Cette semaine, les équipes de défense de Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui ont présenté leurs conclusions devant la Chambre de première instance II de la Cour pénale internationale (CPI). Ces deux hommes sont accusés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui auraient été perpétrés au cours d’une attaque sur le village de Bogoro dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC).
Ils nient toutes les accusations contre eux et cette semaine, ils ont fait valoir devant les juges de la CPI que l’Accusation n’avait pas réussi à prouver leur culpabilité au-delà de tout doute raisonnable. Les points saillants de leurs arguments sont présentés ci-dessous.
Crimes contre l’humanité
Les deux équipes de défense ont fait valoir que l’Accusation n’avait pas réussi à prouver qu’il y avait eu une attaque généralisée ou systématique contre une population civile, ce qui est nécessaire pour prouver les accusations de crimes contre l’humanité telles que l’assassinat, le viol et l’esclavage sexuel.
Les équipes de défense ont soutenu que l’attaque de Bogoro ne constituait pas et ne faisait pas partie d’une attaque contre des populations civiles. Les deux équipes ont souligné que la cible de l’attaque était une base militaire, et non pas la population civile. La défense de Ngudjolo a fait valoir que les civils qui se trouvaient à Bogoro ont pris une part active aux hostilités. Dans cette affaire, il n’existe aucune preuve du contraire. Par conséquent, toutes les victimes devraient être sous la protection des Conventions de Genève de 1949, selon la défense de Ngudjolo.
La défense de Katanga a également soutenu que l’attaque n’était pas généralisée ou systématique. La Chambre préliminaire avait qualifié l’« attaque » d’attaque contre la population Hema dans le district de l’Ituri. Par conséquent, selon la défense, l’attaque de Bogoro elle-même ne pouvait pas être considérée comme une attaque « généralisée ». Et l’attaque de Bogoro ne constituait pas non plus une partie intégrante d’une attaque plus générale contre les Hema dans la région, a ajouté la défense. La défense de Katanga distingue l’attaque de Bogoro d’autres attaques régionales sur lesquelles se fonde l’Accusation pour établir la nature généralisée ou systématique des crimes. Par exemple, la défense a soutenu que l’attaque de Nyankunde était dirigée contre la population Bira, en réponse à une attaque contre Songolo. Et selon la défense ce fait pouvait raisonnablement faire penser que les crimes commis à Bogoro pouvaient faire partie d’une plus grande attaque régionale contre les Hema.
La reclassification du conflit
A l’origine, l’Accusation avait tout d’abord allégué des charges liées à un conflit armé international, ce que la Chambre préliminaire I avait confirmé. Cependant, suite au récent jugement du procès Lubanga dans lequel le conflit en Ituri même était considéré comme non-international par cette Chambre, l’Accusation a modifié son approche. L’Accusation a soutenu dans ses conclusions que le conflit était non international, mais que la distinction n’est pas pertinente parce qu’elle ne modifierait pas les crimes qui font l’objet du procès.
Désaccord de la défense de Katanga : à son avis, la Chambre ne pouvait pas s’appuyer sur une règle spéciale à la CPI, la Règle 55, pour procéder à une reclassification juridique du conflit en conflit armé non international. La défense a soutenu que les éléments des crimes reprochés, tels que l’homicide volontaire, sont différents selon la nature du conflit. Si une application de la Règle 55 devait entraîner un changement dans la nature essentielle des charges, comme des éléments distincts, elle doit être accompagnée d’un amendement de ces accusations, a soutenu la défense.
La défense de Ngudjolo a également qualifié le conflit de conflit armé international. Elle a fait valoir que tant les témoins de la défense que ceux de l’Accusation avaient fourni des preuves montrant que le conflit était un conflit armé international impliquant des puissances étrangères et la luttes pour des territoires et des ressources économiques. Par exemple, selon la défense de Ngudjolo, la preuve a été faite que l’armée ougandaise et l’Union des patriotes congolais (UPC) ont conjointement mené des opérations militaires, telles que l’attaque de Bunia qui a chassé Lopondo et l’Armée du peuple congolais (APC). En outre, le Rwanda a fourni à l’UPC des armes, selon la défense de Ngudjolo. Par conséquent, ce serait une erreur de considérer le conflit comme non-international.
Un plan criminel conjoint
L’Accusation a affirmé que les deux accusés avaient un plan commun pour éliminer le village de Bogoro. La défense de Katanga a fait valoir que le plan commun doit être criminel, mais que, dans ce cas, l’Accusation a confondu un plan militaire légitime, l’attaque de la base militaire UPC, avec un plan criminel, pour effacer le village de Bogoro et ses habitants civils Hema .
Le plan qui consistait à chasser la base militaire de l’UPC de Bogoro, a été orchestré et formulé par le gouvernement de la RDC et le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-KML), a indiqué la défense de Katanga. Même si la défense a concédé qu’il y avait des victimes civiles dans cette attaque, elle a fait valoir qu’il y avait un sentiment général parmi les combattants que les civils avaient quitté le village avant les attaques. Par conséquent, l’Accusation n’avait pas prouvé que le plan commun comprenait l’attaque des civils, a soutenu la défense de Katanga.
