Germain Katanga & Mathieu Ngudjolo Chui in court
qui sommes Germain Katanga &
Mathieu Ngudjolo Chui?

Par Jennifer Easterday

Le 27 mars, la majorité de la Chambre d’appel de la Cour pénale internationale (CPI) que la a jugé Chambre de première instance pouvait modifier les charges retenues contre Germain Katanga. Toutefois, a noté la Chambre d’appel, si la Chambre de première instance change les charges, elle doit s’assurer que le procès de Katanga reste équitable.

Cet article va examiner en profondeur la question de l’utilisation par les Chambres de première instance de la Règle 55 pour modifier les charges au cours de procès de la CPI et pourquoi cela est devenu un sujet de controverse. Il va également discuter de l’opinion dissidente du juge Cuno Tarfusser de la Chambre d’appel dans le procès Katanga et la façon dont l’approche de la CPI est différente de celle des autres tribunaux pénaux internationaux.

La Règle 55: une question controversée à la CPI

La Règle 55 a constitué  un problème majeur dans la plupart des premiers procès de la CPI. En plus de la question posée au procès Katanga, la Règle a également été soulevée au procès de Thomas Lubanga et constitue actuellement un problème au procès de Jean-Pierre Bemba Gombo.

La Règle 55 du Règlement de la Cour prévoit que, dans son jugement final, une « Chambre peut modifier la qualification juridique des faits pour la faire concorder avec les crimes […] ou s’accorder avec la forme de participation de l’accusé […] sans dépasser les faits et circonstances décrits dans les charges et les modifications portées aux charges. » Cela signifie que les chambres de première instance peuvent changer la façon dont elles considèrent les éléments de preuve d’un point de vue juridique, même si ce n’est pas exactement la façon dont l’accusé a été inculpé. Par exemple, si une personne est accusée d’avoir commis un crime directement, mais que les éléments de preuve laissent entendre qu’elle a aidé et encouragé le crime, la Chambre de première instance peut la condamner pour avoir aidé et encouragé, même si ce n’était pas dans les accusations initiales.

Cependant, les chambres de première instance doivent notifier aux parties si elles envisagent un tel changement. Le règlement prévoit que si, « à tout moment du procès, il apparaît à la Chambre que la qualification juridique des faits peut être sujette à changement, » la Chambre doit « aviser les participants » qu’elle pourrait modifier la nature des accusations dans son arrêt. La Chambre doit également donner aux participants la possibilité de présenter des observations sur la question. En outre, la chambre doit s’assurer que l’accusé a « le temps et les facilités nécessaires à la préparation efficace de sa défense » et, « le cas échéant, avoir la possibilité d’examiner à nouveau, ou faire interroger à nouveau, un témoin précédent, appeler un nouveau témoin ou d’autres éléments de preuve recevables en vertu du Statut. »

Le prétexte derrière la Règle est de promouvoir l’efficacité judiciaire et permettre à la Chambre de première instance de combler les lacunes de l’impunité qui pourraient survenir si les charges de l’Accusation ne correspondent pas aux faits entendus au procès. Elle est destinée à éviter de surcharger les juges d’affaires impliquant des charges cumulatives ou alternatives, permettant des procès plus efficaces, en temps opportun. Elle vise également à éviter les situations où un accusé est acquitté, même s’il existe une preuve hors de tout doute raisonnable qu’il a commis un crime relevant de la compétence de la Cour.

Cependant, les critiques affirment qu’elle ne concorde pas avec d’autres dispositions du Statut de Rome et entraine les juges à ne pas jouer correctement le rôle du procureur. Spécifiquement, les critiques soutiennent qu’elle va à l’encontre du pouvoir qu’a le procureur de modifier les charges en vertu de l’article 61 (9) du Statut de Rome. Les équipes de la défense ont également fait valoir que la façon dont elle a été utilisée par les chambres de première instance viole le droit à un procès équitable.

La Règle 55 au procès Lubanga et Bemba

Dans le procès Lubanga, la majorité de la chambre de première instance, moins la voix du juge Fulford, a envisagé de changer la qualification juridique des faits dans cette affaire à la lumière des témoignages entendus pendant le procès et des observations des représentants légaux des victimes. La majorité a envisagé l’ajout de nouvelles charges contre Lubanga fondées sur des preuves de violence sexuelle, bien que la chambre préliminaire n’ait confirmé que les charges pour les crimes de recrutement et de conscription d’enfants soldats. La Chambre d’appel a infirmé cette décision parce que la modification proposée allait au-delà des faits et des circonstances décrits dans les charges. La Chambre d’appel a estimé que, quel que soit le moment au cours du procès où la Chambre de première instance voulait apporter des modifications à des charges en vertu de la Règle 55, les changements étaient limités aux faits et circonstances entourant les charges confirmées par la Chambre préliminaire.

