Germain Katanga & Mathieu Ngudjolo Chui in court
qui sommes Germain Katanga &
Mathieu Ngudjolo Chui?

Par Jennifer Easterday

Le 9 Octobre 2012, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu une décision dans le cas de Bède Djokaba Longa Lambi contre les Pays-Bas. M. Longa, un témoin devant la Cour pénale internationale (CPI) dans le procès de Thomas Lubanga, avait demandé au tribunal des droits de l’homme d’entendre sa plainte sur l’illégalité de sa détention et de rendre un verdict. M. Longa se plaint d’avoir été avoir été détenu illégalement sur le territoire néerlandais et privé de la possibilité de demander sa libération. La CEDH a rejeté la demande.

M. Longa était l’un des quatre témoins transférés en 2011 à la CPI alors qu’ils étaient détenus en République démocratique du Congo (RDC), pour témoigner à décharge dans deux procès devant la CPI. M. Longa a témoigné au procès de Lubanga, les trois autres ont témoigné au procès de Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui. Tous les quatre témoins mettent en cause le président de la RDC, Joseph Kabila, dans les crimes commis dans la région de l’Ituri en RDC. Ils ont affirmé qu’ils craignaient des représailles à la suite de leur témoignage s’ils étaient renvoyés en RDC.

Comme on l’a vu dans des articles précédents, leur demande d’asile a soulevé un certain nombre de questions juridiques inédites, en particulier en ce qui concerne la compétence sur les quatre hommes. Les deux Chambres différentes de première instance de la CPI ont traité ces questions d’une manière différente.

La Chambre de première instance au procès Lubanga a jugé qu’elle avait satisfait à ses obligations à l’égard de M. Longa et que ce dernier devait être retourné à la RDC dès que possible. Il revenait aux Pays-Bas d’intervenir dans le transfert vers la RDC s’ils avaient l’intention de prendre la garde du témoin. Cette décision a été rendue il ya un an, en septembre 2011.

Dans l’affaire Katanga Ngudjolo- la Chambre préliminaire II a conclu que le retour des autres témoins était impossible alors que leur demande d’asile était en attente. La Chambre de première instance II considérait leur détention comme une question cruciale et a ordonné la tenue de consultations entre la CPI, les Pays-Bas et la RDC pour trouver une solution. Cependant, les Pays-Bas ont refusé de participer à ces consultations, en soutenant que les témoins doit rester sous la détention de la CPI.

Les allégations de Longa relatives à la détention illégale

Devant la CEDH, M. Longa a fait valoir que sa détention en République démocratique du Congo a expiré le 2 Juillet, 2007 et n’avait pas été renouvelée. La CPI n’avait pas de motifs juridiques pour le maintenir en détention après la fin de son témoignage en avril 2011, a-t-il affirmé. Les Hollandais, disait-il, n’avait jamais prétendu qu’il y avait une base légale pour sa détention en vertu de la loi néerlandaise. Ceci, selon lui, constituait une violation de l’article 5 (1) de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH).

M. Longa a fait valoir que, puisque les Pays-Bas avaient fait jouer leur compétence sur sa demande d’asile, ils pouvaient, et devaient exercer leur compétence sur son maintien en détention. Ne pas le faire constituait un exercice illicite et arbitraire en « compétence à la carte » a-t-il soutenu…

Selon le témoin, la CEDH s’applique dans ce cas parce que le témoin a été arrêté sur le territoire des Pays-Bas. Le droit néerlandais constitue le point de départ de la loi applicable dans les locaux de la CPI, et les articles 93 et 94 de la Constitution néerlandaise prévoit l’application directe de la CEDH en tant que droit néerlandais. Ceci l’emporte sur la Section 88 de la loi néerlandaise d’application de la CPI qui prévoit que le droit néerlandais ne s’applique pas quand il s’agit de questions de détention de la CPI.

