Entretien avec M. Eric MacDonald, premier substitut du Procureur à la Cour pénale internationale (CPI). Il parle du rôle que les victimes ont joué dans le procès et l’effet ultime que le procès a eu dans l’Ituri, en République Démocratique du (RDC).
JE: Quelle a été la position de l’Accusation à l’égard de la participation des victimes? Y a-t-il eu des différences dans l’approche de cette Chambre de première instance avec la participation des victimes par opposition à d’autres Chambres de première instance?
EM: Bien sûr, la position du Bureau du Procureur est assez claire. Le BdP reconnaît évidemment que les victimes apportent une perspective unique sur les activités de la CPI, et aussi que leurs opinions et préoccupations sont prises en compte. Ils ont l’occasion de contribuer à des procès équitables et efficaces. Alors bien sûr, le bureau est conscient du fait qu’une fois que la victime répond à toutes les exigences de la loi, alors il ne devrait pas y avoir des arguments d’ordre bureaucratique ou en matière de ressources pour bloquer sa participation ou de l’empêcher de participer. Et nous veillons bien à nous assurer que, d’un procès à l’autre, les mêmes règles et les mêmes pratiques sont appliquées certainement en ce qui concerne l’occasion qui lui est donnée de participer activement en posant des questions et/ou en appelant les victimes à témoigner et /ou en interrogeant les témoins de la défense.
Si je regarde l’affaire Lubanga et notre cas, il y a une certaine cohérence dans l’approche. Il pourrait y avoir une différence entre notre affaire et l’affaire Lubanga en termes de ce que nous devons communiquer aux victimes. La principale différence c’est que dans notre cas, au lieu d’avoir (je ne sais pas combien de RL [représentants légaux] ils ont, dans l’affaire Lubanga, disons quatre ou cinq) dans notre cas, nous n’en avons que deux. Donc, […] vous avez deux RL, l’un représentant les victimes principales de l’attaque de Bogoro, et un autre les enfants soldats, soit du FNI ou du FRPI qui ont attaqué Bogoro, et qui sont reconnus comme étant des victimes. Nous avons donc deux, seulement deux, représentants légaux qui représentent les 350 victimes qui sont autorisées ou sont actuellement autorisées à participer (quelques victimes de plus ou de moins, je ne connais pas le nombre exact, car il fluctue à mesure que nous avançons). Donc, ce serait, je crois, une des leçons tirées de notre Chambre : au lieu d’avoir quatre, cinq, six représentants légaux représentant les victimes différentes, ils ont pour ainsi dire regroupé en victimes fondées sur le crime d’une part, les victimes de Bogoro fondées sur le crime, et un groupe d’enfants soldats représentés par un autre représentant légal.
Comme indiqué plus haut, le régime de divulgation est peut-être plus favorable dans l’affaire Lubanga par rapport à notre cas. Voila les deux principales différences. […]
JE: Pensez-vous qu’en limitant les représentants légaux à seulement deux, on rend les choses plus difficiles pour les représentants des victimes?
EM: Non, je ne le crois pas. Bien sûr, si vous n’êtes pas le premier avocat, puis tout d’un coup on vous donne des victimes supplémentaires à représenter, cela signifie que très probablement, vous devez revenir en arrière et les rencontrer, et établir votre mandat, il doit y avoir un transfert de mandat sur le terrain. Alors oui, cela peut créer quelques difficultés pratiques, mais en termes de rapidité des procédures et de présentation de dossiers, cela peut simplifier les choses pour la Chambre.
JE: Est-ce que le témoignage des victimes est traité différemment par les juges quand ils prennent une décision définitive? Je sais que dans certains cas il peut s’agir de réparations et dans d’autres cas c’est de circonstances atténuantes ou aggravantes qu’il s’agit.
EM: Mais ils sont également autorisés pendant le procès proprement dit à présenter une preuve qui va dans le sens soit de la culpabilité soit de l’innocence de l’accusé.
JE: Alors, les victimes qui ont témoigné plus tôt cette année, est-ce que leur témoignage peut être utilisé par les juges comme tous les autres témoins qui sont appelés à la barre?
EM: Cela fait partie du dossier du tribunal. Leur témoignage est dans le dossier de l’affaire, et en effet la Chambre devrait être autorisée à en faire usage.
JE: Y a-t-il eu des problèmes en général avec la sécurité des témoins, ou de dérapages dans l’identification d’informations à présenter en audience publique? Y a-t-il eu un problème ou est-ce que cela s’est jamais produit?
