Mathieu Ngudjolo Chui, récemment acquitté par la Cour pénale internationale (CPI), a été placé en détention par les autorités néerlandaises, pour violation de la loi sur l’immigration. Il a demandé l’asile aux Pays-Bas et est actuellement détenu dans un centre de détention à l’aéroport de Schiphol, près d’Amsterdam. Ngudjolo a demandé l’assistance de la CPI pour obtenir sa remise en liberté et assurer sa protection.
Le 18 décembre 2012, la Chambre de première instance II de la CPI a acquitté Ngudjolo de toutes les charges relatives aux crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis lors de l’attaque de Bogoro, un village situé dans la région orientale de la République démocratique du Congo (RDC). La Cour a ordonné sa libération immédiate. Le parquet a fait appel de cette décision et demandé à la Cour de maintenir Ngudjolo en détention en attendant l’appel interjeté contre l’acquittement. La Chambre d’appel a rejeté cette demande et Ngudjolo a été libéré du quartier pénitentiaire de la CPI le 21 décembre 2012.
À sa libération, Ngudjolo a été remis à la police néerlandaise pour être transporté à l’aéroport de Schiphol. Il avait demandé des mesures de protection de la CPI et a demandé le transfert vers la Belgique, où il a indiqué vouloir demander l’asile. Il a affirmé que sa vie serait en danger s’il retournait en République démocratique du Congo à cause de son témoignage selon lequel le gouvernement de la RDC était responsable de l’attaque de Bogoro.
Selon Ngudjolo, les Hollandais ont inopinément décidé de le rapatrier vers la RDC. Pour éviter ce transfert, Ngudjolo a présenté une demande d’asile aux Pays-Bas. Il est depuis lors maintenu en détention au centre de détention des réfugiés à l’aéroport. Il affirme qu’il a été privé de sa liberté au motif qu’une fois libéré du quartier pénitentiaire de la CPI, il n’avait pas de permis de séjour lui donnant le droit de rester aux Pays-Bas. Selon Ngudjolo, sa détention est injustifiée.
Ngudjolo a également fait valoir que sa détention montre que l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins (VWU) a manqué à son obligation de le protéger. Après son acquittement, la chambre de première instance a ordonné à l’Unité de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger Ngudjolo, comme l’exige le Statut de Rome. Etant donné que Ngudjolo a témoigné dans sa propre cause, il est considéré comme un témoin de la CPI. L’article 68 du Statut de Rome prévoit que la Cour doit « prendre les mesures appropriées pour protéger la sécurité, le bien-être physique et psychologique, la dignité et la vie privée des victimes et des témoins. » Ngudjolo a fait valoir que cela signifie que la VWU est tenue de prendre les mesures nécessaires pour garantir sa liberté, sa sécurité et sa réinstallation, tout comme elle le fait pour les autres témoins.
Ngudjolo a fait valoir que la CPI devrait exiger que les Pays-Bas le livrent aux autorités de la CPI, avec qui elle se mettrait d’accord sur un endroit où il pourrait vivre en attendant le traitement de sa demande d’asile et de son recours. Il a également demandé à la Cour d’instruire l’Unité de prévoir sa protection, comme requis par le Statut de Rome.
Détenu par les autorités néerlandaises
Les Hollandais ont arrêté Ngudjolo pour défaut de visa et de passeport valides, selon lui. Toutefois, a-t-il ajouté, il n’est pas arrivé aux Pays-Bas volontairement mais plutôt après avoir été arrêté en RDC et transféré à la CPI pour y être jugé. Par conséquent, il n’est pas entré dans le pays illégalement, selon lui, et n’y était que pour le procès. Ngudjolo a fait valoir que son acquittement ne fait pas automatiquement de lui un étranger en situation irrégulière aux Pays-Bas parce qu’il n’a pas matériellement ou intentionnellement enfreint de loi néerlandaise sur l’immigration.
Par conséquent, a déclaré Ngudjolo, la CPI doit lui délivrer un document attestant de la légalité de sa présence aux Pays-Bas et de son besoin de protection. En effet, a soutenu Ngudjolo, le Greffe sollicite régulièrement l’assistance des États pour obtenir les documents appropriés, des documents et du soutien pour le transfert des témoins aux Pays-Bas pour qu’ils témoignent et, si nécessaire, qu’ils soient réinstallés pour leur sécurité. Cependant, a-t-il dit, il n’a reçu aucune information selon laquelle la CPI aurait présenté de telles requêtes en son nom.
