Germain Katanga & Mathieu Ngudjolo Chui in court
qui sommes Germain Katanga &
Mathieu Ngudjolo Chui?

Par Jennifer Easterday

Des avocats néerlandais représentant trois personnes qui ont comparu comme témoins devant la Cour pénale internationale (CPI) ont déposé un mémoire d’amicus curiae devant la CPI. Les avocats ont informé la Chambre de première instance II sur les procédures d’asile en cours engagées par des témoins et les procédures  au sujet de leur détention, actuellement pendantes devant la Cour suprême néerlandaise.

Les trois témoins ont été transférés à La Haye en mars 2011 pour témoigner pour la défense de Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, inculpés par la CPI pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis lors de l’attaque de Bogoro, un village à l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Les témoins avaient été emprisonnés en RDC avec des accusations encore pendantes ayant trait au conflit dans ce pays. Ils ont donc été incarcérés au quartier pénitentiaire de la CPI pendant qu’ils se trouvaient à La Haye.

Dans leur témoignage, les témoins ont mis en cause le président de la RDC, Joseph Kabila, pour les crimes commis à Bogoro. Pour cela, disent-ils, ils risquent la torture ou la mort s’ils sont renvoyés en RDC.  Ils ont donc demandé l’asile aux Pays-Bas.

Alors que les autorités néerlandaises traitaient ces demandes d’asile, les témoins sont restés au quartier pénitentiaire de la CPI pendant près de deux ans. Leurs avocats d’asile soutiennent que cette détention est injuste et ont demandé à la Chambre de première instance de la CPI d’y mettre un terme.

Entretemps, Mathieu Ngudjolo a été acquitté de toutes les accusations et remis en liberté. Il a ensuite été placé en détention par les autorités néerlandaises pour défaut de carte de séjour et a déposé sa propre demande d’asile aux Pays-Bas. Germain Katanga est toujours en procès, dans l’attente d’une décision sur les changements potentiels dans les accusations portées contre lui.

Les retards des demandes d’asile

Les témoins ont déposé une demande d’asile, le 12 mai 2011. Le Service de l’immigration néerlandais a d’abord refusé de traiter les demandes d’asile conformément à la loi en matière de demande d’asile des Pays-Bas. Mais en décembre 2011, un tribunal néerlandais a annulé cette décision et la procédure d’immigration a commencé en janvier 2012. D’après leurs avocats, le Service de l’immigration a rejeté la demande d’asile en octobre 2012, sur la base de l’article 1 (F) de la Convention de 1951 sur les réfugiés [i] et a trouvé que le retour des témoins de la RDC ne serait pas contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH). [ii]  Selon les avocats d’asile, la décision d’octobre 2012 a été rendue plus de quatre mois après les délais légaux de traitement des demandes d’asile aux Pays-Bas.

Les témoins ont fait appel de ces décisions. Une audience en appel aura lieu le 11 avril, 2013 devant le tribunal de district de La Haye, siégeant à Amsterdam. Normalement, selon les avocats, une décision d’appel est prise dans les six semaines suivant l’audience. Toutefois, dans les cas complexes, ont-ils ajouté, un retard est probable, car il s’agit ici de cas complexes et les trois affaires sont entendues en même temps.

Selon les avocats des témoins, les Pays-Bas n’ont pas procédé à des enquêtes appropriées sur leurs revendications. Les Pays-Bas ont mal étudié la participation éventuelle des témoins à des crimes graves, affirment les avocats. Cette enquête défectueuse s’est soldée par la conclusion incorrecte selon laquelle les témoins devaient se voir refuser l’asile conformément à l’article 1 (F) de la Convention de 1951 sur les réfugiés, selon les avocats. Les avocats ont déclaré que les Pays-Bas ont également mené une enquête inadéquate pour déterminer si les témoins ne pouvaient pas être renvoyés en toute sécurité en RDC sans être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, un droit protégé par la CEDH.

