Germain Katanga & Mathieu Ngudjolo Chui in court
qui sommes Germain Katanga &
Mathieu Ngudjolo Chui?

Par Taegin Stevenson

Le présent résumé comprend des évènements qui ont eu lieu du 2 au 13 mai 2011.

Au retour des vacances judiciaires de printemps de la CPI, la Cour a entendu plusieurs personnes qui ont témoigné pour la défense de Germain Katanga. Le troisième témoin de Katanga, Pierre Célestin Mbodina Iribi (également connu sous le nom Pichou), a terminé son témoignage et trois autres témoins ont été appelés à la barre: Sharif Manda Ndadza Dz’Na, le témoin 176 et le témoin 134.

Ces témoins ont parlé de l’attaque de Bogoro, village de la région de l’Ituri en République démocratique du Congo (RDC) en date du 24 février 2003. Katanga et Mathieu Ngudjolo Chiu ont tous les deux à répondre de crimes contre l’humanité et crimes de guerre devant la CPI pour des crimes commis lors de l’attaque. Les deux accusés nient les accusations portées contre eux.

Pierre Célestin Mbodina Iribi (témoin 228)

Iribi, un Ngiti, était un membre haut placé du FRPI (Front de résistance patriotique de l’Ituri), la milice armée dont Germain Katanga aurait été le chef. Iribi a témoigné au sujet du FRPI et d’autres groupes armés opérant en Ituri au cours du conflit. Dans son témoignage, Iribi a mis l’accent sur le rôle du gouvernement de la RDC dans l’attaque de Bogoro.

Iribi a été détenu à Kinshasa depuis 2005. Lui et deux autres témoins de la défense ont indiqué qu’ils avaient l’intention de demander l’asile politique aux Pays-Bas. Cette question est examinée plus en profondeur ci-dessous.

La Cour a noté avec préoccupation qu’en raison de la pause dans la déposition du témoin pendant les vacances de printemps, Iribi a effectivement été placé en isolement pour éviter les interactions entre lui et d’autres témoins du centre de détention qui avaient terminé ou n’avaient pas encore commencé leur témoignage.

La Chambre a noté qu’elle avait fait des efforts pour améliorer la situation. Cependant, alors qu’Iribi a été autorisé à recevoir des appels téléphoniques de sa famille, il n’a pas été autorisé à prendre part aux exercices en plein air avec les détenus du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

Sharif Manda Ndadza Dz’Na (témoin 351)

Sharif Manda Ndadza Dz’Na était aussi un officier de haut rang du FRPI qui a été arrêté et est détenu à Kinshasa. Manda a témoigné au sujet de la création du FRPI en décembre 2002, ce qui selon lui, constituait une réponse à la menace d’attaques menées par l’Union des patriotes congolais (UPC) de Thomas Lubanga. Thomas Lubanga, le chef présumé de ce groupe rebelle Hema, est aussi accusé devant la CPI.

Comme les témoins de la défense précédents, Manda a témoigné que l’État-major opérationnel intégré (EMOI) a été créé par le gouvernement de Kinshasa pour lutter contre les forces rebelles et libérer l’est de la RDC. Le témoin a dit qu’il a assisté à plusieurs réunions de l’EMOI, et que de temps en temps, le colonel Aguru venait de Kinshasa pour donner des instructions et leur dire ce que les prochaines opérations armées allaient impliquer. Les commandants locaux des groupes armés opérant dans la région de l’Ituri allaient participer à ces réunions, selon le témoin.

Manda a également témoigné au sujet de l’attaque de Bogoro.

« A Beni, ils se préparaient à aller combattre à Bunia, et non pas à Bogoro, mais ils ont dû passer par Bogoro pour arriver là où ils allaient. … Selon l’entraînement à la bataille suivi à Beni, il s’agissait d’attaquer Bunia et non Bogoro, » a déclaré Manda.

Le témoin a affirmé que les dirigeants de différents villages de la région ont été appelés à combattre, y compris Germain Katanga, qui était responsable du village d’Aveba. Cependant, le témoin n’a entendu personne appeler Katanga « président », jusqu’à l’arrestation de ce dernier

Le témoin a également été interrogé sur sa version de l’attaque par l’Accusation et les juges. Manda s’en est tenu à son témoignage sur l’attaque de Bogoro au cours du contre-interrogatoire de l’Accusation. Les juges ont demandé si la question de la récupération de Bogoro avait jamais été spécifiquement abordée lors des réunions de l’EMOI, ou si les discussions ne portaient que sur la récupération de Bunia. Selon le témoin le colonel Aguru avait discuté de la stratégie de récupération de Bunia qui incluait une discussion de Bogoro et des positions occupées par l’ennemi.