EM: Bien sûr, il y a eu des ordres d’expurger la transcription ou l’enregistrement audio / vidéo de la procédure, car oui, il y a parfois des dérapages, cela arrive. Par inadvertance, vous interroger un témoin et l’appelez par son prénom, cela arrive. Sur le plan des poursuites, ce n’est pas arrivé souvent, et vous n’avez pas forcément de contrôle sur la réponse d’un témoin. Mais au cours du contre-interrogatoire des témoins à charge, très souvent, nous avons dû demander des ordonnances d’expurgation, qui ont été émises.
Il s’agit là d’une autre caractéristique de notre procès, qui est géré d’une manière très différente de celle utilisé dans l’affaire Lubanga. Nous avons eu beaucoup moins d’audiences à huis clos (que ce soit des huis clos partiels ou totaux). Pour ce qui est de notre procès, je dirais que je ne connais pas les derniers chiffres, mais je crois dans au moins 90 pour cent du temps, il est effectué en séance publique et nous n’avons pas ces longues périodes de huis clos. Mais cela ne signifie pas qu’il y ait des problèmes de sécurité, non, il n’y en a aucun. […] L’un des plus grands problèmes du BdP, c’est la sécurité de ses témoins, et nous avons rencontré des difficultés dont je ne peux pas trop parler ici, car il s’agit en grande partie de questions confidentielles. Mais si vous regardez les décisions de la Chambre qui sont accessibles au public, mais peut-être sous forme expurgée, il y a eu un certain nombre de mesures mises en place pour protéger les témoins, en commençant par l’expurgation de certains renseignements contenus dans leurs déclarations et /ou jusqu’aux témoins déplacés, et protégés par l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins. Donc, les témoins qui sont dans le cadre du Programme de protection de la Cour pénale internationale, que nous appelons la PPCPI. Alors oui, nous avons eu ces défis.
JE: Quels sont les risques particuliers auxquels sont confrontés les témoins et les victimes dans ce procès? Sont-ils distincts pour les témoins initiés, les témoins fondés sur le crime, les victimes participantes et les témoins de la défense? Sont-ils distincts des risques encourus par les témoins dans d’autres les affaires en RDC? Du procès de Lubanga? Si oui, quelle est la différence?
EM: Les témoins du crime et les témoins initiés ont été relogés ailleurs. Mais bien sûr, une chose est sûre, il est indéniable que les témoins initiés, en raison de la nature de la preuve, que ce soit une preuve de liaison, ce qui signifie un lien entre les accusés ou groupes et les crimes eux-mêmes, sont beaucoup plus à risque qu’un témoin du crime. Maintenant, cela ne signifie pas que les témoins du crime ne sont pas en danger non plus ; ils sont en danger et dans notre cas nous avons eu des témoins du crime qui ont été relogés, mais je dirais qu’inévitablement, en raison de la nature de leur témoignage, les témoins initiés sont plus à risque.
C’est comme poursuivre une affaire impliquant la mafia. Si vous êtes procureur dans une affaire mafia à New York, si vous voulez réussir, vous aurez très probablement un témoin initié. Ce témoignage d’initié est à risque et doit forcément bénéficier d’une protection de témoins. Ici, c’est la même chose. Il y a des problèmes différents, parce que nous travaillons en RDC, loin de La Haye, le profil de nos témoins, c’est complètement différent, aux points de vue linguistique, culturel, intellectuel, ce qui signifie que c’est un exercice qui nécessite une utilisation intensive de ressources que ce soit pour le BdP ou l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins du Greffe.
JE: Y a-t-il des protocoles que l’Accusation utilise avant la remise du témoin à l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins?
EM: Oui, il y en a, nous avons notre [procédure] interne, mais il y a aussi des protocoles conclus entre le BdP et l’Unité à cet effet. Et bien sûr, ce n’est pas tout le monde que nous proposons pour la réinstallation, et avant qu’un témoin entre dans le programme de protection des témoins ou est relogé, il y a des mesures de rechange qui peuvent être mises en place, ce qui signifie qu’il n’entre pas dans le cadre du PPCPI, mais bénéficie d’une forme de soutien pour sa protection. C’est difficile pour moi … Je ne peux pas donner plus de détails parce que les détails ne sont pas nécessairement publics et je ne veux pas les donner ou parler de ce que ces mesures peuvent être, mais il existe des alternatives à la délocalisation complète d’un témoin.
