Chers lecteurs – Veuillez trouver ci-dessous un commentaire d’Olivia Bueno d’International Refugee Rights Initiative (IRRI) en consultation avec des militants congolais. Les vues et opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions d’International Refugee Rights Initiative ni celles d’Open Society Justice Initiative.
Quatre mois après son acquittement dans le second verdict du procès à la Cour pénale internationale (CPI), Mathieu Ngudjolo Chui se bat pour rester en Europe, après avoir demandé l’asile aux Pays-Bas. Sa demande est fondée sur l’affirmation selon laquelle les informations qu’il a fournies au cours de son procès par rapport au rôle présumé du gouvernement congolais dans l’attaque de Bogoro vont le mettre en danger s’il on le renvoie au Congo. Pendant ce temps, en République démocratique du Congo (RDC), un groupe local a pris des mesures controversées pour s’assurer que Ngudjolo devra faire face à de nouvelles accusations au niveau national s’il retourne au pays.
Ces initiatives ont divisé l’opinion publique. Certains prétendent que Ngudjolo devrait être jugé pour d’autres incidents qui ne figurent pas dans les accusations de la CPI et pour lesquels selon eux des preuves plus solides peuvent être disponibles. D’autres soutiennent que les accusations qui sont présentées aujourd’hui, après son acquittement à La Haye, seraient perçues comme partiales et pourraient servir plus à créer des tensions qu’à faire avancer la justice.
S’appuyant sur l’article 153 de la Constitution de la RDC, qui permet une application directe par les tribunaux nationaux des traités internationaux signés par la RDC, une ONG locale, l’Action Citoyenne contre l’impunité (ACCI) a déposé une plainte auprès du procureur général en vue de la poursuite de Ngudjolo pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis dans la ville de Bunia du 6 au 11 mai 2003.
Dans cette plainte, l’ONG, avec un certain nombre de victimes, accuse Ngudjolo d’avoir attaqué le siège du diocèse de Bunia à Mudzimaria le 6 mai 2003, siège où avaient trouvé refuge un certain nombre de Hema pendant le retrait de l’armée ougandaise. Selon la plainte, Ngudjolo, personnellement et à travers les actes de ses soldats, a causé la mort de plusieurs civils qui s’y étaient réfugiés, y compris l’abbé Jean Ngona. La plainte allègue que les personnes tuées ont été ciblés uniquement sur la base de leur origine ethnique et se réfère au pillage systématique, citant des preuves que Ngudjolo et ses troupes se sont directement emparés de véhicules de l’église.
La seconde partie de la plainte allègue que Ngudjolo a personnellement organisé les attaques visant des civils Hema et leurs biens au centre de la ville de Bunia du 10 au 11 mai 2003. Plus précisément, Ngudjolo est accusé de l’assassinat de 14 civils Hema qui étaient dans la clandestinité et de l’enlèvement de quatre femmes qui ont ensuite été soumises à des violences sexuelles.
Le dépôt de la plainte a divisé les organisations locales des droits humains. Bien que l’ACCI ait essayé d’engager un large éventail de groupes de la société civile lors de la préparation de la plainte, un nombre important ont refusé, considérant l’action mal avisée et injustifiée, soit parce qu’il était peu probable qu’elle soit couronnée de succès ou parce qu’elle pourrait encore plus attiser les tensions ethniques. D’autres estiment que si les accusations portées contre Ngudjolo sont bien fondées alors il devrait être poursuivi, quelle que soit la difficulté de l’affaire ou l’impact potentiel sur l’opinion publique.