M. Longa a également soutenu que les Pays-Bas avaient le pouvoir exclusif en ce qui concerne sa détention. La Chambre préliminaire I a reconnu qu’elle n’avait plus de raison valable pour justifier sa détention, mais ne pouvait pas le renvoyer en République démocratique du Congo alors que sa demande d’asile était en cours. Les Hollandais avaient même refusé de discuter de son transfert à la garde hollandaise et demandé à la CPI de le maintenir en détention en attendant,  selon M. Longa.

Ou alors, si la Cour jugeait qu’il avait été légalement détenu, il a fait valoir qu’il n’avait pas été jugé dans un délai raisonnable. Il s’agissait d’une violation de l’article 5 (3) de la CEDH. Les Hollandais avaient également violé l’article 5 (4) de la CEDH en omettant d’examiner la légalité de sa détention, a-t-il ajouté. M. Longa a également soutenu que les Pays-Bas avaient violé l’article 5 (5), qui prévoit que toute personne qui a été victime d’arrestation ou de détention illégale a droit à réparation.

Selon le témoin quel que fût celui qui avait autorité sur sa détention, les Pays-Bas étaient toujours tenus de protéger ses droits humains. Il a affirmé que le niveau de protection des droits humains garantis par la CPI a été insuffisant pour faire face aux circonstances particulières de cette affaire – un témoin qui avait demandé l’asile.

M. Longa a également affirmé que la CPI n’assurait pas une protection juridique suffisante à ses accusés. Citant l’affaire Jean-Pierre Bemba Gombo, M. Longa a fait valoir que même la libération conditionnelle de l’accusé de la CPI était impossible si aucun pays n’était prêt à l’accepter. Dans ces cas, a-t-il soutenu, il était de la responsabilité des Pays-Bas d’intervenir. Le respect des obligations légales en vertu de ses accords avec la CPI dans de tels cas n’était pas en conformité avec les exigences de la CEDH, selon M. Longa.

Une importante question d’intérêt public

Selon le jugement, M. Longa a retiré sa demande d’asile le 4 septembre 2012, bien que le jugement n’ait pas précisé pourquoi. La CEDH a estimé que ce retrait signifie que le témoin doit renoncer à toute tentative pour obtenir que le Pays-Bas ordonner sa remise en liberté. Le témoin n’a ni informé la CEDH de ce développement, ni retiré sa demande à la CEDH.

Néanmoins, le tribunal a examiné sa pétition parce qu’elle «touche à des aspects essentiels du fonctionnement des tribunaux pénaux internationaux ayant leur siège sur le territoire d’ [un État membre de la CEDH] et investi du pouvoir de maintenir des gens en garde à vue. Il a également considéré qu’une réponse était nécessaire étant donné « l’incertitude » consécutive à la décision prise en septembre par un tribunal néerlandais de libérer des témoins du procès  Katanga de la  détention. En outre, la CEDH a estimé, qu’il était important de répondre à la pétition en raison de l’importance du rôle que jouent ses décisions en contribuant à la protection et au respect des droits de l’homme et de sa mission de trancher des questions pour des raisons d’intérêt public.

CEDH trouve les Pays-Bas ne sont pas responsables

En raison de ces préoccupations d’intérêt public, la Cour a tranché l’affaire sur le fond. Le tribunal a reconnu que si la compétence est généralement déterminée par le territoire, il y a quelques exceptions. Une exception concerne les organisations internationales, avec des locaux et immunités sur le territoire de l’État.

Le fait que la CPI ait détenu M. Longa sur le sol néerlandais n’est pas en soi une raison suffisante pour rendre les Pays-Bas compétents, selon le tribunal. Tant qu’il n’est pas retourné à la RDC ou remis aux Pays-Bas, a déclaré le tribunal, l’accord entre la CPI et la RDC conclu en vertu de l’article 93 du Statut de Rome est et demeure le fondement juridique de sa détention.

« Il n’y a donc pas de vide juridique », a conclu la Cour.

