Germain Katanga & Mathieu Ngudjolo Chui in court
qui sommes Germain Katanga &
Mathieu Ngudjolo Chui?

Par Jennifer Easterday

La défense de Germain Katanga a soumis des observations concernant un éventuel changement dans les accusations portées contre son client. Le calendrier et la nature de la modification allaient violer le droit de Katanga à un procès équitable et risquer de nuire à la réputation de la Cour pénale internationale (CPI), a soutenu la défense.

A l’origine, le procureur de la CPI avait accusé Katanga et Mathieu Ngudjolo de trois crimes contre l’humanité et de sept crimes de guerre qui auraient été commis lors d’une attaque contre Bogoro, village de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Ils ont été accusés en vertu de l’article 25 (3) (a) du Statut de Rome d’avoir commis des crimes par « coaction indirecte », où Katanga et Ngudjolo se sont servis d’organisations hiérarchisées (la Force de résistance patriotique en Ituri (FRPI) et le Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI), respectivement) pour commettre les crimes.

Agissant en vertu de la Règle 55 du Règlement de la Cour, la majorité de la Chambre de première instance a avisé les parties qu’elle pourrait changer le mode de responsabilité de Katanga pour adopter celui de l’article 25 (3) (d) (ii), également appelée responsabilité à « but commun ». Le nouveau mode de responsabilité s’applique à tous les crimes, sauf ceux relatifs à l’utilisation d’enfants soldats.

En raison de cette évolution dans l’affaire Katanga, les juges ont disjoint les deux cas et acquitté Ngudjolo le 18 décembre, 2012. Le procureur a fait appel de son acquittement.

La défense de Katanga a fait valoir que le calendrier et la nature de la modification allaient violer le droit de Katanga à un procès équitable. La défense a également soutenu que, même si les juges procèdent au changement, il y a suffisamment de preuves pour condamner Katanga en vertu de l’article 25 (3) (d). Ces observations sont examinées brièvement ci-dessous ; on obtiendra des détails supplémentaires en consultant les mémoires de défense.

Faits insuffisants

La défense a commencé par dire qu’elle n’avait pas une connaissance suffisante des faits sur lesquels la chambre entend se fonder si les accusations sont modifiées. La défense a fait remarquer qu’à l’origine, Katanga et Ngudjolo ont été accusés d’avoir planifié conjointement l’« effacement » de Bogoro et commis des crimes allégués. Les deux accusés se seraient servis de milices pour mener à bien l’attaque et commettre des crimes. La défense a fait valoir que les accusés ont été inculpés en tant que co-auteurs interdépendants. Puisque la chambre de première instance a acquitté Ngudjolo, en soustrayant un des deux partenaires de l’entente alléguée, alors on doit également déclarer Katanga innocent, selon la défense.

Si la Chambre change le mode de responsabilité, l’accusation devra prouver qu’un groupe qui partage un objectif criminel commun, a commis les crimes allégués. La défense se plaint qu’il n’y avait aucun détail sur qui a exactement appartenu à un tel groupe, sauf que c’était des « combattants et des commandants Ngiti. » Cette qualification est trop imprécise, selon la défense. Si les accusations sont modifiées, l’identité des membres du groupe est importante, a ajouté la défense – autrement, n’importe quel combattant Ngiti pourrait être considéré comme faisant partie du groupe.

La défense a également soutenu qu’il n’y avait aucune indication de ce que serait le nouveau « but commun » de ce groupe si les charges  étaient modifiées. La décision de confirmation des charges liait spécifiquement le but commun (« effacer Bogoro ») à Katanga et Ngudjolo. Selon la défense, puisqu’ils ne sont plus supposés avoir fait partie du groupe qui partageait le plan commun, alors il faut des preuves supplémentaires concernant le nouveau plan présumé, notamment qui a formulé et orchestré ce plan, et comment cela s’est passé.

La défense a affirmé que parce qu’elle n’avait pas ces faits, il lui était difficile de répondre adéquatement aux changements potentiels. Elle ne pouvait que donc spéculer sur ce que la chambre de première instance a à l’esprit.