JE: Avez-vous des observations que vous pouvez partager sur la plaidoirie et la stratégie de la défense jusqu’à présent?
EM: Écoutez, je pense que M. Hooper a été interrogé, il a donné ses réponses, il a donné son point de vue à ce sujet. Vous avez également la déclaration d’ouverture. Il existe également différentes observations, je ne sais pas forcément si elles sont publiques ou non, où il fait en quelque sorte allusions à ses lignes de défense. Donc, non.
[…] Je ne suis pas ici pour m’exprimer sur la crédibilité des témoins, comme il a semblé le faire sur les témoins à charge, et certainement je ne vais pas faire de commentaires sur les témoins de la défense non plus. Je vais le faire devant la Cour, [et] dans notre déclaration de clôture, une fois que la preuve sera dans le dossier. Jusque-là, on peut avoir sa propre opinion. Mais évidemment, je ne suis pas d’accord avec M. Hooper et son évaluation en termes de crédibilité des témoins à charge. Pour moi, en tant que membre de cette Cour, comme officiel de ce tribunal et quelqu’un qui travaille pour le BdP, nous ne sommes pas ici pour commenter publiquement la crédibilité des témoins.
JE: Est-ce la jonction des affaires soulève des difficultés significatives pour le BdP?
EM: Non, parce que la preuve dans son ensemble est communiquée simultanément aux deux accusés. Bien sûr, certains éléments de preuve sont plus pertinents pour un accusé ou l’autre. Le seul impact qu’il a peut-être est la duplication du travail, parfois. Et, nous devons répondre à deux équipes de défense qui présentent des observations et des opinions, soit par écrit soit oralement. Bien sûr, la Chambre elle-même a dû s’adapter et prévoir les règles puisque nous avons deux équipes de la défense qui interrogent ou contre-interrogent les témoins de l’accusation et qui appellent ensuite leurs propres témoins. Il y a donc des ajustements et de ce fait, inévitablement, cela crée, ou théoriquement, il faut plus de temps pour présenter un témoin en cour, mais à part cela, il n’y a pas de grands défis à relever.
JE: Selon vous, comment la voix des Lendu et des communautés ethniques Hema a été représentée dans le procès à ce jour? Le BdP a-t-il pris cela en compte dans sa stratégie de poursuites?
EM: Ce sont les procès criminels, donc nous poursuivons des individus pour leur responsabilité dans les incidents ou pour des crimes qui relèvent du Statut. La première affaire concerne M. Lubanga, qui est un Hema du nord et il se trouve que la deuxième affaire concerne Messieurs Ngudjolo (Lendu) et du Katanga (Ngiti). Personnellement, je ne m’intéresse pas à leur appartenance ethnique … nous avons enquêté sur l’attaque de Bogoro et cela nous a conduit à ces deux accusés, il y a donc un certain nombre d’incidents que nous avons étudié, mais en termes de stratégie en matière de poursuites pour poursuivre maintenant des Lendus ou des Ngiti, cela n’a pas été une de nos préoccupations dans cette affaire.
JE: Mais pensez-vous que cette affaire peut contribuer à la justice en RDC, au total, dans la région, ou dans votre esprit est-elle plus spécifiquement liée à ce crime et cet incident?
EM: D’une manière générale, indépendamment de qui fait l’objet de poursuites, M. Lubanga, Ngudjolo, ou Katanga, une chose est sûre, le fait que nous nous soyons concentrés sur l’Ituri, a fait que actuellement l’Ituri se trouve dans une situation bien meilleure qu’elle ne l’était en 2004 lorsque nous avons commencé nos investigations en Ituri. Et actuellement, même si la situation est toujours instable et il y a encore des problèmes, le travail de la Cour fait l’objet d’une certain publicité. Les gens en Ituri nous connaissent, connaissent la Cour, ce qu’elle fait, et je pense que nous avons fait prendre conscience du fait que de toute évidence non seulement les questions touchant aux enfants soldats sont importantes et ne peuvent être tolérées, mais aussi la Cour a montré la capacité et la volonté de poursuivre les gens les plus responsables pour les crimes qu’ils ont commis. Et les gens [se rendent compte] que le monde fait quelque chose à propos de ce qui est arrivé. Je pense que les Ituriens s’en rendent compte qu’ils soient Hemas ou Lendus.
