Trois témoins, qui avaient été en détention en République démocratique du Congo (RDC), ont été transférés au Quartier pénitentiaire de la Cour pénale internationale (CPI) afin de pouvoir témoigner au procès de Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo en mars 2011. Ils ont demandé à la Chambre de première instance II de la CPI d’ordonner leur remise en liberté immédiate. La Chambre de première instance a conclu qu’elle n’avait pas la compétence requise pour prendre une telle décision ; les témoins ont interjeté appel. Le Procureur de la CPI a fait valoir que le pourvoi est irrecevable.
Katanga et Ngudjolo sont accusés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui auraient été commis lors d’une attaque contre Bogoro, un village de l’est de la RDC. Ngudjolo a été acquitté à la fin de 2012 et attend un jugement en appel, et le procès de Katanga est bloqué depuis près d’un an en attendant les changements potentiels dans les accusations portées contre lui.
Imbroglio juridique : ni retour ni remise en liberté
Les trois témoins ont déclaré que c’est le Président de la RDC, Joseph Kabila, qui était responsable de ces crimes plutôt que Katanga et Ngudjolo. A cause de ce témoignage, les témoins ont affirmé qu’ils seraient soumis à des violations des droits humains s’ils étaient renvoyés en RDC, comme ils étaient censés l’être, après leur témoignage. Ils ont demandé l’asile aux Pays-Bas, ce qui a conduit à un débat juridique complexe (voir articles précédents) entre les Pays-Bas, la RDC et la CPI.
Les autorités néerlandaises ont refusé de prendre la garde des témoins en attendant le traitement de leur demande d’asile. En février 2013, près de deux ans après leur arrivée à La Haye, les témoins ont demandé que la Chambre de première instance II de la CPI autorise leur libération immédiate, affirmant que leur détention n’était pas justifiée. En octobre 2013, la Chambre de première instance, à la majorité, a décidé qu’elle n’avait pas le pouvoir de décider de la remise en liberté des témoins. Les témoins ont fait appel de cette décision en vertu de l’article 82 (1) (a) – (b) du Statut de Rome.
Pas de bases pour l’appel, selon le Procureur
L’Accusation a soutenu qu’il n’y avait aucun fondement pour l’appel en vertu du Statut de Rome. Elle a fait valoir que la décision de la majorité de la Chambre de première instance n’était pas une décision sur la compétence de la CPI ou une décision refusant la remise en liberté de toute personne « objet d’une enquête ou de poursuites », base pour les appels prévue à l’article 82 (1) (a) – (b) du Statut de Rome. L’Accusation a également fait valoir que, si la Chambre d’appel interjette appel, elle allait rejeter cet appel car la majorité de la Chambre de première instance a agi correctement.
Dans leur appel, les témoins ont reconnu que l’article 82 (1) (b) se réfère uniquement aux appels interjetés par les parties en rapport avec le rejet de la remise en liberté des suspects et des accusés. Toutefois, ont soutenu les témoins, leur cas est particulier, car il traite d’une question qui a été négligée par les rédacteurs du Statut de Rome : la possibilité que les témoins puissent également être détenus par la CPI. L’Accusation a rejeté cet argument, estimant que les rédacteurs du Statut de Rome ont délibérément limité cette disposition sur le droit d’interjeter appel. La disposition est clairement limitée aux personnes soumises à un mandat d’arrêt de la CPI, comme indiqué par une simple lecture des statuts ainsi que la jurisprudence de la Chambre d’appel de la CCI, a soutenu l’Accusation.
En outre, a indiqué l’Accusation, la décision de la majorité de la Chambre de première instance majorité n’était pas une décision de « rejet de la remise en liberté », mais plutôt une décision portant sur la compétence de la Cour en matière de remise en liberté des témoins. C’est là une autre raison pour laquelle les témoins n’ont pas le droit d’interjeter appel en vertu de l’article 82 (1) (b), a ajouté l’Accusation.
L’article 82 (1) (a) ne constitue pas non plus une base suffisante pour l’appel, a fait valoir l’Accusation. L’article 82 (1) (a) donne un droit d’appel pour les décisions relatives à la compétence ou la recevabilité, mais celles-ci sont limitées aux décisions de l’article 19 sur la compétence de la Cour ou la recevabilité d’une affaire, selon l’Accusation. Dans cette décision, la Chambre n’a pas procédé à un examen de la compétence temporelle, matérielle ou personnelle de la Cour, a soutenu l’Accusation.
