Une majorité de la chambre d’appel de la Cour pénale internationale (CPI), le juge Sang-Hyun Song ayant un avis dissident, a ordonné que trois témoins détenus retournent immédiatement en République démocratique du Congo (RDC). Les témoins sont détenus dans le quartier pénitentiaire de la CPI depuis leur arrivée à La Haye en mars 2011 pour témoigner au procès de Germain Katanga de Mathieu Ngudjolo Chui.
Katanga et Ngudjolo sont accusés d’avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité à Bogoro, un village de la RDC. En décembre 2012, après que les affaires aient été disjointes, M. Ngudjolo a été acquitté de toutes les charges, il attend le jugement en appel de son procès. Germain Katanga est toujours jugé et en attente de son jugement final.
Avant de venir témoigner, les témoins ont été emprisonnés en RDC dans l’attente des charges relatives au conflit dans ce pays. Par conséquent, ils ont été incarcérés dans le quartier pénitentiaire de la CPI lors de leur séjour à La Haye.
La détention des témoins a engendré toute une série de complications juridiques et de débats impliquant la CPI, les tribunaux nationaux néerlandais, le gouvernement de la RDC et la Cour européenne des droits de l’homme. Les appels des demandes d’asile des témoins, qui ont été initialement rejetés, sont actuellement en attente devant les tribunaux néerlandais chargés de l’immigration. Les autorités hollandaises ont affirmé à de nombreuses reprises que les témoins devaient rester dans le quartier pénitentiaire de la CPI jusqu’à ce que la procédure concernant leur demande d’asile soit terminée. Les avocats des témoins ont indiqué que cela pouvait signifier que les témoins seraient détenus, censément sans charges, pendant des années. Le gouvernement congolais soutient que les témoins doivent revenir en RDC immédiatement après la conclusion de leur témoignage.
Lors de leur déposition, les témoins ont impliqué le président de la RDC, Joseph Kabila, dans les crimes commis à Bogoro. Ils affirment que, de ce fait, ils risquent d’être torturés ou tués s’ils retournent en RDC. Par conséquent, ils ont demandé l’asile aux Pays-Bas.
Retour en RDC
La majorité de la chambre d’appel a ordonné au Greffe de la CPI de prendre toutes les mesures nécessaires afin de faire repartir les témoins, sans délai, en RDC. Le Greffe doit permettre aux Pays-Bas de prendre les mesures nécessaires concernant les demandes d’asile des témoins en attente. Ceci suggère que les Pays-Bas devraient intervenir dans le transfert si les autorités néerlandaises considèrent que cela constituerait une violation des droits de l’homme des témoins. Le Greffe doit également confirmer que les mesures de protection mises en place en RDC sont adéquates, et si tel n’est pas le cas, le Greffe doit en notifier la chambre d’appel.
La majorité de la chambre d’appel a émis sa décision proprio motu, ou en agissant de sa propre initiative. La majorité de la chambre d’appel considère qu’il eu fallut résoudre la situation des témoins, étant donné que les témoins ont été détenus dans le quartier pénitentiaire de la CPI pendant deux ans depuis que leur témoignage est conclu. La chambre a, de plus, fait remarquer que la situation avait soulevé de graves préoccupations quant à l’autorité de la CPI de détenir des personnes et quant à ses obligations vis-à-vis des États parties.
Selon un accord de la CPI signé avec la RDC et l’article 93 du Statut de Rome, les témoins devraient retourner en RDC dès la conclusion de leurs dépositions. Néanmoins, la chambre de première instance avait précédemment décidé que, dans cette affaire, elle ne pouvait pas ordonner le retour des témoins car cela serait susceptible de violer leurs droits de l’homme, qui sont protégés explicitement dans l’article 21 du Statut de Rome.
Protection des droits de l’homme des témoins
La chambre d’appel a reconnu que le droit de demander l’asile, le principe du non-refoulement et le droit à un recours effectif sont des droits reconnus internationalement. Dans cette affaire, cependant, ils ont tous liés aux demandes d’asile en attente aux Pays-Bas. La chambre d’appel a considéré que la CPI n’était pas compétente pour les questions ayant trait aux demandes d’asile des témoins qui demeurent de la seule compétence des autorités néerlandaises. La majorité a, par conséquent limité la portée de la CPI, concluant qu’elle n’avait pas la compétence pour garantir la protection des droits de l’homme de ses témoins dans leurs procédures devant d’autres tribunaux.
Tel que souligné par la chambre d’appel, cette situation est compliquée par le fait que les témoins sont détenus à la CPI qui est située aux Pays-Bas. Par conséquent, la majorité a statué que, aucune décision de la CPI ne pouvait limiter la capacité des Pays-Bas à protéger les droits des témoins par rapport à leurs demandes d’asile néerlandaises. Selon cette majorité, bien que la CPI ne soit pas responsable de la protection des droits de l’homme de ses témoins devant les autres tribunaux, les décisions de la CPI ne doivent pas compliquer la garantie par les autres autorités de cette protection.
La chambre d’appel a pourtant déclaré que la détention continue des témoins à la CPI n’était pas la solution appropriée à ce problème.
La majorité de la chambre d’appel a affirmé que même si l’article 21 de la CPI demande que la CPI interprète et applique le Statut de Rome en conformité avec les droits de l’homme internationaux, il n’impose pas que la Cour viole ses obligations en vertu de l’article 93. La majorité a indiqué que, par ailleurs, la CPI aurait des difficultés à signer des accords de coopération avec des pays et à obtenir les témoignages et preuves nécessaires dans ses affaires.
La chambre d’appel a également fait remarquer que la CPI n’avait l’autorité de détenir des personnes que lorsque la détention était liée à des procédures judiciaires traitées par la CPI. Dans cette affaire, leur maintien en détention est lié à leurs procédures d’asile déposées devant les autorités néerlandaises. Selon la majorité, l’article 21 ne demande ni ne permet à la CPI de détenir des personnes au-delà de ce que prévoit le Statut de Rome.
« La [CPI] ne peut servir d’unité de détention administrative pour les demandeurs d’asile ou pour les personnes impliquées dans des procédures judiciaires avec l’État hôte ou avec tout autre pays », a noté la majorité.
La chambre d’appel a déclaré que, selon la règle 192 du Règlement de procédure et de preuve et l’article 44 de l’accord d’État hôte signé entre la CPI et les Pays-Bas, les témoins seront sous le contrôle et sous la garde physique des Pays-Bas lors de leur transfert pour revenir en RDC. Par conséquent, c’est aux Pays-Bas de décider s’ils doivent intervenir dans leur transfert afin de protéger leurs droits durant les procédures de demande d’asile.
La chambre d’appel a reconnu que cette situation pourrait créer des conflits juridiques pour les Pays-Bas mais a conclu que c’était aux Pays-Bas de trouver une solution. La chambre d’appel a indiqué que « l’article 21(3) du Statut n’exigeait pas que la Cour interprète ses textes juridiques de manière à éviter des situations dans lesquelles les Pays-Bas pourraient considérer nécessaire de prendre des mesures indépendantes afin de remplir ses obligations légales concernant les témoins détenus ».
La majorité a donc ordonné au Greffe de prendre les mesures nécessaires pour que les témoins retournent en RDC, en concertation avec les Pays-Bas et après s’être assuré que leur sécurité serait garantie par la RDC.
Le juge Song était d’un avis différent. Il a considéré que la chambre d’appel aurait dû renvoyer la question devant la chambre de première instance afin qu’elle décide de la légalité de la détention des témoins.