La défense a en outre noté que l’imprécision de la requalification proposée était une question litigieuse devant la Chambre d’appel. Dans sa décision, la Chambre d’appel a dans sa majorité indiqué qu’elle ne connaissait pas la nature exacte du changement ou les éléments de preuve sur lesquels allait s’appuyer la Chambre de première instance, en particulier en ce qui concernait la nature du « groupe » agissant dans un but commun. Une opinion dissidente de la Chambre d’appel a fait valoir que ce manque de clarté aurait dû conduire à un renversement de la décision. La voix dissidente, celle du juge Tarfusser a fait valoir que la décision de notification d’une requalification possible doit être aussi spécifique et précise que possible, en particulier pour permettre à la défense de présenter des observations utiles.

Le changement était imprévisible

L’équipe de défense de Katanga a fait valoir qu’elle ne pouvait pas prévoir ce mode éventuel de responsabilité pendant qu’elle traitait de l’affaire. Les deux modes de responsabilité s’excluent mutuellement, selon la défense. Sous le mode original de responsabilité, Katanga aurait été un « coupable principal », ou directement responsable du crime. En vertu de la modification proposée, il serait accusé de « complicité », ce qui signifie qu’il aurait aidé à la perpétration du crime mais ne l’a pas commis lui-même.

Selon la défense, l’accusé ne peut être accusé comme principal et comme complice concernant le même ensemble de faits. Par conséquent, il ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce mode de responsabilité en instruisant le dossier, en interrogeant des témoins, ou en rendant ses conclusions.

Permettre à la défense d’avoir plus de temps pour rappeler des témoins, appeler de nouveaux témoins ou enquêter sur l’affaire plus en profondeur, tout cela ne saurait constituer un remède au préjudice considérable qu’elle subirait si les accusations étaient modifiées, a soutenu la défense. Cependant, la défense a sollicité un délai supplémentaire pour mener de nouvelles enquêtes et présenter des preuves supplémentaires si le mode de responsabilité est modifié afin qu’elle puisse présenter une défense pleine et entière contre d’éventuelles charges nouvelles.

Outre l’opacité des faits et la nature des nouvelles charges éventuelles, la défense a fait valoir que la nouveauté et l’incertitude de ce mode de responsabilité créent d’importants obstacles au procès de Katanga. La défense a fait valoir que ni une chambre de première instance ni la Chambre d’appel ne se sont prononcées sur ce mode de responsabilité, ce qui soulève un débat des controverses sur la façon dont il peut être prouvé. Selon la défense, le mode de responsabilité proposé est un « fourre-tout » qui semble criminaliser d’ « autres » contributions à des crimes commis par un groupe de personnes agissant dans un but commun qui ne rentre pas dans des concepts tels que le commandement, le racolage, l’incitation , la complicité, ou l’assistance trouvé ailleurs dans l’article 25.

Violation du droit à un procès équitable

Sans plus de précision, la requalification violerait le droit de Katanga à un procès équitable, a fait valoir la défense. Il y aurait violation de son droit à l’information opportune, claire et cohérente concernant la base factuelle des accusations portées contre lui, selon la défense. Toujours selon la défense, le changement risque également d’entraîner une violation de son droit à un procès équitable et à ne pas être contraint d’admettre sa culpabilité. La défense a fait valoir que la plupart des preuves sur lesquelles s’appuierait la chambre découlent de l’interrogatoire de Katanga par les juges au cours de son témoignage. Si Germain Katanga n’avait pas témoigné, ou tout simplement avait tout rejeté, il aurait été acquitté, a soutenu la défense. Au lieu de cela, Katanga a décidé de témoigner et de donner une meilleure compréhension du conflit et du contexte dans lequel les crimes auraient été commis. Pour cette raison, le changement dans le mode de responsabilité est particulièrement préjudiciable, a ajouté la défense, et en contradiction avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

La modification des charges risquerait de porter un coup à la légitimité de la CPI et conduirait à une distorsion dans l’équilibre entre « combler le fossé de l’impunité » et protéger le droit de l’accusé à un procès équitable, selon la défense. En outre, il y avait le risque que les chambres s’approprient indument les fonctions du procureur.

La défense a également fait valoir qu’il existe un risque que l’utilisation de ce mode de responsabilité mène à la « culpabilité par association ». Cela a été explicitement rejeté dans la rédaction du Statut de Rome, a fait remarquer la défense, et serait contraire aux principes de « gravité » et de poursuite de « ceux qui portent la plus grande responsabilité », piliers de la CPI.