Selon l’Accusation, la décision de la Chambre de première instance était la bonne
Les témoins ont fait valoir qu’ils sont injustement détenus en vertu de l’article 93 (7) du Statut de Rome. Leur droit humain international à la liberté garantie par l’article 21 (3) du Statut de Rome, exige leur remise en liberté, ont-ils soutenu. Les témoins ont fait valoir que la Chambre de première instance a l’obligation de se prononcer sur leur remise en liberté car elle implique la protection de leurs droits humains. La Chambre aurait dû interpréter l’article 93 (7) à la lumière de l’article 21 (3), ce qui exigerait leur remise en liberté immédiate ont affirmé les témoins.
Selon l’Accusation, la décision de la majorité de la Chambre de première instance respectait le Statut de Rome et était conforme aux normes relatives aux droits de l’homme. La Chambre de première instance a agi correctement en consultant les autorités néerlandaises concernant le rythme de la procédure d’asile et en examinant la nécessité de leur détention par la RDC. La Chambre de première instance devrait effectuer des examens périodiques similaires de la détention des témoins, a suggéré l’Accusation, afin de s’assurer que le maintien en détention des témoins est encore nécessaire.
La Chambre a interprété l’article 93 (7) conformément à l’article 21, a fait remarquer l’Accusation. L’article 21 (1) stipule que les dispositions du Statut de Rome devraient avoir préséance sur le droit international des droits de l’homme, a soutenu l’Accusation. L’article 21 (3) prévoit que la Chambre de première instance doit appliquer et interpréter le Statut de Rome afin qu’il soit conforme aux droits de l’homme internationalement reconnus. L’article 21 (3) ne signifie pas que la Chambre de première instance peut ignorer ou modifier d’autres dispositions du Statut de Rome, a fait valoir l’Accusation – mais qu’elle ne fait que contrôler la façon dont ces dispositions doivent être interprétées et appliquées.
La Chambre de première instance a eu raison de conclure que le droit à la liberté a des exceptions, a soutenu l’Accusation, et ne violait pas le droit des témoins à la liberté par son interprétation de l’article 93 (7). En effet, selon l’Accusation, la Chambre a tenté activement de protéger les droits des témoins en facilitant l’accès des témoins aux autorités de la RDC pour une contestation devant les tribunaux en RDC, en appelant les Hollandais à traiter rapidement les demandes d’asile déposées par les témoins et par sa décision initiale de ne pas renvoyer les témoins en vertu du principe de non -refoulement.
L’Accusation a soutenu que les témoins avaient ignoré l’article 21 (1), qui stipule que la Chambre doit d’abord appliquer le Statut de Rome, puis les règles de droit international (y compris la législation sur les droits de l’homme). Dans cette logique, les obligations de la Cour envers la RDC conformément à l’article 93 (7) auraient préséance sur l’application directe du droit international des droits humains. L’Accusation était d’accord avec la conclusion de la Chambre selon laquelle la CPI n’est pas une cour des droits de l’homme.
Les témoins ont également fait valoir que la Chambre avait tord de faire la distinction entre leur « détention » par la RDC et leur « garde à vue » par la CPI. L’Accusation ne partageait pas ce point de vue. Selon l’Accusation, les témoins ne sont pas détenus en vertu de l’article 93 (7), mais selon le droit congolais. L’article 93 (7) est similaire à des dispositions figurant dans de nombreux accords d’entraide judiciaire et il est important de veiller à ce que les Etats coopèrent avec la Cour, a fait remarquer l’Accusation. L’Accusation est d’accord avec la majorité de la Chambre sur le fait que l’évaluation du bien-fondé de la décision prise par la RDC d’emprisonner ces témoins allait sévèrement limiter sa souveraineté.
La Chambre de première instance a eu raison de conclure qu’elle n’avait pas compétence sur la question, a déclaré l’Accusation. L’examen du bien-fondé des décisions nationales relatives à la détention des personnes transférées à la Cour en tant que témoins selon l’article 93 (7) n’est pas un problème accidentellement omis par le Statut de Rome, a soutenu l’Accusation. Au contraire, selon l’Accusation, cela n’entre tout simplement pas dans la compétence de la CPI, comme prévu par les rédacteurs du Statut de Rome.