Germain Katanga & Mathieu Ngudjolo Chui in court
qui sommes Germain Katanga &
Mathieu Ngudjolo Chui?

Par Joris van Wijk

Le cas de quatre témoins de la défense, qui peu de temps après avoir témoigné devant la Cour pénale internationale (CPI) ont fait une demande d’asile aux Pays-Bas, a été examiné en détail sur KatangaTrial.org et un autre site. Cet article propose d’étudier les scénarios éventuels qui pourraient découler des suites de leurs demandes déposées aux services d’immigration néerlandais.

Comme signalé ici en décembre 2011, le tribunal de grande instance d’Amsterdam a ordonné au gouvernement néerlandais de rendre une décision concernant les demandes d’asile d’ici le 28 juin 2012. Au moment de la rédaction de cet article, aucune décision n’aurait été prise. Je voudrais livrer ci-dessous certaines réflexions relatives à l’issue de ces procédures. Mon propos n’est pas de prédire les résultats les plus probables. Je n’ai pas accès à des informations privilégiées et, par conséquent, je ne connais pas tous les détails de cette affaire. J’aimerais plutôt examiner les conséquences éventuelles des trois options citées et souligner que fondamentalement tout scénario découlant de ce nœud gordien mène à une situation qui sera probablement perçue comme n’étant absolument pas souhaitable par les Pays-Bas, la République démocratique du Congo (RDC) ainsi que par la CPI.

Un permis de séjour est accordé

Les témoins obtiendront un statut de réfugié aux Pays-Bas s’ils sont en mesure de démontrer que leur crainte d’être persécutés après leur retour en RDC à cause de leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un groupe social spécifique est fondée. Hormis le fait de recevoir ce « statut A », les témoins peuvent également être admissibles pour un autre permis de séjour (temporaire) mentionné à l’article 29 de la loi sur les étrangers (Vreemdelingenwet). Les témoins, en particulier, pourraient obtenir un « statut B » s’ils démontrent qu’ils ont des motifs fondés pour craindre de courir un risque réel, après leur rapatriement dans leur pays d’origine ou de résidence permanente, d’être soumis à la torture, à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants. Recevoir un de ces statuts serait évidemment la meilleure solution pour les témoins.

Pour tous les autres acteurs impliqués, toutefois, cette option serait particulièrement compliquée et il est probable qu’elle provoquerait de graves tensions entre eux. Même s’ils obtenaient un statut de réfugié, la question de leur détention dans le quartier pénitentiaire de la CPI resterait entière. Puisque, en juillet 2011, la chambre de première instance du procès Katanga a averti que les demandes d’asile ne devaient « en aucune façon provoquer des délais non justifiés pour leur détention », on pourrait s’attendre à ce que la Cour les libère.

Il s’agirait d’une situation sans issue ayant de graves conséquences politiques aux Pays-Bas et en RDC. Le fait de ne pas les libérer violerait les droits de l’homme fondamentaux tandis que leur libération pourrait nuire gravement aux relations entre la CPI, la RDC et les Pays-Bas. Le gouvernement néerlandais pourrait, par exemple, faire l’objet de questions critiques de la part du Parlement sur la manière dont le gouvernement a facilité le transfert de membres d’une milice congolaise depuis une cellule crasseuse de la prison de Kinshasa vers une ‘Rijtjeshui’ (maison mitoyenne) propre et subventionnée située au pays du gouda. Le point de vue des parlementaires congolais ne devrait pas être différent. Comment leur gouvernement a-t’il pu faciliter le transfert de membres d’une milice congolaise depuis une cellule crasseuse de notre prison de Kinshasa vers une ‘Rijtjeshui’ (maison mitoyenne) propre et subventionnée située au pays du gouda ? En effet, si l’asile est finalement accordé, cela pourrait signer le début d’une discussion plus approfondie aux Pays-Bas et en RDC sur les avantages et les inconvénients d’une coopération avec la CPI.

Aucun permis de séjour n’est accordé

Si les services d’immigration néerlandais décident que les demandeurs n’ont pas suffisamment étayé leur demande d’asile, cela ne signifie pas nécessairement que les témoins soient immédiatement renvoyés en RDC ou que les problèmes existant entre la CPI, les Pays-Bas et la RDC cessent. Á la lumière de la décision du tribunal de grande instance d’Amsterdam indiquant que les témoins ont accès à la procédure régulière de demande d’asile néerlandaise, ces témoins ont également accès à une procédure d’appel. Une décision initiale négative concernant la demande d’asile mènerait vraisemblablement à un appel devant le tribunal de grande instance, suivi d’un recours auprès du Conseil d’État et même d’un possible recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). L’ensemble du processus d’appel peut prendre un temps considérable, à compter probablement en années plutôt qu’en mois.

