Nous vous présentons la Chronique Katanga et Ngudjolo #13, qui à l’origine a été publiée sur le site web d’Aegis Trust. Les vues et opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement les vues et opinions d’Open Society Justice Initiative.
Le témoin 268 – L’Accusation appelle à la barre un nouveau témoin, un résident de Bogoro, qui était présent lors de l’attaque contre le village en février 2003, attaque qui aurait été menée par les forces de Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo. « Que s’est-il passé ce jour-là? Nous sommes à votre écoute. » C’est ainsi que le procureur Gilles Dutertre commence l’interrogatoire du témoin 268.
Le jour de la bataille, le témoin 268 a été réveillé par des coups de feu. Son premier réflexe a été de s’enfuir. « Nous avons tous fui, les soldats y compris, tout le monde essayait de trouver une cachette. Nous voulions aller à l’institut », a-t-il dit. A cette époque, l’UPC, présumée dirigée par Thomas Lubanga, a mis en place sa base militaire au centre de Bogoro, dans un ancien Institut. “[C’était] l’endroit où aller se réfugier [quand] il y avait une guerre », explique le témoin. En cas d’attaque, les soldats de l’UPC allaient défendre la population Hema.
Le témoin 268 a trouvé refuge dans la brousse. De sa cachette, il a entendu la façon dont tout le village a été brutalement sorti des maisons. « J’ai entendu des bruits en provenance du centre ; les gens cassaient les portes des maisons [et] se livraient au pillage. Des coups de feu ont continué à résonner… les gens criaient, pleurant On les découpait avec des machettes, se souvient-il. Le témoin 268 était non loin de l’Hôtel Lagora, un immeuble proche de l’Institut. Il a également pu entendre des cris là : « Les gens disaient : ‘Pardonnez-nous, pardonnez-nous!’ Les attaquants étaient en train de mettre le feu aux maisons. ”
« Que disaient les attaquants? » demande le procureur. « Nous allons vous capturer avec nos propres mains », répond le témoin. « Ils parlaient kiswahili. Je les comprenais. C’était des Lendu. » Pour le témoin 268, ces mots signifiaient une seule chose : « J’ai compris qu’ils allaient nous tuer avec des machettes. »
Le témoin 268 assure la Cour qu’il était capable de reconnaître les Lendu et Ngiti parmi les combattants par les langues qu’ils parlaient. « Je ne parle pas ces langues, mais si un Lendu parle, je sais qu’il est un Lendu et il en est de même pour les Ngiti. » Il a également vu un visage familier parmi les soldats. Selon le récit du témoin, les combattants Lendu étaient armés de fusils, de flèches et de lances, et portaient des vêtements civils et des uniformes militaires ougandais.
Dans la soirée, lorsque les coups de feu ont cessé, le témoin 268 a quitté sa cachette pour rentrer chez lui. A ce moment, il a été arrêté par des soldats. « Cinq combattants m’ont emmené au camp de l’Institut [Bogoro], où se trouvait le camp de l’UPC », dit le témoin. « Qui vous a arrêté? » demande du Procureur. « C’était des Lendu. Je les ai reconnus par la façon dont ils parlaient Ils parlaient swahili, un swahili mélangé avec le dialecte Lendu / Ngiti, » dit le témoin 268. Ils m’ont demandé: « De quelle tribu es-tu? » et j’ai répondu, « Je suis Hema ».
Le témoin 268 a passé la nuit à l’Institut de Bogoro. Il a été ligoté dans une salle de classe remplie de cadavres. « Qu’avez-vous vu quand vous entré dans la salle? » demande le procureur. « J’ai vu d’autres personnes qui avaient aussi été arrêtés, et des corps … les gens avaient été découpés à la machette. Je ne peux pas estimer le nombre. Il y avait beaucoup de cadavres … des hommes, des femmes et des enfants. Beaucoup plus de femmes et d’enfants. » Les cadavres portaient des marques de coups de machette sur les jambes, la tête et le cou. Le témoin a également vu 268 blessures par balle. Parmi les corps, il a pu reconnaître une femme : « Oriet. Elle est née à Bogoro, elle était Hema », dit le témoin. Elle avait des blessures aux jambes et aux genoux. « Elle a reçu des coups de machette. »
Le lendemain matin, le témoin 268 a été emmené de la salle de classe pour aller voir le chef des combattants qui avaient pris le village. Selon le témoin, cet homme était armé et en uniforme militaire, semblable à l’uniforme des Ougandais. « C’était un Lendu », dit le témoin 268. « J’ai pu savoir qu’il était Lendu à la façon dont il parlait le swahili. » Le chef a voulu savoir où se cachaient les autres membres de la communauté. « Ils m’ont accompagné pour voir les autres personnes qui se cachaient, et leur répéter un message qu’ils m’ont dicté. J’ai du annoncer dans ma langue aux gens qui étaient dans les cachettes que la guerre était terminée. J’ai parlé en Hema », dit-il. Interrogé par le procureur au sujet de ce qui serait arrivé s’il avait fait sortir les gens de leur cachette, il répond : « Ils nous auraient tués. »
Avant de conclure l’examen, le procureur Gilles Dutertre montre au témoin un extrait vidéo enregistré en 2007. Le film entraîne le spectateur dans un bâtiment vide. Seul un ensemble de bancs de bois rudimentaire remplit la pièce. La caméra zoome sur les murs, criblés de balles. Le témoin 268 reconnaît cet endroit : « C’est l’Institut de Bogoro »
Le représentant légal des victimes avait demandé l’autorisation de poser quelques questions au témoin. M. Jean Louis Gilissen, qui représente les enfants soldats qui ont participé à l’attaque de Bogoro, tient à préciser certaines réponses données par le témoin aux questions de l’Accusation.