Ngudjolo a également fait valoir que, selon l’accord conclu entre les Pays-Bas et la CPI (l’Accord de siège), les Pays-Bas sont tenus de faciliter le fonctionnement harmonieux et efficace de la CPI, y compris lorsque la Cour a besoin que des gens soient présents à La Haye. Ngudjolo a demandé à la Cour d’ordonner au Greffe de fournir aux autorités néerlandaises un document attestant que sa présence est requise à La Haye pour ses procédures d’appel.
En outre, le droit néerlandais et le droit international interdisent son retour en RDC, où il prétend qu’il serait torturé ou peut-être soumis à la peine de mort s’il était jugé par des tribunaux de la RDC. Ngudjolo a fait valoir qu’étant donné qu’il ne peut pas être retourné à la RDC, il doit jouir de la liberté complète de mouvement dans les Pays-Bas à cause de ses affaires avec la CPI et aussi de sa procédure d’asile.
Sur la base de ces arguments, Ngudjolo a demandé à la CPI d’exiger des Pays-Bas qu’ils le livrent aux autorités de la CPI, avec qui il va convenir d’un lieu où vivre jusqu’au traitement complet de ses affaires avec la CPI et aussi de sa procédure d’asile. Il a également demandé à la Cour d’instruire l’Unité de prendre des mesures pour assurer sa sureté et sa sécurité.
Un précédent important pour la CPI
La décision de la Chambre d’appel va créer des précédents importants à bien des égards. Ces défis ne sont pas propres à l’affaire Ngudjolo et se présenteront probablement à d’autres personnes qui pourront être acquittés par la CPI à l’avenir. Cependant ces questions sont nouvelles, même si elles sont prévisibles, pour les fonctionnaires néerlandais. Auparavant, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, qui est également basé aux Pays-Bas, a acquitté des accusés qui souvent rentraient chez eux pour y être accueillis en héros. Par conséquent, ils ne sont pas confrontés aux mêmes tensions avec les autorités néerlandaises que Ngudjolo.
Beaucoup de ces mêmes problèmes ont été rencontrés par des accusés acquittés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Les accusés acquittés par le TPIR ont souvent peur de retourner au Rwanda, à la fois du fait du gouvernement, qui aurait un piètre bilan en matière de droits humains, en particulier contre ceux perçus comme hostiles à l’Etat et aussi du fait des citoyens rwandais partisans de la justice populaire. Ils sont également confrontés à de sérieux défis dans la recherche de pays qui leur accorde l’asile. La Tanzanie aurait une mauvaise réputation en matière de droits des réfugiés. Les réfugiés qui sont autorisés à séjourner en Tanzanie sont logés dans de dangereux camps de réfugiés et peuvent être victimes d’autres violations des droits humains. Entretemps, ils sont obligés de résider dans des maisons cachettes du TPIR en Tanzanie. (Pour en savoir plus à ce sujet, voir cet article du juriste Kevin Heller Jon qui décrit les défis juridiques et pratiques auxquels ont à faire face les personnes acquittées par le TPIR).
Bataille juridique à venir
Il est presque certain qu’il y aura une bataille juridique complexe sur la résidence finale de Ngudjolo. Il pourrait se voir refuser l’asile aux Pays-Bas si les fonctionnaires de l’immigration néerlandais considèrent qu’il existe des « raisons sérieuses » de croire qu’il a commis un crime de guerre ou crime contre l’humanité. Bien que Ngudjolo ait été acquitté par la CPI pour ces crimes, la CPI a appliqué un critère beaucoup plus élevé: au-delà de tout doute raisonnable. Par conséquent, l’acquittement par la CPI n’empêche pas que les autorités d’immigration néerlandaises trouvent qu’il y a des « raisons sérieuses » de considérer qu’il a en fait commis de tels crimes. Cependant, même si les Pays-Bas refusent l’asile à Ngudjolo pour ces motifs, les Pays-Bas peuvent se voir interdire de le retourner à la RDC s’il risque la torture ou un déni flagrant de procès équitable, ce que Ngudjolo prétend risquer s’il retournait en RDC.
La Chambre d’appel n’a pas encore pris une décision sur les requêtes de Ngudjolo. Sa décision sera importante. La façon dont sa situation est réglée va probablement créer un précédent pour les futurs acquittements devant la CPI, et aussi influer sur la forme des relations entre la CPI et les Pays-Bas. En effet, Ngudjolo a fait valoir que le fait que les Hollandais ne se conforment pas aux ordres de la Cour pour sa libération et sa protection risque de saper le prestige et l’autorité de la CPI. La décision imminente va également influencer la manière dont la Cour traite les accusés qui sont aussi témoins de leurs propres procès, et qui devraient donc se voir accorder les mêmes protections que les autres témoins qui comparaissent devant la CPI.