Le tribunal a fondé cette constatation sur la décision de la Chambre de première instance I de la CPI de décembre 2011 qui a ordonné le retour du témoin à la RDC une fois qu’il a été préparé pour le voyage.

Ceci est en accord avec les affaires précédentes entendues devant la CEDH. Dans les affaires  Galić contre Pays-Bas et Blagojević contre Pays-Bas, le tribunal a jugé que le seul fait que le TPIY ait son siège aux Pays-Bas n’était pas une raison suffisante pour imputer la responsabilité des violations présumées des droits de l’homme aux Pays-Bas. Dans ces cas, la Cour a souligné que le TPIY est une organisation internationale créée par le Conseil de sécurité, basé sur le principe du respect des droits de l’homme et spécialement conçu pour protéger les droits des personnes mises en accusation devant elle.

Ce cas est cependant différent, comme l’a reconnu un tribunal néerlandais le mois dernier. Le Conseil de sécurité n’a pas créé la CPI, et les témoins ont fait valoir que tant que témoins, ils n’ont pas accès aux mêmes garanties en matière de droits de l’homme qu’en tant qu’accusés. La CEDH n’est pas d’accord.

La CEDH a constaté que la disponibilité de mesures de protection et de sécurité pour les témoins était pour la CPI une façon d’assurer la protection des droits humains fondamentaux des témoins. Que l’exercice de ces mesures protègent réellement ces droits ou non n’est pas déterminant en l’espèce, a conclu le tribunal.

Le tribunal a conclu que les droits de la CEDH « n’imposent pas à un État qui a accepté d’accueillir un tribunal pénal international sur son territoire la charge de l’examen de la légalité de la privation de liberté en vertu d’accords légalement conclus entre ce tribunal et les États non parties à la Cour. »

La Cour a également conclu que les Pays-Bas ont le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’expulsion des étrangers sur son territoire. Ils ne sont soumis à aucune obligation de permettre à des étrangers d’attendre l’issue des procédures d’immigration sur son territoire. Elle n’a donc aucune obligation de réexaminer la situation de la détention de M. Longa simplement parce qu’elle entend sa demande d’asile.

Pour ces raisons, la Cour a déclaré la requête de M. Longa irrecevable.

Incidences pour les témoins au procès Katanga Ngudjolo

L’un des facteurs qui compliquent la question des demandes d’asile faites par des témoins de la CPI, c’est qu’elles sont traitées par les chambres multiples dans les systèmes judiciaires multiples. Non seulement il y a des affaires en instance devant de nombreuses juridictions, la CPI, les tribunaux néerlandais, les tribunaux de la RDC et la CEDH, mais également au sein de ces juridictions, il existe différentes chambres traitant de la question.

Il est possible que quatre témoins qui se trouvaient sensiblement dans la même position vis-à-vis de la CPI et des Pays-Bas soient traités de façons différentes devant les tribunaux. Alors que ce n’est pas rare, dans ce cas cela pourrait avoir de graves conséquences pour les témoins qui prétendent que leur vie serait en danger s’ils étaient renvoyés en RDC.

En plus des différentes approches des chambres de la CPI, décrites ci-dessus, les affaires ont été traitées de façon indépendante par les tribunaux néerlandais. En septembre, un tribunal néerlandais a ordonné la remise en liberté des témoins de l’affaire Katanga Ngudjolo-détenus par la CPI. Cette nouvelle décision de la CEDH pourrait avoir un impact significatif sur un appel potentiel dans ce cas, car elle absout les Pays-Bas de toute responsabilité dans la détention du témoin.

Goran Sluiter, avocat des témoins, affirme qu’il n’y a aucun rapport entre la jurisprudence de la CEDH et la récente décision néerlandaise. Il fait valoir que parce que les deux Chambres de première instance de la CPI ont adopté des approches différentes de la question de la détention, il y a tellement de scénarios factuels différents que la décision de la CEDH ne s’appliquait pas à ces trois témoins.


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