munitions et plus, a soutenu le RLV. L’aspect international du conflit faisait « partie intégrante » du système, a ajouté le RLV pour les enfants soldats.
Voila le cadre dans lequel les enfants soldats ont été utilisés par les FRPI et le FNI, a indiqué le RLV. Il s’agissait d’un cas distinct de celui dont la Chambre préliminaire I a traité au procès Lubanga. Le RLV a fait valoir que le conflit est international, mais aussi à caractère ethnique. S’appuyant sur des entretiens avec ses clients, des enfants soldats de ces groupes, il a soutenu que lors de l’attaque, ils ont pensé à battre les Hema et les Ougandais. Il a noté que, bien que beaucoup de gens aient été perçus comme des ennemis, par exemple les Ougandais-, l’UPC, et les civils Hema, le conflit devrait cependant être qualifié d’international.
C’était des enfants soldats, pas des pygmées
Le RLV a également examiné l’argument de la défense de Katanga selon lequel il n’y avait pas d’enfants-soldats dans les FRPI, mais qu’il était possible qu’on ait confondu des pygmées, adultes qui sont de petite taille, avec des enfants, ce qui, selon le RLV était faux. Il a soutenu qu’il y avait divers témoignages portant sur la présence d’enfants âgés de seulement dix ans prenant part aux hostilités.
Le RLV a également abordé l’hésitation des témoins à donner l’âge précis et la difficulté qu’ils avaient à déterminer leur âge. Les témoins n’ont pas deviné l’âge, a-t-il dit, mais se sont appuyés sur d’autres indicateurs afin de déterminer s’ils avaient de toute évidence moins de 15 ans, des indicateurs tels que la voix, les caractéristiques physiques et les caractéristiques mentales et physiologiques.
Représentant légal des victimes de l’attaque
Le RLV pour les victimes de l’attaque de Bogoro a présenté d’innombrables arguments en faveur de l’importance du rôle des victimes dans le procès. Le RLV a également examiné les arguments selon lesquels la valeur probante des témoins victimes devrait être faible car ils n’ont témoigné que pour obtenir une indemnisation sous forme de réparations. Le RLV a fait valoir que cet argument était insultant, et a ajouté que les victimes demandaient réparation pour les crimes qu’ils avaient subis.
Considéré comme un conflit ethnique
Le RLV a également fait valoir que ses clients considéraient le conflit comme un conflit ethnique entre les Hema et les Lendu /Ngiti, prenant ainsi le contrepied des arguments contraires de la défense. Pour appuyer cette position, le RLV a fait référence à des témoins de la défense qui ont qualifié le conflit d’ethnique ; il a aussi attiré l’attention sur le témoignage de Mathieu Ngudjolo qui a reconnu l’existence de rivalités interethniques, bien qu’il ait prétendu qu’elles n’étaient pas liées à Bogoro. D’autres témoignages ont appuyé la thèse selon laquelle le conflit était d’origine ethnique, a ajouté le RLV.
Attaque généralisée ou systématique contre des civils
Le RLV a également examiné l’argument de la défense selon lequel 200 victimes, ce n’est pas assez pour démontrer l’existence d’une attaque “généralisée” ou “systématique” en matière de crimes contre l’humanité. Le RLV a noté que, conformément à la jurisprudence de la Chambre d’appel du TPIY, il n’est pas nécessaire que toute une population soit ciblée par une attaque. Au contraire, a indiqué le RLV, il suffit qu’une partie « suffisante » soit ciblée ou il doit être démontré que les civils ont été ciblés d’une manière qui démontre qu’il y a eu intention de mener une attaque contre une population civile.
Le RLV a soutenu qu’il était prouvé que c’est bien une population civile qui était ciblée, et que les auteurs de l’attaque considéraient tout Hema comme « l’ennemi », qu’il s’agisse d’un homme, d’une femme, ou d’un bébé. Le RLV a en outre fait valoir que les mêmes agresseurs pouvaient cibler les populations militaires et civiles.
Le RLV a également fait valoir que contrairement aux arguments de la défense, il y avait des civils à Bogoro et tout le monde n’avait pas fui à cause de la violence. Le RLV a soutenu que les civils avaient l’habitude de vivre dans des situations de conflit et pensaient que l’UPC allait les protéger en cas d’attaque.
Les éléments de preuve apportés par les témoins qui se trouvaient parmi les attaquants ont montré qu’il y avait une méthode et que l’attaque était organisée, a ajouté le RLV, ce qui constitue une réfutation de l’argument de la défense de Katanga selon lequel la mort de civils a été le résultat de la présence de soldats en vadrouille échappant à tout contrôle.
Le RLV a également rappelé que la destruction, l’incendie, et le pillage des maisons faisaient partie d’une technique de guerre. Les premières maisons ont été incendiées afin de faire sortir les civils pour les tuer, comme l’ont prouvé les témoignages, selon le RLV. Un témoin a déclaré que pour de nombreux combattants, la principale raison pour se joindre à la milice c’était la possibilité qu’ils avaient de se livrer au pillage ; il a également expliqué que le pillage était une technique des attaquants, a ajouté le RLV. Le RLV a affirmé qu’il n’y avait aucune preuve que c’était seulement les biens de l’UPC qui étaient pillés, mais il a soutenu qu’au contraire, il avait été prouvé que ce sont les biens des civils qui étaient volés.
Les équipes de défense vont présenter leurs plaidoiries
Après la présentation des arguments des RLVs, les équipes de défense de chacun des accusés vont maintenant avoir l’occasion de présenter leurs plaidoiries et répondre aux questions des juges. Mathieu Ngudjolo, et peut-être Germain Katanga vont aussi faire une déclaration à la Cour avant la clôture du procès pour permettre aux juges de se retirer en vue des délibérations.