« Quand Aguru nous a montré la carte, il a désigné tous les postes qui étaient occupés par l’ennemi, l’UPDF et l’UPC et Kpandroma a été indiqué et Bogoro, et ce sont les zones qui devaient être récupérées avant d’aller à Bunia, » a déclaré Manda.

Le témoin a également dit aux juges qu’Aguru était le commandant de toutes les opérations visant à récupérer Bunia. Au cours des réunions de l’EMOI, a déclaré Manda, le colonel Aguru leur répétait souvent que les civils doivent être protégés et non pas attaqués pendant la bataille.

Le témoin 176

Le témoin 176 était un soldat de l’UPC basé à Bogoro au cours des attaques qui ont eu lieu en février 2003. Une grande partie de son témoignage s’est faite à huis clos.

Le témoin a déclaré que la première attaque de Bogoro a eu lieu le 10 février, et la deuxième attaque a eu lieu le 24 février 2003. Les charges contre Katanga et Ngudjolo ne concernent que l’attaque du 24 février.

Le témoin 176 a affirmé que qu’il y avait environ 130 soldats de l’UPC à Bogoro le 24 février. Comme ils savaient qu’une seconde attaque allait se produire, ils avaient demandé aux familles de partir.

En contre-interrogatoire, le témoin a prétendu qu’il y avait plusieurs groupes ethniques présents à Bogoro à l’époque de l’attaque, y compris les Ngiti et les Lendu. Les Hema constituaient la majorité, a-t-il dit.

Témoignant au sujet de l’attaque du 24 février contre Bogoro, le témoin a confirmé que les assaillants étaient Ngiti, provenant des routes Geti et Medhu, et aussi des Lendu de Zumbe. Il a également confirmé qu’au moment de l’attaque, Ngudjolo était le commandant le plus haut gradé à Zumbe.

Il a déclaré avoir entendu les assaillants crier, « Capturez-les ». L’UPC a fui le camp de Bogoro, à la fin de l’attaque, tandis que les attaquants sont restés dans le village.

Interrogé par le représentant légal des victimes, le témoin 176 a admis que de nombreux habitants de Bogoro sont morts pendant l’attaque et que des maisons ont été brûlées.

Il a dit que de nombreux habitants ont fui vers le camp militaire de Bogoro où les soldats de l’UPC pouvaient les protéger, mais d’autres, plus éloignés du centre du village, s’étaient cachés dans la brousse. Il a indiqué que parmi ceux qui ont fui vers le camp militaire, il y avait des hommes, des jeunes, des femmes et des personnes âgées.

Le témoin 176 a témoigné que les assaillants Ngiti se comportaient comme des civils. Ils étaient habillés en civils, a-t-il dit, et parmi eux, il y avait aussi bien des hommes que des femmes.

« Quand ils sont arrivés, ils tiraient sur tous les civils qui tentaient de quitter leurs foyers, et certains d’entre eux ont attaqué leurs victimes à coup de machette. Même les femmes avaient des machettes, et ont commencé à abattre des gens, » a-t-il témoigné.

Le témoin 176 dit que quand il a rejoint l’UPC, il y avait un conflit interethnique entre les Hema et les Lendu / Ngiti. Comme l’ont fait les témoins de la défense précédents, le témoin 176 a déclaré que le conflit était à l’origine un conflit foncier, entre les agriculteurs (les Lendu / Ngiti) et les éleveurs (Hema).

Le témoin 134

Le témoin 134, qui travaillait pour une ONG en Ituri, a témoigné au sujet de sa relation avec la famille de Germain Katanga ainsi que le rôle de Katanga à Aveba. Une grande partie de ce témoignage a été faite à huis clos.

Les questions juridiques et de procédure

Clôture de la plaidoirie de la défense de Katanga

L’équipe de défense de Katanga a indiqué qu’elle allait probablement terminer sa plaidoirie en juin et qu’elle avait réduit à quatre le nombre de témoins qu’elle allait appeler.

Des témoins de Katanga vont demander l’asile aux Pays-Bas

Le procès prend une tournure intéressante : trois témoins de la défense de Katanga (Floribert Njabu, Iribi, et Manda) ont indiqué qu’ils aller demander l’asile politique aux Pays-Bas. Les témoins sont tous les détenus qui ont été transférés d’une prison de Kinshasa aux Pays-Bas uniquement en vue de leur témoignage devant la CPI. Les témoins affirment qu’ils courent de sérieux risques en cas de retour à la détention à Kinshasa à cause de la nature de leur témoignage.