Questions & Réponses avec Eric MacDonald, premier substitut du Procureur à la CPI: Deuxième Partie
Entretien avec M. Eric MacDonald, premier substitut du Procureur à la Cour pénale internationale (CPI). Il parle du rôle que les victimes ont joué dans le procès et l’effet ultime que le procès a eu dans l’Ituri, en République Démocratique du (RDC).
JE: Quelle a été la position de l’Accusation à l’égard de la participation des victimes? Y a-t-il eu des différences dans l’approche de cette Chambre de première instance avec la participation des victimes par opposition à d’autres Chambres de première instance?
EM: Bien sûr, la position du Bureau du Procureur est assez claire. Le BdP reconnaît évidemment que les victimes apportent une perspective unique sur les activités de la CPI, et aussi que leurs opinions et préoccupations sont prises en compte. Ils ont l’occasion de contribuer à des procès équitables et efficaces. Alors bien sûr, le bureau est conscient du fait qu’une fois que la victime répond à toutes les exigences de la loi, alors il ne devrait pas y avoir des arguments d’ordre bureaucratique ou en matière de ressources pour bloquer sa participation ou de l’empêcher de participer. Et nous veillons bien à nous assurer que, d’un procès à l’autre, les mêmes règles et les mêmes pratiques sont appliquées certainement en ce qui concerne l’occasion qui lui est donnée de participer activement en posant des questions et/ou en appelant les victimes à témoigner et /ou en interrogeant les témoins de la défense.
Si je regarde l’affaire Lubanga et notre cas, il y a une certaine cohérence dans l’approche. Il pourrait y avoir une différence entre notre affaire et l’affaire Lubanga en termes de ce que nous devons communiquer aux victimes. La principale différence c’est que dans notre cas, au lieu d’avoir (je ne sais pas combien de RL [représentants légaux] ils ont, dans l’affaire Lubanga, disons quatre ou cinq) dans notre cas, nous n’en avons que deux. Donc, […] vous avez deux RL, l’un représentant les victimes principales de l’attaque de Bogoro, et un autre les enfants soldats, soit du FNI ou du FRPI qui ont attaqué Bogoro, et qui sont reconnus comme étant des victimes. Nous avons donc deux, seulement deux, représentants légaux qui représentent les 350 victimes qui sont autorisées ou sont actuellement autorisées à participer (quelques victimes de plus ou de moins, je ne connais pas le nombre exact, car il fluctue à mesure que nous avançons). Donc, ce serait, je crois, une des leçons tirées de notre Chambre : au lieu d’avoir quatre, cinq, six représentants légaux représentant les victimes différentes, ils ont pour ainsi dire regroupé en victimes fondées sur le crime d’une part, les victimes de Bogoro fondées sur le crime, et un groupe d’enfants soldats représentés par un autre représentant légal.
Comme indiqué plus haut, le régime de divulgation est peut-être plus favorable dans l’affaire Lubanga par rapport à notre cas. Voila les deux principales différences. […]
JE: Pensez-vous qu’en limitant les représentants légaux à seulement deux, on rend les choses plus difficiles pour les représentants des victimes?
EM: Non, je ne le crois pas. Bien sûr, si vous n’êtes pas le premier avocat, puis tout d’un coup on vous donne des victimes supplémentaires à représenter, cela signifie que très probablement, vous devez revenir en arrière et les rencontrer, et établir votre mandat, il doit y avoir un transfert de mandat sur le terrain. Alors oui, cela peut créer quelques difficultés pratiques, mais en termes de rapidité des procédures et de présentation de dossiers, cela peut simplifier les choses pour la Chambre.
JE: Est-ce que le témoignage des victimes est traité différemment par les juges quand ils prennent une décision définitive? Je sais que dans certains cas il peut s’agir de réparations et dans d’autres cas c’est de circonstances atténuantes ou aggravantes qu’il s’agit.
EM: Mais ils sont également autorisés pendant le procès proprement dit à présenter une preuve qui va dans le sens soit de la culpabilité soit de l’innocence de l’accusé.
JE: Alors, les victimes qui ont témoigné plus tôt cette année, est-ce que leur témoignage peut être utilisé par les juges comme tous les autres témoins qui sont appelés à la barre?
EM: Cela fait partie du dossier du tribunal. Leur témoignage est dans le dossier de l’affaire, et en effet la Chambre devrait être autorisée à en faire usage.