Dans l’affaire Jean-Pierre Bemba Gombo, les juges de la Chambre préliminaire III ont invoqué la Règle 55 quelques mois après que la défense a commencé à présenter son cas. La chambre a donné aux parties notification d’un éventuel changement du mode présumé de responsabilité. Bemba a été initialement accusé de responsabilité de commandement pour les crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis en République centrafricaine par les troupes prétendument sous son contrôle, le Mouvement pour la libération du Congo (MLC). A l’origine, il a été accusé d’avoir omis de prendre des mesures pour empêcher ou punir les crimes qu’ « à sa connaissance », ses troupes auraient commis. Les juges ont toutefois donné notification en vertu de la Règle 55 qu’ils pouvaient changer la forme de « connaissance » requise. Essentiellement, ils peuvent changer la condition qu’il « avait connaissance » des crimes en une exigence plus faible : il « savait, ou, en raison des circonstances de l’époque, aurait dû savoir, que ces forces commettaient ou allaient commettre ces crimes. »

La défense Bemba a rejeté cet argument, faisant valoir que le changement nécessiterait six à neuf mois d’enquête et de temps pour identifier et interroger d’autres témoins potentiels. La chambre de première instance a donc suspendu le procès pour deux mois et demi afin de donner le temps et les facilités nécessaires pour préparer à un changement potentiel. La défense a demandé l’autorisation d’interjeter appel de cette décision sur la base du fait que l’utilisation par la chambre de la Règle 55 était abusive et violait le droit de M. Bemba  à un procès équitable. Cependant, la chambre de première instance n’a pas permis à la défense de déposer son appel.

La défense de Bemba a ensuite informé le tribunal qu’elle voulait recommencer le procès dès que possible. La défense a affirmé qu’elle ne chercherait pas à rappeler des témoins, apporter des éléments de preuve supplémentaires ou procéder à des enquêtes supplémentaires. Selon la défense, sans décision formelle de modifier les charges ou de rendre une décision finale au sujet de la modification potentielle, la chambre n’avait aucune autorité légale pour poursuivre Bemba dans le cadre du nouveau mode de responsabilité. La chambre de première instance a accordé la requête de recommencer le procès, estimant que la défense avait renoncé à la possibilité de mener des investigations complémentaires. Le tribunal a également noté qu’il n’y avait aucune obligation d’émettre une décision formelle sur les changements éventuels à ces accusations. Selon cette chambre, le changement éventuel ne pourrait être appliqué qu’au jugement final, pas avant.

La Règle 55 au procès Katanga

Dans l’affaire Katanga, le changement proposé concerne également le mode présumé de responsabilité mais il est venu très tard dans le déroulement du procès. Le procureur a initialement accusé Katanga et Mathieu Ngudjolo de trois crimes contre l’humanité et de sept crimes de guerre qui auraient été commis lors d’une attaque contre Bogoro, village de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Ils ont été accusés en vertu de l’article 25 (3) (a) d’avoir commis des crimes par « coaction indirecte », où Katanga et Ngudjolo auraient utilisé des organisations hiérarchiques (la Force de résistance patriotique en Ituri (FRPI) et le Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI), respectivement) pour mener à bien les crimes en application du plan commun de Katanga et de Ngudjolo en vue d’effacer Bogoro.

Agissant en vertu de la Règle 55 du Règlement de la Cour, la majorité de la Chambre de première instance a avisé les parties qu’elle serait susceptible de changer le mode de responsabilité de Katanga en responsabilité de « but commun » en vertu de l’article 25 (3) (d) (ii). En raison de cette évolution dans l’affaire Katanga, les juges ont disjoint les deux affaires et acquitté Ngudjolo, le 18 décembre, 2012. Le parquet a fait appel de son acquittement.

Il existe des différences importantes entre les accusations initiales et la modification proposée. Le mode spécifique de responsabilité envisagé par les juges est l’article 25 (3) (d) (ii), qui criminalise la contribution intentionnelle à un crime commis par un groupe de personnes agissant dans un but commun, sachant que le groupe a l’intention de commettre le crime. Le nouveau mode de responsabilité s’applique à tous les crimes, sauf ceux relatifs à l’utilisation d’enfants soldats.

En bref, Katanga pourrait être coupable si les juges constatent qu’il a contribué d’une certaine manière à l’attaque de Bogoro et savait que sa contribution faciliterait la perpétration de crimes. Ceci est différent des accusations initiales, selon lesquelles Katanga lui-même a voulu les crimes dans le cadre d’un plan commun pour anéantir Bogoro, contrairement à l’intention de contribuer aux actions d’autres qui, à sa connaissance, allait commettre des crimes.