Pour Maître Loma, secrétaire général de l’ACCI, la plainte va en quelque sorte corriger le sentiment que l’acquittement de Ngudjolo était le résultat d’une mauvaise collecte de preuves et non pas son innocence. Selon lui, « Il serait injuste qu’un criminel ayant du sang sur les mains échappe à la justice en raison d’un détail technique. C’est pour cette raison que nous avons déposé une plainte en faveur des victimes elles-mêmes qui sont prêtes à témoigner … pour que justice soit faite. » Maître Macky, de l’ONG locale Justice Plus, soutient l’initiative et espère que d’autres organisations locales organisations de la société civile vont en faire autant, « afin que ces crimes ne restent pas lettre morte. » Les massacres à Bunia qui font l’objet de la plainte de l’ACCI ont été cités comme parmi les plus graves qui auraient été commis par Ngudjolo. Il s’agit de crimes pour lesquels les preuves sont aussi les plus faciles à rassembler. Un militant, Maître Kamba, a fait valoir que c’était la gravité particulière de ces crimes, notamment l’assassinat de trois abbés, qui rendait absolument nécessaires les poursuites.
D’autres s’opposent à cette initiative, estimant que l’affaire n’est pas seulement vouée à l’échec, mais peut aggraver les tensions ethniques. Selon certains, le fait que si peu de procès portant sur des crimes similaires aient été couronnés de succès est un motif de scepticisme. On s’est aussi inquiété du fait que l’affaire pourrait impliquer des responsables gouvernementaux de haut niveau, ce qui conduirait à des obstacles supplémentaires.
D’autres étaient plus préoccupés par les implications ethniques potentielles. Un avocat a fait valoir qu’ « il serait injuste d’accuser seulement Ngudjolo alors que les combattants Hema ont également commis des crimes graves. » La porte-parole d’une association de femmes rurales a également exprimé le désir que toute plainte soit équilibrée, en dépit de sa reconnaissance du fait que les victimes d’atrocités en Ituri sont frustrées de voir leurs agresseurs en liberté. Selon elle, toute plainte doit inclure les deux ethnies. En effet, un autre militant a affirmé que l’affiliation majoritairement Hema de l’ONG qui a initié la plainte porterait atteinte à sa capacité de rendre la justice. Ce serait ouvrir la porte à des accusations selon lesquelles l’action a été motivée par un désir de vengeance, plutôt qu’une véritable responsabilité – ou pire pourrait être considérée comme de la « provocation » contre la communauté Lendu.
D’autres encore expriment leurs préoccupations par rapport au harcèlement judiciaire : M. Ngudjolo a non seulement été acquitté par un tribunal international, il a également été précédemment acquitté au niveau national dans un procès de 2003 à Bunia. L’Association des Femmes Juristes pour la Paix a fait valoir que l’affaire risquait de créer encore plus de confusion sur le but de l’action judiciaire et pourrait être considérée comme un harcèlement judiciaire de M. Ngudjolo. Maître Nziwa, un autre militant local, a affirmé sur Radio Merveille qu’il serait injuste d’entamer de nouvelle poursuite contre Ngudjolo, après qu’il ait été confronté à tant de tentatives infructueuses dans le passé. Après tout, Ngudjolo a été détenu à la prison de Makala 2003-2005 avant son transfert à la CPI.
Il est clair que de nombreux Ituriens ordinaires ont peu d’espoir de voir la justice s’établir que ce soit au niveau national ou international. Les recherches menées par Justice Plus et publiées en janvier 2013, ont constaté que beaucoup en Ituri affirment ne plus croire en la possibilité de la justice car ils ont été tellement déçus par les efforts dans le passé pour situer les responsabilités. Les décisions de la CPI à ce jour ne semblent pas avoir influencé l’opinion publique, qui dans l’ensemble soutient que la justice continue d’être niée. Les recherches montrent qu’il y a des appels pour la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle qui permettront de s’attaquer aux racines du conflit ethnique et rétablir les relations. La société civile pourrait être soutenue et jouer un rôle dans ce domaine. L’une des conclusions de l’étude est que les ONG de la région doivent être bien informées et formées pour parler à la population, faute de quoi elles ne seront pas en mesure de jouer leur rôle dans la médiation des conflits ethniques. Sinon, les relations entre Hema et Lendu resteront tendues.