L’attaque de Bogoro a été perpétrée par groupe organisé avec Kabila à sa tête
La défense de Ngudjolo a fait valoir que l’Accusation n’avait pas réussi à prouver l’existence d’un lien entre Ngudjolo et les crimes. Au contraire, la défense Ngudjolo attribue la responsabilité de l’attaque au président de la RDC, Joseph Kabila. C’est Kabila lui-même qui a planifié l’attaque de Bogoro, a soutenu la défense de Ngudjolo, parce que Kabila voulait reprendre le contrôle de l’Ituri.
La défense a fait valoir qu’il était placé au sommet d’une organisation hiérarchique qui comprenait les Forces armées congolaises, le chef du Commandement opérationnel intégré (EMOI), et d’autres. Il existe des preuves écrites que tous ces gens faisaient partie d’un plan commun pour attaquer Bogoro, selon la défense. Kabila avait le contrôle sur ces coauteurs présumés, et les membres de l’organisation suivaient ses ordres, a ajuté la défense de Ngudjolo. La défense a également blâmé les autorités ougandaises, les membres de l’APC, et les autres commandants qui « assuraient le spectacle en Ituri. » à l’époque.
Responsabilité pénale personnelle de Ngudjolo
La défense de Ngudjolo a également soutenu que Ngudjolo n’était pas un chef de file des combattants Lendu à l’époque en question. Sa formation militaire antérieure ne constituait pas la preuve qu’il contrôlait les combattants locaux. La défense a souligné le leadership du chef Manu, un témoin clé de Ngudjolo, qui s’est rendu à Aveba et a signé des lettres au sujet du conflit au nom des Lendu. Ngudjolo n’a jamais signé ces lettres, selon la défense. Il travaillait au Centre de santé de Kambutso à l’époque en question. Il n’existe aucune preuve qui puisse permettre d’établir un lien quelconque entre lui et les crimes, selon la défense de Ngudjolo.
Le rôle de Katanga en tant que coordonnateur
Germain Katanga a témoigné qu’il n’était pas commandant, mais coordonateur, ou quelque chose comme cela, à Aveba. Son équipe de défense a fait valoir que ce n’était pas une position officielle, mais que le terme a été tout simplement adopté par Katanga pour décrire son rôle comme agent de liaison. Au moment de l’attaque de Bogoro, les Forces de résistance patriotique de l’Ituri (FRPI) étaient une organisation « désossée » et « trop grosse », a indiqué la défense de Katanga. C’est seulement plus tard, en prévision des pourparlers régionaux de paix que Katanga et d’autres de Walendu-Bindi ont adopté la structure des FRPI pour se donner plus de légitimité parmi les autres participants aux pourparlers.
Déclaration de Germain Katanga
Germain Katanga a commencé ses observations à la Cour en reconnaissant l’existence de victimes du conflit en Ituri et de l’attaque de Bogoro.
« Mes pensées vont à tous ceux qui ont perdu des êtres chers, leurs biens, et leur richesse. [A] tous ceux dont la fierté et la dignité ont souffert. Je tiens à leur exprimer ma compassion pour toutes les souffrances qu’ils ont subies à cause de la bêtise et la méchanceté de la nature humaine. «
Il a réaffirmé son innocence, soulignant qu’il n’était pas responsable de l’attaque. « Notre plus grand souhait est que ceux qui sont vraiment coupables soient identifiés et punis et que les victimes soient reconnues et réhabilitées », a-t-il dit. Katanga a rappelé aux juges son âge relativement jeune et son éducation modeste. Les accusations portées contre lui lui ont fait profondément mal, a-t-il ajouté, et il espère que les « vrais coupables » seront arrêtés et jugés.
Katanga s’est également félicité de l’équité et de l’impartialité de la procédure et des juges et a conclu en demandant « que justice soit faite en toute équité et que vous preniez conscience de la vérité, des faits et de la solidité des éléments de preuve qui vous ont été exposés. »
Déclaration de Mathieu Ngudjolo
Mathieu Ngudjolo Chui a également fait une déclaration devant les juges. Il a saisi l’occasion pour encore une fois passer en revue ses arguments de défense : Joseph Kabila était responsable de l’attaque de Bogoro, et Mathieu Ngudjolo était simplement un infirmier à Kambutso au moment de l’attaque.
Ngudjolo a nié que les combattants de Zumbe aient participé à l’attaque, et affirmé que même s’ils l’avaient fait, d’autres personnes auraient été responsables en tant que dirigeants des combattants. En effet, Ngudjolo a nommé plusieurs personnes, de Kabila au président ougandais Yoweri Museveni en passant par les commandants de groupes armés de l’Ituri, qu’il considérait comme responsables des accusations portées contre lui.
Il a conclu en disant aux juges, « Je n’ai jamais été membre d’un groupe de militaires ou des milices en Ituri. Je n’ai jamais eu de soldats sous mon commandement. Mon travail est l’œuvre d’un humanitaire, je n’étais pas un combattant, j’étais infirmier et j’ai formé des agents de santé communautaire. «
Les juges vont commencer leurs délibérations
Maintenant que les juges ont entendu les observations finales des parties et des victimes participantes, ils vont se retirer pour délibérer et décider si Katanga et Ngudjolo sont coupables des faits qui leur sont reprochés. Etant donné que dans l’affaire Lubanga, un procès qui n’a impliqué qu’un seul accusé et un seul chef d’accusation, la Chambre de première instance a délibéré pendant plus de six mois avant de délivrer un verdict, on peut en déduire que dans l’affaire Katanga et Ngudjolo un verdict ne pourra pas être livré avant début 2013.