Il est possible que les juges ne considèrent pas qu’il existe de preuves suffisantes de l’existence d’un plan commun entre Katanga et Ngudjolo, surtout étant donné que la chambre de première instance a acquitté Ngudjolo parce que l’Accusation n’avait pas réussi à prouver qu’il était le commandant des forces Lendu qui ont attaqué Bogoro. Cependant, dans son témoignage, Katanga a parlé de son rôle de coordonateur dans la préparation de l’attaque de Bogoro. Katanga a déclaré que l’objectif de l’attaque était d’enlever les soldats de l’UPC qui y étaient basés, non pas d’« effacer » le village. Il a affirmé que l’attaque a été menée par des groupes armés locaux liés à l’APC et facilitée par le gouvernement de la RDC. En cas de modification des charges, les juges pourraient étudier la question de savoir si ce rôle de coordination serait suffisant pour le déclarer coupable en vertu de la nouvelle responsabilité de « but commun ».

La défense Katanga a soutenu que le calendrier et la nature de la modification allaient violer le droit de Katanga à un procès équitable et fait appel de la décision. La majorité de la Chambre d’appel a confirmé l’utilisation par la chambre de première instance de la Règle 55, mais a noté certains problèmes dans la façon dont la mise en œuvre du changement pourrait affecter le droit de Katanga à un procès équitable en fonction de la façon dont la Chambre de première instance conduirait ultérieurement le procès. En particulier, la majorité de la Chambre d’appel était préoccupée par la violation de droit de Katanga à un procès sans retard indu, compte tenu de la date tardive de la décision de la chambre de première instance.

Selon la majorité de la Chambre d’appel, la chambre de première instance peut donner notification  « à tout moment pendant le procès » sans limite, tant qu’elle donne aux parties la possibilité de présenter des observations orales et écrites au sujet de la modification proposée à un stade approprié de la procédure. La majorité de la Chambre d’appel a noté qu’il est possible que la chambre de première instance ne se rende compte de la nécessité du changement qu’au moment de la délibération pour son jugement final, surtout compte tenu de la complexité des affaires portées devant la CPI. La majorité a déclaré que si la Chambre de première instance ne pouvait pas invoquer la Règle 55 au stade des délibérations, elle devra acquitter l’accusé, même s’il y avait des preuves établissant clairement sa culpabilité en vertu d’une qualification juridique différente des faits.

L’un des principaux objectifs de la Règle 55 est de combler les lacunes en matière de reddition de comptes, a rappelé la majorité de la Chambre d’appel. La majorité a conclu que le fait de changer la perpétration des crimes lui-même en simple complicité dans la perpétration des crimes impliquera toujours nécessairement un changement de la caractérisation du rôle de l’accusé. Il serait contraire à l’objectif de la Règle 55 qui veut qu’une Chambre de première instance ne puisse pas effectuer ces changements.

Cependant la majorité de la Chambre d’appel a mis en évidence certains problèmes. En particulier, la majorité a fait remarquer qu’elle ne connaissait pas la nature exacte de la requalification ou des éléments de preuve qu’allait utiliser la chambre de première instance. La majorité de la Chambre d’appel a également noté que la chambre de première instance devra elle-même voir si le fait de procéder à la requalification à ce stade violerait le droit de Katanga à un procès équitable, en particulier si on l’a empêché d’organiser sa défense contre le nouveau mode de responsabilité.

Selon la majorité, il était trop tôt pour évaluer si le droit de Katanga à être jugé sans retard excessif a été violé car elle ne peut pas encore juger de combien de temps sera prolongé le procès en raison de la requalification. En ce qui concerne le droit de Katanga à être informé des accusations portées contre lui dans le détail, la majorité de la Chambre d’appel a noté que la décision de la Chambre de première instance n’a pas fourni plus de détails sur les faits sur lesquels elle allait s’appuyer en cas de modification du mode de responsabilité. Cependant, elle a déclaré que la chambre de première instance doit décider elle-même de la quantité d’informations supplémentaires qu’elle doit fournir à Katanga afin de protéger ses droits à un procès équitable.

Dans une opinion partiellement dissidente, le juge Cuno Tarfusser a exprimé son profond désaccord avec la majorité de la Chambre d’appel sur l’application de la Règle 55 au type de changement proposé et sur l’opinion de la majorité selon laquelle le changement ne violerait pas le droit de Katanga à un procès équitable. Le Juge Tarfusser a été d’accord avec la majorité sur la date du changement.