JE: Y a-t-il eu des problèmes en général avec la sécurité des témoins, ou de dérapages dans l’identification d’informations à présenter en audience publique? Y a-t-il eu un problème ou est-ce que cela s’est jamais produit?
EM: Bien sûr, il y a eu des ordres d’expurger la transcription ou l’enregistrement audio / vidéo de la procédure, car oui, il y a parfois des dérapages, cela arrive. Par inadvertance, vous interroger un témoin et l’appelez par son prénom, cela arrive. Sur le plan des poursuites, ce n’est pas arrivé souvent, et vous n’avez pas forcément de contrôle sur la réponse d’un témoin. Mais au cours du contre-interrogatoire des témoins à charge, très souvent, nous avons dû demander des ordonnances d’expurgation, qui ont été émises.
Il s’agit là d’une autre caractéristique de notre procès, qui est géré d’une manière très différente de celle utilisé dans l’affaire Lubanga. Nous avons eu beaucoup moins d’audiences à huis clos (que ce soit des huis clos partiels ou totaux). Pour ce qui est de notre procès, je dirais que je ne connais pas les derniers chiffres, mais je crois dans au moins 90 pour cent du temps, il est effectué en séance publique et nous n’avons pas ces longues périodes de huis clos. Mais cela ne signifie pas qu’il y ait des problèmes de sécurité, non, il n’y en a aucun. […] L’un des plus grands problèmes du BdP, c’est la sécurité de ses témoins, et nous avons rencontré des difficultés dont je ne peux pas trop parler ici, car il s’agit en grande partie de questions confidentielles. Mais si vous regardez les décisions de la Chambre qui sont accessibles au public, mais peut-être sous forme expurgée, il y a eu un certain nombre de mesures mises en place pour protéger les témoins, en commençant par l’expurgation de certains renseignements contenus dans leurs déclarations et /ou jusqu’aux témoins déplacés, et protégés par l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins. Donc, les témoins qui sont dans le cadre du Programme de protection de la Cour pénale internationale, que nous appelons la PPCPI. Alors oui, nous avons eu ces défis.
JE: Quels sont les risques particuliers auxquels sont confrontés les témoins et les victimes dans ce procès? Sont-ils distincts pour les témoins initiés, les témoins fondés sur le crime, les victimes participantes et les témoins de la défense? Sont-ils distincts des risques encourus par les témoins dans d’autres les affaires en RDC? Du procès de Lubanga? Si oui, quelle est la différence?
EM: Les témoins du crime et les témoins initiés ont été relogés ailleurs. Mais bien sûr, une chose est sûre, il est indéniable que les témoins initiés, en raison de la nature de la preuve, que ce soit une preuve de liaison, ce qui signifie un lien entre les accusés ou groupes et les crimes eux-mêmes, sont beaucoup plus à risque qu’un témoin du crime. Maintenant, cela ne signifie pas que les témoins du crime ne sont pas en danger non plus ; ils sont en danger et dans notre cas nous avons eu des témoins du crime qui ont été relogés, mais je dirais qu’inévitablement, en raison de la nature de leur témoignage, les témoins initiés sont plus à risque.
C’est comme poursuivre une affaire impliquant la mafia. Si vous êtes procureur dans une affaire mafia à New York, si vous voulez réussir, vous aurez très probablement un témoin initié. Ce témoignage d’initié est à risque et doit forcément bénéficier d’une protection de témoins. Ici, c’est la même chose. Il y a des problèmes différents, parce que nous travaillons en RDC, loin de La Haye, le profil de nos témoins, c’est complètement différent, aux points de vue linguistique, culturel, intellectuel, ce qui signifie que c’est un exercice qui nécessite une utilisation intensive de ressources que ce soit pour le BdP ou l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins du Greffe.
JE: Y a-t-il des protocoles que l’Accusation utilise avant la remise du témoin à l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins?
EM: Oui, il y en a, nous avons notre [procédure] interne, mais il y a aussi des protocoles conclus entre le BdP et l’Unité à cet effet. Et bien sûr, ce n’est pas tout le monde que nous proposons pour la réinstallation, et avant qu’un témoin entre dans le programme de protection des témoins ou est relogé, il y a des mesures de rechange qui peuvent être mises en place, ce qui signifie qu’il n’entre pas dans le cadre du PPCPI, mais bénéficie d’une forme de soutien pour sa protection. C’est difficile pour moi … Je ne peux pas donner plus de détails parce que les détails ne sont pas nécessairement publics et je ne veux pas les donner ou parler de ce que ces mesures peuvent être, mais il existe des alternatives à la délocalisation complète d’un témoin.