Katanga devrait être acquitté

Cependant, même si le mode de responsabilité devait être changé, a soutenu la défense, la chambre de première instance doit acquitter Katanga. La défense a fait valoir que pour condamner Katanga en vertu de l’article 25 (3) (d), l’accusation devra prouver que Katanga a apporté une contribution « substantielle » qui a fait ou a pu faire une différence tangible à la réussite de la perpétration de crimes. L’Accusation a cependant fait valoir, qu’il suffisait que la contribution de Katanga soit « substantielle  » et simplement liée à la perpétration d’un crime par le groupe. Cette distinction est critique et n’est toujours pas réglée dans la jurisprudence CPI, a soutenu la défense.

Toutefois, selon la défense, il n’y a pas assez de preuves pour établir que Katanga a apporté une contribution substantielle ou significative aux crimes.

Selon l’Accusation, les combattants Ngiti ont attaqué Bogoro d’une manière planifiée et coordonnée, ce qui a conduit à la perpétration de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. L’Accusation a soutenu que les preuves montrent que Katanga a contribué aux crimes commis à Bogoro par :

  1. L’organisation et la participation à des discussions avec d’autres commandants Ngiti qui ont abouti au plan d’attaque du village, et
  2. L’obtention et la distribution d’armes et de munitions aux combattants Ngiti qui ont commis des crimes à Bogoro.

Cependant, la défense a fait valoir que Katanga a apporté sa contribution à un plan élaboré et réalisé par le gouvernement de la RDC (commandement en chef opérationnel intégré (EMOI)), Armée du peuple congolais (APC) et Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-KML) pour reprendre le contrôle de l’est de la RDC. La défense a fait valoir que ce groupe qui n’apparaît pas dans les accusations portées contre Katanga, a soit confirmé soit proposé. La décision de notification de la majorité se réfère au groupe en tant que « combattants et commandants Ngiti » a fait remarquer  la défense.

Selon la défense, le groupe Emoi / APC / RCD-KML avait un but légitime, non criminel pour regagner les territoires qui étaient tombés entre les mains d’États étrangers et de leurs agents, y compris l’Union des patriotes congolais (UPC) de Thomas Lubanga. Selon la défense, si jamais ce but est devenu criminel, Katanga n’en savait rien. Il croyait que l’attaque de Bogoro était contre des soldats, pas des civils, a ajouté la défense.

Le rôle de Katanga comme « coordonateur » n’impliquait aucun grade militaire ou rôle officiel, selon la défense. Au contraire, c’était un titre que Katanga s’était choisi lui-même et qui fait référence à son rôle de médiateur entre les différents commandants et les groupes de combattants locaux. La défense a fait valoir que Katanga n’était pas en mesure de prendre des décisions sur le plan Emoi / APC / RCD-KML pour attaquer Bogoro et reprendre les parties est de la RDC. En tant que coordonateur, son rôle était simplement de négocier, selon la défense.

En outre, il n’était pas un chef des combattants Ngiti au moment de l’attaque, a soutenu la défense, et plus tard il n’est devenu leur chef que de nom, mais pas dans la réalité. Selon la défense, c’est seulement en 2004 que Katanga est devenu officiellement président de la FRPI et a renforcé son contrôle sur le groupe.

La défense a également affirmé que Katanga n’a pas contribué à la perpétration des crimes en Bogoro. La défense a fait valoir que, conformément à la loi, il s’agissait d’apporter une contribution à la commission des crimes, et non pas seulement aux membres du groupe. Ce type de contribution n’est pas étayé par des preuves, a fait valoir la défense. Toutes les armes qui ont été fournies ou livrées aux combattants qui ont attaqué Bogoro ont été fournies par le gouvernement de la RDC et distribués par l’APC, a affirmé la défense. Il n’existe aucune preuve que les armes distribuées par Katanga ont été utilisées dans l’attaque de Bogoro, ni que Katanga était à Bogoro ou contrôlait les attaquants, a soutenu la défense.

Sur la base de ces arguments juridiques et d’autres, la défense a fait valoir que la chambre ne devrait pas changer les accusations portées contre Katanga et que même si c’était le cas, Katanga devrait être acquitté. Les juges vont maintenant examiner les arguments présentés par les parties et rendre une décision sur cette question cruciale.

 


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