Que va-t-il advenir de Mathieu Ngudjolo Chui?
Chers lecteurs – Veuillez trouver ci-dessous un commentaire d’Olivia Bueno d’International Refugee Rights Initiative (IRRI) en consultation avec des militants congolais. Les vues et opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions d’International Refugee Rights Initiative ni celles d’Open Society Justice Initiative.
Quatre mois après son acquittement dans le second verdict du procès à la Cour pénale internationale (CPI), Mathieu Ngudjolo Chui se bat pour rester en Europe, après avoir demandé l’asile aux Pays-Bas. Sa demande est fondée sur l’affirmation selon laquelle les informations qu’il a fournies au cours de son procès par rapport au rôle présumé du gouvernement congolais dans l’attaque de Bogoro vont le mettre en danger s’il on le renvoie au Congo. Pendant ce temps, en République démocratique du Congo (RDC), un groupe local a pris des mesures controversées pour s’assurer que Ngudjolo devra faire face à de nouvelles accusations au niveau national s’il retourne au pays.
Ces initiatives ont divisé l’opinion publique. Certains prétendent que Ngudjolo devrait être jugé pour d’autres incidents qui ne figurent pas dans les accusations de la CPI et pour lesquels selon eux des preuves plus solides peuvent être disponibles. D’autres soutiennent que les accusations qui sont présentées aujourd’hui, après son acquittement à La Haye, seraient perçues comme partiales et pourraient servir plus à créer des tensions qu’à faire avancer la justice.
S’appuyant sur l’article 153 de la Constitution de la RDC, qui permet une application directe par les tribunaux nationaux des traités internationaux signés par la RDC, une ONG locale, l’Action Citoyenne contre l’impunité (ACCI) a déposé une plainte auprès du procureur général en vue de la poursuite de Ngudjolo pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis dans la ville de Bunia du 6 au 11 mai 2003.
Dans cette plainte, l’ONG, avec un certain nombre de victimes, accuse Ngudjolo d’avoir attaqué le siège du diocèse de Bunia à Mudzimaria le 6 mai 2003, siège où avaient trouvé refuge un certain nombre de Hema pendant le retrait de l’armée ougandaise. Selon la plainte, Ngudjolo, personnellement et à travers les actes de ses soldats, a causé la mort de plusieurs civils qui s’y étaient réfugiés, y compris l’abbé Jean Ngona. La plainte allègue que les personnes tuées ont été ciblés uniquement sur la base de leur origine ethnique et se réfère au pillage systématique, citant des preuves que Ngudjolo et ses troupes se sont directement emparés de véhicules de l’église.
La seconde partie de la plainte allègue que Ngudjolo a personnellement organisé les attaques visant des civils Hema et leurs biens au centre de la ville de Bunia du 10 au 11 mai 2003. Plus précisément, Ngudjolo est accusé de l’assassinat de 14 civils Hema qui étaient dans la clandestinité et de l’enlèvement de quatre femmes qui ont ensuite été soumises à des violences sexuelles.
Le dépôt de la plainte a divisé les organisations locales des droits humains. Bien que l’ACCI ait essayé d’engager un large éventail de groupes de la société civile lors de la préparation de la plainte, un nombre important ont refusé, considérant l’action mal avisée et injustifiée, soit parce qu’il était peu probable qu’elle soit couronnée de succès ou parce qu’elle pourrait encore plus attiser les tensions ethniques. D’autres estiment que si les accusations portées contre Ngudjolo sont bien fondées alors il devrait être poursuivi, quelle que soit la difficulté de l’affaire ou l’impact potentiel sur l’opinion publique.