Selon le juge Tarfusser, la Règle 55 ne doit être appliquée que dans des situations exceptionnelles et doit être interprétée de manière restrictive afin d’éviter les violations du droit de l’accusé à un procès équitable. À son avis, la seule fois que la Règle 55 doit être déclenchée, c’est quand il y a un changement dans le mode de responsabilité entre l’article 25 (responsabilité pénale individuelle) et l’article 28 (commande ou responsabilité du supérieur hiérarchique). Pour le juge Tarfusser, changer le mode de la responsabilité d’un sous-alinéa de l’article 25 à l’autre, ce n’est pas réellement modifier la qualification juridique des faits aux fins de la Règle 55. Selon le juge, des modifications dans l’article 25 ne sont que des changements quant au degré de participation de l’accusé à un crime, et non pas la nature de sa participation. A son avis, permettre aux Chambres de première instance d’utiliser la Règle 55 pour changer le mode de responsabilité d’un paragraphe de l’article 25 à l’autre est une décision excessivement générale et non seulement constituerait une violation du droit de l’accusé à être jugé sans retard excessif, mais également irait à l’encontre de l’objectif fondamental du Statut de Rome qui est de fixer les paramètres d’une affaire dès la première phase du stade préliminaire.

La décision de la Chambre de première instance violerait également le droit de Katanga d’être informé dans le détail des accusations portées contre lui, a ajouté le juge Tarfusser. La décision de notification  de la Chambre de première instance n’a pas fourni suffisamment d’informations sur les éléments factuels et juridiques qui sous-tendent le changement potentiel. Contrairement à la majorité de la Chambre d’appel, le Juge Tarfusser a estimé que des informations plus détaillées aurait dû être fournies à la première décision de notification de la Règle 55.

Différences avec les autres tribunaux

La question de la Règle 55 se résume à la façon dont la nature de la charge, ou la qualification juridique des faits influence les répercussions du jugement final. Il existe différentes approches de cette question. Dans les systèmes de common law, l’accent est mis sur la caractérisation des faits précis comme «infractions», et la façon dont le procureur les décrit dans l’acte d’accusation. Dans les systèmes de common law, la caractérisation de l’infraction par le procureur est obligatoire pour la chambre de première instance sous peine de violer le droit de l’accusé à un procès équitable. La chambre de première instance peut toutefois déclarer l’accusé coupable d’une infraction moindre et incluse (comme complicité de génocide, qui est considéré comme une infraction moindre et incluse dans le génocide).

C’est l’approche adoptée par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL). Là, le procureur peut charger l’accusé sur la base de différentes théories de l’affaire et différents modes de responsabilité, et la chambre de première instance peut condamner ou acquitter en fonction de ses évaluations des faits selon les différentes formes de perpétration. Dans ces tribunaux, le procureur va souvent porter de nombreuses charges afin d’éviter des acquittements où il est seulement question de changer la qualification juridique des faits. Cependant, certains affirment que cela conduit à prolonger et à compliquer inutilement les procès.

Par exemple, au TSSL, l’ancien président libérien Charles Taylor a été accusé d’avoir directement commis des crimes contre l’humanité et crimes de guerre par une entreprise criminelle commune, par responsabilité de commandement, et par d’autres formes de responsabilité telles que la planification, le commandement, ou l’aide et l’encouragement aux crimes. Il a finalement été reconnu coupable de complicité et de planification des crimes reprochés. Parce que l’Accusation a pu inclure plusieurs formes de responsabilité dans son acte d’accusation, la défense avait connaissance que Taylor pourrait être condamné pour chacun de ces crimes et modes de responsabilité. La chambre de première instance n’a pas eu à requalifier les faits de l’affaire quand elle s’est rendu compte que la complicité constituait un mode plus approprié de responsabilité dans cette affaire. Bien que cela puisse être considéré comme pouvant créer de l’indiscipline dans les procès et en prolonger la durée, cette pratique donne à l’accusé notification de toutes les formes possibles de charges retenues contre lui, et renforce ainsi la sécurité juridique dans ces affaires.

Cependant, dans les systèmes de droit civil, l’accent est mis davantage sur les faits que sur la manière dont le procureur qualifie les faits dans l’acte d’accusation. Dans ces systèmes, les juges sont considérés comme connaissant la loi et étant le mieux à même de qualifier les faits présentés pendant le procès. La qualification faite par l’Accusation dans l’acte d’accusation est considérée comme une simple recommandation ou théorie de l’affaire. C’est l’approche adoptée par la CPI. La question posée par le procès Katanga va ajouter à la masse croissante de la jurisprudence sur la législation et la pratique de l’évolution des charges contre un accusé au cours du procès et continuera à susciter un débat sur l’équilibre entre les procès efficaces et le droit de l’accusé à un procès équitable.

 


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