Le procureur et les représentants légaux des victimes ont répondu à l’appel de Germain Katanga contre d’éventuelles modifications légales dans l’affaire contre lui. La Cour pénale internationale (CPI) a accusé Katanga de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre qui auraient été commis lors de l’attaque de Bogoro, un village de la partie orientale de la République démocratique du Congo (RDC). Katanga a été accusé de « coaction indirecte » dans des crimes qu’il aurait commis à l’aide d’une milice, la Force de résistance patriotique en Ituri (FRPI). Son co-accusé, Mathieu Ngudjolo, a également été accusé de coaction indirecte pour avoir utilisé une autre milice, le Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI), et commis des crimes au cours de l’attaque de Bogoro. Selon le procureur, les deux accusés ont conjointement planifié et exécuté l’attaque.
Le procès s’est ouvert le 24 novembre 2009 et a pris fin le 23 mai 2012. Près de six mois plus tard, le 21 novembre 2012, une majorité de la Chambre de première instance II, la juge Christine Van Den Wyngaert faisant exception, a informé les parties qu’elle envisage une nouvelle qualification du mode de responsabilité applicable à Katanga. Agissant en vertu de la Règle 55 du Règlement de la Cour, la majorité des juges allait changer le mode de responsabilité de Katanga pour adopter celui de l’article 25 (3) (d) (ii), soit une forme de responsabilité « moindre » appelée responsabilité par « but commun ». Cela signifie essentiellement que Katanga serait accusé d’avoir de manière non intentionnelle, mais en connaissance de cause, contribué aux crimes au lieu d’être directement responsable. Le nouveau mode de responsabilité s’applique à tous les crimes, à l’exception de ceux relatifs à l’utilisation d’enfants soldats. En raison de cette évolution dans l’affaire contre Katanga, les juges ont procédé à la disjonction des deux affaires. À la mi-décembre, Ngudjolo a été acquitté de toutes les charges et remis en liberté ; le procureur a interjeté appel.
Katanga a fait appel de la décision et a demandé qu’elle soit suspendue. La décision de notification de la majorité n’est pas définitive, car elle ne fait qu’avertir les parties qu’elle envisage un changement et demande des observations concernant la modification proposée. Toutefois, la défense de Katanga fait valoir que la modification constitue une violation du Statut de Rome et ne relève pas du champ d’application de la Règle 55 et qu’elle viole aussi ses droits à un procès équitable.
L’Accusation a fait valoir que la Chambre de première instance n’a pas commis d’erreur dans sa décision. La majorité de la chambre de première instance a agi correctement lorsqu’elle a donné son avis, selon l’Accusation. Le changement du mode de responsabilité pour le rendre différent de celui qui figure dans l’accusation et qui est qualifié d’ « effet radical » par la défense ne constitue que l’effet normal de la Règle 55, a soutenu l’Accusation.
En fait, selon le procureur, la Chambre d’appel a jugé qu’il n’y a rien dans le Statut de Rome qui empêche la chambre d’effectuer ce changement. Le procureur soutient qu’il n’y a rien dans les documents de la CPI ou les règles qui limite la portée des modifications que la chambre peut opérer en vertu de la Règle 55, tant que la chambre de première instance :
1. S’en tient aux faits et circonstances décrits dans les charges;
2. Donne aux parties la possibilité de présenter des arguments au sujet des changements, le temps de préparer un nouveau moyen de défense, et de rappeler ou de citer ce nouveaux témoins, et
3. Protège le droit à un procès équitable de l’accusé.
L’Accusation a également soutenu qu’il n’y avait rien à redire du moment où la majorité a émis son avis. La défense avait fait valoir que la notification de ces modifications juridiques ne doit se faire qu’à un « moment approprié » du procès et ne doit se faire qu’après que toutes les preuves aient été entendues. Cependant le procureur a fait valoir que la chambre pouvait changer la nature juridique des accusations à tout moment avant la conclusion du procès, ce qui, selon le procureur, signifie lors qu’il y a eu un jugement et, le cas échéant, des décisions relatives à la peine et à des réparations. Ce que la chambre doit faire à un « moment approprié », a ajouté le procureur, c’est de donner aux participants la possibilité de présenter des observations au sujet de la modification proposée.
En outre, a soutenu le procureur, l’objectif de la Règle 55 est de combler les lacunes en matière d’impunité. Selon la Chambre d’appel, la Règle 55 vise à empêcher des acquittements fondés sur des qualifications juridiques retenues à la phase préliminaire du procès qui se révèlent être erronées après que l’on ait eu connaissance des preuves présentées au procès. Selon le procureur, ce que la majorité a fait dans ce cas est parfaitement en ligne avec cet objectif-après évaluation de tous les éléments de preuve, elle s’est rendu compte que la qualification juridique déterminée à la phase préalable au procès, alors que seulement une partie des preuves était présentée, était incorrecte. Et la Règle 55 a justement été conçue en prévision de ce genre de scénario.
Les arguments de la défense selon lesquels Katanga sera lésé par la décision de la majorité sont prématurés et spéculatifs, a fait valoir le procureur. La décision n’était qu’un avis de changement possible, et ne prévoit pas de résultats concrets au sujet des changements du mode de responsabilité présumée. Selon le procureur, les arguments de la défense passent sous silence les mesures que la chambre peut prendre pour s’assurer que Katanga bénéficie d’un procès équitable. Le simple fait de recourir à la Règle 55 ne signifie pas automatiquement une atteinte à son droit à un procès équitable, a affirmé le procureur. Le procureur a aussi fait valoir que l’impact des actions de la majorité sur le droit de Katanga à un procès équitable ne peut être évalué qu’en fonction de ce que la chambre décide en dernier ressort dans son jugement final.
L’Accusation a également fait valoir qu’il est trop tôt pour évaluer si la décision de la majorité est allée au-delà des faits et des circonstances de l’affaire. Selon l’Accusation, le potentiel de requalification ne saurait être évalué car il ne s’agit que d’une décision de préavis sur un changement éventuel,
Les représentants légaux des victimes ont présenté des arguments similaires à ceux de l’Accusation.