Pour Maître Loma, secrétaire général de l’ACCI, la plainte va en quelque sorte corriger le sentiment que l’acquittement de Ngudjolo était le résultat d’une mauvaise collecte de preuves et non pas son innocence. Selon lui, « Il serait injuste qu’un criminel ayant du sang sur les mains échappe à la justice en raison d’un détail technique. C’est pour cette raison que nous avons déposé une plainte en faveur des victimes elles-mêmes qui sont prêtes à témoigner … pour que justice soit faite. » Maître Macky, de l’ONG locale Justice Plus, soutient l’initiative et espère que d’autres organisations locales organisations de la société civile vont en faire autant, « afin que ces crimes ne restent pas lettre morte. » Les massacres à Bunia qui font l’objet de la plainte de l’ACCI ont été cités comme parmi les plus graves qui auraient été commis par Ngudjolo. Il s’agit de crimes pour lesquels les preuves sont aussi les plus faciles à rassembler. Un militant, Maître Kamba, a fait valoir que c’était la gravité particulière de ces crimes, notamment l’assassinat de trois abbés, qui rendait absolument nécessaires les poursuites.
D’autres s’opposent à cette initiative, estimant que l’affaire n’est pas seulement vouée à l’échec, mais peut aggraver les tensions ethniques. Selon certains, le fait que si peu de procès portant sur des crimes similaires aient été couronnés de succès est un motif de scepticisme. On s’est aussi inquiété du fait que l’affaire pourrait impliquer des responsables gouvernementaux de haut niveau, ce qui conduirait à des obstacles supplémentaires.
D’autres étaient plus préoccupés par les implications ethniques potentielles. Un avocat a fait valoir qu’ « il serait injuste d’accuser seulement Ngudjolo alors que les combattants Hema ont également commis des crimes graves. » La porte-parole d’une association de femmes rurales a également exprimé le désir que toute plainte soit équilibrée, en dépit de sa reconnaissance du fait que les victimes d’atrocités en Ituri sont frustrées de voir leurs agresseurs en liberté. Selon elle, toute plainte doit inclure les deux ethnies. En effet, un autre militant a affirmé que l’affiliation majoritairement Hema de l’ONG qui a initié la plainte porterait atteinte à sa capacité de rendre la justice. Ce serait ouvrir la porte à des accusations selon lesquelles l’action a été motivée par un désir de vengeance, plutôt qu’une véritable responsabilité – ou pire pourrait être considérée comme de la « provocation » contre la communauté Lendu.
D’autres encore expriment leurs préoccupations par rapport au harcèlement judiciaire : M. Ngudjolo a non seulement été acquitté par un tribunal international, il a également été précédemment acquitté au niveau national dans un procès de 2003 à Bunia. L’Association des Femmes Juristes pour la Paix a fait valoir que l’affaire risquait de créer encore plus de confusion sur le but de l’action judiciaire et pourrait être considérée comme un harcèlement judiciaire de M. Ngudjolo. Maître Nziwa, un autre militant local, a affirmé sur Radio Merveille qu’il serait injuste d’entamer de nouvelle poursuite contre Ngudjolo, après qu’il ait été confronté à tant de tentatives infructueuses dans le passé. Après tout, Ngudjolo a été détenu à la prison de Makala 2003-2005 avant son transfert à la CPI.
Il est clair que de nombreux Ituriens ordinaires ont peu d’espoir de voir la justice s’établir que ce soit au niveau national ou international. Les recherches menées par Justice Plus et publiées en janvier 2013, ont constaté que beaucoup en Ituri affirment ne plus croire en la possibilité de la justice car ils ont été tellement déçus par les efforts dans le passé pour situer les responsabilités. Les décisions de la CPI à ce jour ne semblent pas avoir influencé l’opinion publique, qui dans l’ensemble soutient que la justice continue d’être niée. Les recherches montrent qu’il y a des appels pour la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle qui permettront de s’attaquer aux racines du conflit ethnique et rétablir les relations. La société civile pourrait être soutenue et jouer un rôle dans ce domaine. L’une des conclusions de l’étude est que les ONG de la région doivent être bien informées et formées pour parler à la population, faute de quoi elles ne seront pas en mesure de jouer leur rôle dans la médiation des conflits ethniques. Sinon, les relations entre Hema et Lendu resteront tendues.