Ces échecs dans l’enquête constituent la base de l’appel du témoin devant la Cour de district néerlandais. En particulier, les avocats affirment que les Pays-Bas ont violé les droits des témoins en vertu de l’article 3 de la CEDH. Compte tenu de la situation actuelle en RDC et de la situation des témoins, les avocats ont indiqué à la Chambre de première instance de la CPI qu’ils s’attendent à ce que les tribunaux néerlandais considèrent les enquêtes comme défectueuses. Dans cette affaire, les services d’immigration devront procéder à de nouvelles enquêtes, ce qui va provoquer de nouveaux retards dans la procédure.

Il y a d’autres causes possibles de retards éventuels, selon les avocats. Il y a un chevauchement important entre ces affaires et la demande d’asile introduite par Mathieu Ngudjolo quand il a été libéré du quartier pénitentiaire de la CPI, ont-ils ajouté. Les avocats ont donc demandé au tribunal de district d’attendre l’issue de la procédure d’asile de Ngudjolo, car elle pourrait rendre nécessaire une réévaluation des faits dans l’affaire du témoin. Cela pourrait entraîner des retards, comme pourraient le faire des appels supplémentaires dans les procès des témoins. Si les témoins gagnent leur appel, une nouvelle décision devra être prise par les Services d’immigration, ce qui pourrait également conduire à un retard de six mois. Cette nouvelle décision devrait également faire l’objet d’un examen, cycle qui, selon les avocats, pourrait se répéter plusieurs fois. Si la demande des témoins est rejetée, les avocats ont indiqué qu’ils déposeront une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, processus qui pourrait causer une autre année de retard supplémentaire.

Contestation de la détention

Les témoins ont également contesté leur maintien en détention au quartier pénitentiaire de la CPI. Leurs avocats font valoir que cette détention prolongée, sans aucune charge contre eux et sans raison valable, viole l’article 5 (droit à la liberté et à la sûreté) et l’article 13 (droit à un recours effectif devant une instance nationale) de la CEDH.

En septembre 2012, le juge unique de la Cour de La Haye de district a ordonné aux Pays-Bas de maintenir les témoins en garde à vue. Cette décision a été portée en appel et infirmée par la Cour d’appel de La Haye en décembre 2012. Les avocats ont fait appel de cette décision devant la Cour suprême néerlandaise, faisant valoir que la Cour d’appel avait commis plusieurs erreurs dans le raisonnement juridique et fait preuve d’une méconnaissance des décisions de la Chambre de première instance II de la CPI. Les avocats ont estimé qu’une décision de la Cour suprême pourrait prendre jusqu’en mars 2014, voire plus tard.

Les retards enregistrés dans ces affaires ne sont pas imputables au témoin, ont soutenu les avocats. Par conséquent, les témoins ne devraient pas avoir à subir les conséquences de ces retards sous forme de prolongation de leur détention à la CPI. Ils ont déjà fait près de deux ans de détention. Si la Chambre de première instance n’intervient pas, ont ajouté les avocats, les témoins pourraient faire face à une année supplémentaire ou plus au quartier pénitentiaire de la CPI. L’injustice de cette détention, affirment-ils, est aggravée par le fait qu’ils n’ont pas reçu une ordonnance du tribunal de la RDC qui justifierait leur détention dans ces conditions. Sur la base de ces facteurs, les avocats ont demandé à la Chambre de mettre fin à la détention des témoins.

Le tribunal a également reçu des réponses confidentielles de la RDC et des Pays-Bas, en réponse à la demande d’information de la Chambre de première instance. Il n’y a aucune indication du moment où les juges vont se prononcer sur la détention prolongée des témoins.

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[i] L’article 1 (F) de la Convention de 1951 sur les réfugiés stipule que la Convention ne s’applique pas aux personnes quand il y a des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, de graves crimes non politiques ou se sont rendues coupables d’actes contraires aux buts et aux principes des Nations-Unies.

[ii] L’article 3 de la CEDH dispose que « nul ne peut être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. »

 


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