Il est vraisemblable que l’avocat des témoins soutienne à ce moment-là que les demandeurs ne peuvent, pendant cette procédure, être retransférés en RDC car ils risqueraient d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH. En cas d’appel, l’avocat des témoins, voudra, selon toute probabilité, aborder la question de leur détention permanente à la CPI. Encore une fois, le fait de ne pas les libérer constituerait une violation des droits de l’homme. Une libération, en revanche, pourrait signifier que les témoins pourraient devenir clandestins et se rendre dans d’autres pays européens. Aux Pays-Bas, les demandeurs d’asile ne sont pas mis en détention durant la procédure de demande d’asile. On leur délivre un permis de séjour temporaire et ils peuvent circuler librement. Bien qu’ils ne soient pas autorisés à franchir les frontières, dans la pratique, cela ne s’avère pas difficile puisque l’accord de Schengen permet la libre circulation au travers d’un grand nombre de frontières européennes (ce qui signifie que les passeports ne sont pas toujours vérifiés lors du passage des frontières). Si les témoins quittent les Pays-Bas, il conviendrait de se demander si les autorités néerlandaises seraient en mesure de les retrouver et les arrêter. Ainsi, ils pourront se trouver partout entre Madrid, Bruxelles et Rome. Cette perspective est à l’évidence inacceptable pour la CPI, la RDC et les Pays-Bas.

Exclusion de la protection des réfugiés

Sur la base de l’article 1F(a) de la Convention sur les réfugiés, aucun statut de réfugié ne peut être accordé lorsqu’il existe « des motifs sérieux pour considérer » que le demandeur a commis des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou un génocide. Le critère d’établissement de la preuve est moins élevé que le seuil pour « au-delà de tout doute raisonnable » afin de parvenir à une condamnation pénale et il n’est pas exceptionnel qu’aux Pays-Bas les demandeurs soient exclus à cause de leur poste (grade élevé) occupé dans une milice (information qui est souvent présentée par les demandeurs eux-mêmes lors de la procédure) et à cause de rapports accessibles au public qui affirment que (l’unité spécifique de) l’organisation pour laquelle le demandeur a travaillé était responsable de la commission de crimes internationaux à l’époque où le demandeur travaillait pour cette organisation. Les personnes exclues appartiennent aussi bien à des hauts responsables de l’État que des chauffeurs qui remettaient des suspects, entraînant des violences sur ces suspects.

Il n’est pas impensable que certains témoins congolais répondent aux conditions d’exclusion sur la simple base de leur curricula vitae. Certains ont occupés des postes élevés dans des milices au Congo. Un témoin, par exemple, a été président du Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI). Selon Human Rights Watch (HRW) et l’ONU, cette milice est responsable de nombreux viols, du meurtre de centaines de civils et du meurtre et de l’enlèvement de casques bleus népalais. Un autre témoin serait un ancien agent secret du gouvernement congolais et un membre fondateur du FNI tandis que le Conseil de sécurité affirme que le troisième témoin était commandant du Front populaire pour la justice au Congo (FPJC), une autre milice associée à de graves violations des droits de l’homme dans la région d’Ituri.

Comme les autres scénarios, l’exclusion du statut de réfugié peut être problématique pour les Pays-Bas, la RDC et la CPI. Il est probable que cela mènerait à des procédures d’appel, comme indiqué plus haut. Si la décision d’exclusion était confirmée en appel, cela signifierait que les témoins n’ont pas obtenus de statut légal afin de résider aux Pays-Bas. Parallèlement, il peut être décidé qu’ils ne peuvent être renvoyés en RDC car ils risquent d’être soumis à de mauvais traitements. Ils se retrouveraient par conséquent dans un « vide juridique ». Ils seraient condamnés à quitter les Pays-Bas mais simultanément le gouvernement néerlandais ne serait pas autorisé à les renvoyer chez eux. Les témoins, dans ce cas, rejoindraient un groupe de plusieurs douzaines d’autres présumés criminels de guerre afghans et génocidaires rwandais vivant la même situation, à savoir une exclusion du statut de réfugié avec une impossibilité de renvoi dans leur pays d’origine. La différence, cependant, est que les afghans et les rwandais ont réussi à entrer aux Pays-Bas de manière spontanée et souvent illégale tandis que les congolais ont été amenés dans ce pays avec la permission des autorités néerlandaises. Cela pourrait avoir des répercussions politiques aux Pays-Bas, en RDC et à la CPI.

En conclusion

La question de l’asile a, comme indiqué ci-dessus, créé d’importantes tensions pour Pays-Bas, la RDC et la CPI. D’une part, le gouvernement néerlandais souhaite demeurer un hôte de choix pour la CPI et faciliter le déroulement de la justice pénale internationale autant que possible. Mais d’autre part, il doit tenir compte les principes de protection définis dans la loi sur les réfugiés et les droits de l’homme, les intérêts nationaux, les réactions diplomatiques et, sans les négliger, les sentiments politiques nationaux.

Cette affaire démontre que la responsabilité collective de la communauté internationale pour accueillir les témoins de la CPI ayant besoin de protection pourrait se transformer en une responsabilité unique des Pays-Bas. Cette situation ressemble à celle que traverse actuellement la Tanzanie concernant des prévenus acquittés. Puisqu’aucun autre pays ne souhaite partager le fardeau de l’accueil des prévenus acquittés, la Tanzanie héberge actuellement une maison sécurisée financée par le TPIR pour ces personnes à Arusha. C’est avec cette perspective à l’esprit que le gouvernement néerlandais peut, de concert avec la CPI, commencer à examiner où et comment implanter cette maison sécurisée pour héberger ses témoins.

Joris van Wijk est professeur adjoint en criminologie à la VU University d’Amsterdam. L’auteur apportera une analyse plus substantielle des conséquences des situations dans lesquelles la législation pénale internationale se heurte aux principes de la protection internationale dans un numéro à venir de Leiden Journal of International Law.


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