Le témoin 268 indique au tribunal que, dans l’assaut contre Bogoro, il a vu beaucoup d’enfants parmi les combattants. Ils portaient des flèches et des lances. Le plus jeune tenant une arme pourrait être âgé de huit ou dix ans. « Ils cassaient les maisons. » « Avez-vous vu des jeunes arrêter des civils et tuer? » demande à M. Jean-Louis Gilissen. « Non, j’ai simplement entendu des bruits. Je ne pouvais pas les voir. J’ai entendu des voix de jeunes enfants. Ceux qui pillaient faisaient beaucoup de bruit », répond le témoin.
Le témoin 268 explique que les auteurs ont joué des rôles différents dans l’attaque. « Les combattants ont participé à la guerre, [tandis que] les femmes et les enfants transportaient les biens pillés », dit le témoin. « Cela signifie que les enfants ont pris part au pillage, à la destruction et au transport des biens pillés à Bogoro? » insiste M. Gilissen. Le témoin 268 confirme les paroles de l’avocat.
Les équipes de défense de Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo évaluent la crédibilité du témoin 268. Les deux équipes de défense expriment des doutes sur l’identité des combattants et le nombre de victimes.
M. Hooper insiste sur le fait que le village de Bogoro avait subi des agressions avant « l’attaque finale » en février 2003. Selon l’avocat, il est probable que cette « attaque finale » était prévisible. Au cours des interrogatoires précédents, le témoin 233 a déclaré au tribunal que la population de Bogoro avait reçu des avertissements au sujet d’éventuelles attaques. « Il y avait des rumeurs », a déclaré le témoin 233. Cette information conduit l’avocat à penser que beaucoup de gens ont fui avant l’attaque, et donc le nombre de victimes présumées par le Procureur – 200 civils – est inexact. « Saviez-vous que cette attaque [le 24 février 2003] allait avoir lieu ce jour-là à Bogoro? » demande à M. Hooper. « Il y avait beaucoup de harcèlement», dit le témoin.
En ce qui concerne l’identité des combattants, l’information de M. Hooper indique que le groupe de personnes que le témoin a vu – hommes, femmes et enfants – parlaient un autre dialecte, le Bira. « Ces gens venaient du territoire Bira », assure l’avocat. Son collègue, l’avocat de Mathieu Ngudjolo, remet aussi en question les caractéristiques des combattants. « Selon vous, les combattants Lendu que vous avez vu en février 2003 étaient vêtus d’uniformes militaires semblables à ceux utilisés par les Ougandais. Qu’est-ce qui vous a fait penser que ces soldats n’étaient pas avec l’armée ougandaise? » demande M. Jean-Pierre Kilenda. « Je connais les Ougandais, je connais les Lendus, et je connais l’UPC », répond le témoin. Le témoin 268 dit qu’il peut distinguer les différences ethniques entre les Ngiti et les Lendu dans leur façon de marcher et par la couleur de leur peau. « Nous avons vécu ensemble. Nous nous connaissions très bien. Nous connaissions l’origine du peuple, qui était Hema, Lendu, Ngiti », dit-il.
« Vous avez dit aussi que pendant l’attaque de votre famille était à Bunia, et vous êtes resté seul à Bogoro. Pourquoi avez-vous vécu séparément les uns des autres? » demande M. Kilenda. « Il était difficile de s’enfuir en groupe ; au cas où on allait être tué, on allait mourir seul », dit le témoin.
« Alors, vous avez laissé votre famille en sécurité à Bunia et vous êtes retourné à Bogoro. Était-ce parce que vous étiez un soldat de l’UPC? »
« Non, non, je n’étais pas un soldat. »