JE: Avez-vous des observations que vous pouvez partager sur la plaidoirie et la stratégie de la défense jusqu’à présent?
EM: Écoutez, je pense que M. Hooper a été interrogé, il a donné ses réponses, il a donné son point de vue à ce sujet. Vous avez également la déclaration d’ouverture. Il existe également différentes observations, je ne sais pas forcément si elles sont publiques ou non, où il fait en quelque sorte allusions à ses lignes de défense. Donc, non.
[…] Je ne suis pas ici pour m’exprimer sur la crédibilité des témoins, comme il a semblé le faire sur les témoins à charge, et certainement je ne vais pas faire de commentaires sur les témoins de la défense non plus. Je vais le faire devant la Cour, [et] dans notre déclaration de clôture, une fois que la preuve sera dans le dossier. Jusque-là, on peut avoir sa propre opinion. Mais évidemment, je ne suis pas d’accord avec M. Hooper et son évaluation en termes de crédibilité des témoins à charge. Pour moi, en tant que membre de cette Cour, comme officiel de ce tribunal et quelqu’un qui travaille pour le BdP, nous ne sommes pas ici pour commenter publiquement la crédibilité des témoins.
JE: Est-ce la jonction des affaires soulève des difficultés significatives pour le BdP?
EM: Non, parce que la preuve dans son ensemble est communiquée simultanément aux deux accusés. Bien sûr, certains éléments de preuve sont plus pertinents pour un accusé ou l’autre. Le seul impact qu’il a peut-être est la duplication du travail, parfois. Et, nous devons répondre à deux équipes de défense qui présentent des observations et des opinions, soit par écrit soit oralement. Bien sûr, la Chambre elle-même a dû s’adapter et prévoir les règles puisque nous avons deux équipes de la défense qui interrogent ou contre-interrogent les témoins de l’accusation et qui appellent ensuite leurs propres témoins. Il y a donc des ajustements et de ce fait, inévitablement, cela crée, ou théoriquement, il faut plus de temps pour présenter un témoin en cour, mais à part cela, il n’y a pas de grands défis à relever.
JE: Selon vous, comment la voix des Lendu et des communautés ethniques Hema a été représentée dans le procès à ce jour? Le BdP a-t-il pris cela en compte dans sa stratégie de poursuites?
EM: Ce sont les procès criminels, donc nous poursuivons des individus pour leur responsabilité dans les incidents ou pour des crimes qui relèvent du Statut. La première affaire concerne M. Lubanga, qui est un Hema du nord et il se trouve que la deuxième affaire concerne Messieurs Ngudjolo (Lendu) et du Katanga (Ngiti). Personnellement, je ne m’intéresse pas à leur appartenance ethnique … nous avons enquêté sur l’attaque de Bogoro et cela nous a conduit à ces deux accusés, il y a donc un certain nombre d’incidents que nous avons étudié, mais en termes de stratégie en matière de poursuites pour poursuivre maintenant des Lendus ou des Ngiti, cela n’a pas été une de nos préoccupations dans cette affaire.
JE: Mais pensez-vous que cette affaire peut contribuer à la justice en RDC, au total, dans la région, ou dans votre esprit est-elle plus spécifiquement liée à ce crime et cet incident?
EM: D’une manière générale, indépendamment de qui fait l’objet de poursuites, M. Lubanga, Ngudjolo, ou Katanga, une chose est sûre, le fait que nous nous soyons concentrés sur l’Ituri, a fait que actuellement l’Ituri se trouve dans une situation bien meilleure qu’elle ne l’était en 2004 lorsque nous avons commencé nos investigations en Ituri. Et actuellement, même si la situation est toujours instable et il y a encore des problèmes, le travail de la Cour fait l’objet d’une certain publicité. Les gens en Ituri nous connaissent, connaissent la Cour, ce qu’elle fait, et je pense que nous avons fait prendre conscience du fait que de toute évidence non seulement les questions touchant aux enfants soldats sont importantes et ne peuvent être tolérées, mais aussi la Cour a montré la capacité et la volonté de poursuivre les gens les plus responsables pour les crimes qu’ils ont commis. Et les gens [se rendent compte] que le monde fait quelque chose à propos de ce qui est arrivé. Je pense que les Ituriens s’en rendent compte qu’ils soient Hemas ou Lendus.