La Chambre a souligné qu’elle n’a pas la compétence pour statuer sur une demande d’asile, qui ne peut être décidée par les autorités néerlandaises compétentes. Toutefois, la Chambre a tenu une conférence de statut en vue d’entendre les représentants légaux des victimes, les parties et les autorités néerlandaises sur le statut juridique des témoins et les mesures qui devraient être prises par la Cour en réponse à la demande des témoins.

La question semble se concentrer sur la double obligation de la Cour de retourner les témoins en RDC immédiatement après leur témoignage, et de protéger les témoins.

Selon le représentant légal pour les témoins, l’avocat Mabanga, les témoins s’exposent à des représailles de la part des autorités congolaises, car leur témoignage met en cause le gouvernement dans l’attaque de Bogoro. Les mesures de protection proposées par l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins de la CPI (UVW) pour faire face à ces risques une fois les témoins de retour en RDC sont « d’une flagrante insuffisante », a-t-il affirmé, en raison des limites de l’Unité pour ce qui est d’imposer des mesures au système pénitentiaire la RDC. Les mesures de l’Unité nécessiteraient l’intervention de la Croix-Rouge afin de fournir des informations sur la situation des témoins une fois qu’ils retournent en détention à Kinshasa, ce qui, selon Mabanga, est insuffisant.

Afin d’éviter les persécutions à leur retour à la RDC, les témoins ont demandé à la Cour de les remettre aux autorités néerlandaises en attendant leur demande d’asile. Ce transfert est nécessaire, a affirmé Mabanga, parce que les témoins sont actuellement sous la juridiction de la Cour et, partant, les autorités néerlandaises n’ont pas de base juridique pour examiner une demande d’asile. Mabanga a caractérisé la demande comme étant une mesure nécessaire de protection de ces témoins.

Mabanga a déclaré que ses clients, n’avaient jamais et à aucun moment envisagé la possibilité qu’ils ne feraient pas face aux accusations qui ont été formulées à leur encontre en RDC.

L’avocat de l’équipe de défense de Katanga a fait remarquer qu’un cabinet d’avocats néerlandais spécialisé dans les demandes d’asile s’est déjà entretenu avec les témoins et allait soumettre leurs demandes d’asile aux autorités compétentes néerlandaises.

L’avocat de Katanga a également souligné que la Cour est tenue de protéger les droits humains internationaux des témoins en raison de la personnalité juridique de la Cour en tant que personne juridique internationale. L’avocat de l’équipe de défense de Ngudjolo a également insisté sur les obligations de la Cour en matière de protection des droits de l’homme des témoins.

Selon l’Accusation, les témoins étaient des détenus congolais temporairement transférés à la CPI par la RDC pour la durée de leur témoignage. Par conséquent, les témoins restent sous la juridiction de la RDC, selon l’Accusation. L’Accusation a également laissé entendre qu’il n’y avait pas de preuve objective des risques ou des menaces à la vie des témoins s’ils étaient retournés en RDC.

Le Greffe de la CPI, qui est chargé d’organiser le transfert des témoins de la RDC et leur détention aux Pays-Bas pendant leur témoignage devant la Cour, a aussi donné son point de vue sur la situation. La greffe semblait adopter la même position que l’Accusation, à savoir que les témoins étaient temporairement sous la garde de la CPI, mais encore de la compétence de la RDC. Selon l’accord conclu avec la RDC, les témoins auraient dû être remis à la RDC le 13 mai 2011. Tout retard signifiait que la Cour serait en violation de cet accord, y compris si la Cour devait remettre les témoins aux autorités néerlandaises. Le Greffe n’a pas estimé que les Pays-Bas, en tant qu’État hôte de la CPI, avait une quelconque compétence sur les témoins. Bien qu’ils soient sur le sol néerlandais, ils restent sous l’autorité de la RDC. Le Greffe a également fait valoir que si la Cour devait accepter cette demande, il se pourrait qu’à l’avenir les États ne soient plus disposés à accepter les demandes en provenance de la CPI concernant le transfert temporaire de détenus pour les faire témoigner.

La Cour a également entendu le conseiller juridique du ministère des Affaires étrangères. Elle a expliqué que le gouvernement néerlandais a estimé que la Cour allait fournir des mesures de protection nécessaires pour les témoins, et que le gouvernement néerlandais n’avait aucune responsabilité dans cette affaire. Les autorités néerlandaises allaient se fonder sur les décisions de la Cour concernant l’évaluation de la sécurité du témoin. En outre, les témoins n’ont été en aucune manière sous l’autorité du gouvernement néerlandais. Toute demande d’asile reçue par les autorités néerlandaises compétentes ferait l’objet d’une décision sur le fond en temps voulu.

Sur la base de ces observations orales et d’autres écrites, la Cour devra décider de la façon de réagir à la demande des témoins.


Contact