Nous vous présentons la Chronique Katanga et Ngudjolo #3, qui à l’origine a été publiée sur le site web d’Aegis Trust. Les vues et opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions d’Open Society Justice Initiative.
Ce procès suscite beaucoup d’attentes. Il ne s’agit que du second procès de la CPI, et c’est aussi le second à résulter du conflit en République démocratique du Congo. Les victimes de crimes graves attendent la justice depuis plus de six ans. Comme pendant les premiers jours du procès de Thomas Lubanga, les gens s’attendent à ce que les témoignages pleins de force donnent vie aux atrocités commises en RDC. Cependant, en ce troisième jour de la procédure, le procès ne semble toujours pas prendre vie.
En outre, les personnes les plus préoccupées par le procès, les populations de l’Ituri, n’ont pas été en mesure de suivre un seul mot prononcé par cette Cour car l’émission a été coupée pendant la déclaration inaugurale du 24 novembre. Le juge président Cotte annonce au public que, dans l’après-midi, la personne responsable de cet échec viendra donner des explications. « À huis clos s’il vous plaît, et le témoin pourra entrer dans la salle », dit le juge.
Avec une déformation de l’image et de la voix, le témoin 233 jure solennellement de dire la vérité. Juste quelques mots sont échangés avant que le procureur Eric Macdonald demande à la Cour de poser ses premières questions à huis clos : l’homme qui témoigne est un témoin protégé. Le silence dure longtemps, et c’est presque quinze minutes avant la pause du matin que le public va de nouveau assister au procès. Le témoin est en train d’épeler des noms. « Je voudrais épeler le nom de la colline Lagura au lieu de Ragura, dit-il. » Le Procureur montre une photographie. Un bâtiment apparaît au milieu d’un champ. On peut distinguer plusieurs portes et un toit en métal. « Qu’est-ce que c’est? » demande Procureur MacDonald. « C’est l’Institut de Bogoro, un camp militaire. Il a été occupé par l’UPDF [les Ougandais, comme l’a plus tard précisé le témoin] et ensuite par l’UPC », un lieu qui, selon le témoin, était miné. « Les mines ont été placées là le 24 février 2003. » Le jour de l’attaque.
Le premier témoin appelé par le Procureur à témoigner est un homme qui était présent lorsque les crimes ont été commis. Le Procureur Macdonald continue de montrer au témoin différentes images de la région. Pour ce faire, l’équipe de l’Accusation a préparé une image à 360 degrés. Pendant que l’on fait pivoter cette photo à haute résolution, M. MacDonald demande au témoin de décrire ce qu’il voit sur l’écran. « Cette maison était très bien construite, mais après la guerre, elle a été détruite », explique-t-il. Le témoin 233 semble parfaitement connaître l’endroit : il s’agit de Bogoro, le lieu du crime.
« Après l’attaque [le 24 Février 2003] toutes les écoles ont été détruites, sauf Bogoro Institute, où se trouvait le camp militaire. » Au camp, entre cent et deux cents soldats de l’UPC étaient stationnés. « Ils étaient armés », assure le témoin. « Et en cas d’attaque, quelles ont été les instructions données aux civils? » demande le Procureur. « On nous a dit que si l’ennemi arrivait, la population devrait se précipiter dans le camp. Il n’y avait aucune autre protection en dehors du camp », dit le témoin.
Le témoin 233 raconte à la Cour qu’après l’attaque du 24 février, personne n’est resté à Bogoro. Tout le monde a fui, certains ont cherché refuge en Ouganda, d’autres à Bunia. « Tout a été détruit; seuls les murs restaient debout », dit-il.
Le témoin 233 a été en mesure de revenir à Bogoro en 2005, mais il y avait toujours la guerre dans la région et il était dangereux de rester. « Le gouverneur de la région a parlé au chef et a suggéré que l’on parte. » Ils ont dû fuir à nouveau. Le témoin est invité à écrire le nom du gouverneur. On lui demande constamment d’épeler, ce qui interrompt le témoignage et ralentit l’audience du matin.
Après la pause-déjeuner un participant inhabituel prend la parole. À la demande de la défense de Mathieu Ngudjolo, le chef du Service de l’information publique et de la documentation de la Cour (SIPD), Sonia Robla, fait une déclaration officielle sur les difficultés que l’Unité a eu à radiodiffuser l’ouverture du procès en Ituri le 24 novembre. Mme Robla argue de problèmes techniques pour expliquer cette absence d’information. « La télévision nationale du Congo n’a qu’un seul satellite pour recevoir le signal. La veille de l’ouverture du procès, nous avons été informés que ce satellite était entièrement réservé. Nous nous sommes rendu compte que nous avions des difficultés et nous avons activé le plan B. Nous avons informé nos principaux acteurs en Ituri – dirigeants communautaires, ONG, journalistes – du problème et nous avons promis de faire tous les efforts pour le résoudre », dit Mme Robla. Le plan B comprend la production de courts résumés des travaux à envoyer aux radios et télévisions locales en Ituri et l’envoi d’une copie de toute la journée à la télévision nationale en RDC à la fin des travaux de la journée. « Le matériel sera diffusé par la télévision nationale demain dans les nouvelles du matin, qui ont la plus grande audience », assure Mme Robla. Ce n’est pas la première fois que les populations de l’Ituri ne peuvent pas suivre un procès à la CPI. Le 26 janvier, à l’ouverture du procès de Lubanga, lorsque les gens se sont rassemblés à Bunia pour y assister, les organisateurs de la CPI ont dû suspendre la diffusion pour raison de sécurité.
Mme Robla quitte la salle d’audience et le Procureur demande à la Chambre de reprendre demain la déposition du témoin. M. MacDonald affirme que le témoin 233 est fatigué. Le témoin a été interrogé sur de nombreux détails concernant des noms et des lieux différents, ce qui a mis sa mémoire à rude épreuve. Mais en dépit de la fatigue du témoin 233, la Chambre décide que l’audience va se poursuivre.
« Sans dévoiler le nom de personnes avec qui vous étiez le 24 février 2003, que s’est-il passé ce jour-là? » demande le Procureur Eric MacDonald. On a commencé à entendre le bruit des coups de feu à cinq heures du matin ce jour-là. « Nous avons entendu des balles. Je me suis réveillé. Je suis allé en direction du camp. J’ai trouvé les ennemis là-bas. Quand ils m’ont vu, ils ont commencé à tirer. » Le témoin 233 a dû fuir à la hâte. Il n’a pas eu le temps de prendre quoi que ce soit avec lui. Le témoin 233 s’est caché dans la brousse avec les autres, dont un soldat de l’UPC. « Nous n’avions rien à boire et à manger. Je me suis dit que nous n’allions pas survivre dans cet état. »
« Qui était-ce cet ennemi? » demande Macdonald. « Ces gens venaient des routes Lendu et Ngiti», dit le témoin.
À un moment donné, le témoin raconte que quelqu’un a crié de sortir, que l’ennemi était parti. « Je me suis dit que ce n’était pas vrai. » La personne parlait en swahili et en Kihema, la langue du groupe Hema. Des gens sont sortis de la brousse. Ils avaient faim. Quelqu’un a essayé de rejoindre son domicile pour prendre un peu de nourriture. « Je n’ai plus jamais revu cette personne depuis lors », dit le témoin. « J’ai entendu des coups de feu et j’ai compris que cette personne avait été tuée. Quelqu’un dans la brousse m’a dit qu’il avait trouvé un corps sur la route. » Le témoin n’est pas sorti, il est resté caché jusqu’à l’après-midi.