La défense de Germain Katanga a déposé des observations sur une éventuelle modification du mode de responsabilité dans cette affaire. On ne sait pas si ce sera le dernier argument présenté sur cette question, alors que la Chambre de première instance s’achemine tout droit vers les délibérations et un jugement définitif, ou si le procès va se poursuivre.
La question a suscité une vive controverse et un procès qui a duré près d’un an. Le procureur a d’abord accusé Katanga et son co-accusé Mathieu Ngudjolo Chui de crimes contre l’humanité et crimes de guerre qui auraient été commis lors d’une attaque contre Bogoro, un village de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Ils ont été accusés en vertu de l’article 25 (3) (a) d’avoir commis des crimes par « coaction indirecte », où Katanga et Ngudjolo auraient utilisé des organisations hiérarchisées (la Force de résistance patriotique en Ituri (FRPI) et le Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI), respectivement) pour commettre les crimes conformément au plan commun de Katanga et Ngudjolo pour éradiquer Bogoro.
Après présentation des arguments de clôture par les parties, la majorité de la Chambre de première instance, à l’exception de la juge Christine Van den Wyngaert, a avisé les parties qu’elle allait probablement changer le mode de responsabilité de Katanga en responsabilité de « but commun » en vertu de l’article 25 (3) (d) (ii). Les juges ont le pouvoir d’opérer cette modification en vertu de la Règle 55 du Règlement de la Cour. En raison de cette évolution du procès Katanga, les juges ont disjoint les deux cas, et plus tard acquitté Ngudjolo. Le parquet a fait appel de son acquittement.
La majorité de la Chambre de première instance II a fourni des informations supplémentaires (disponibles ici) sur le changement potentiel. Cependant, la défense a présenté des objections et soutient encore qu’elle n’avait pas suffisamment d’informations sur le nouveau mode éventuel de responsabilité. Pour répondre à son obligation de protection du droit de Katanga à un procès équitable, la défense a demandé du temps et de ressources pour mener des enquêtes supplémentaires.
Même si elle s’est vu accorder le temps de mener de nouvelles investigations, elle a été incapable de le faire, selon la défense. La défense a indiqué à la Chambre qu’elle fait face à de grandes difficultés, en partie à cause de la détérioration de la sécurité dans l’est de la RDC.
Par conséquent, la Chambre a récemment décidé de poursuivre le procès et a demandé à la défense de présenter des observations sur la façon dont les données existantes devront être considérées à la lumière de la nouvelle forme de responsabilité. La Chambre a également demandé des observations de la défense quant à savoir si elle a fait preuve de diligence dans son enquête. Ces observations ont été déposées confidentiellement au début de ce mois. Cette décision reflète l’échéancier initial indiqué par la Chambre de première instance, qui a auparavant soutenu que s’il s’agissait de rouvrir le procès, elle tiendrait des audiences en septembre et octobre 2013.
Selon la défense, le calendrier et la procédure sont tous les deux mauvais
Bien que la défense se soit conformée à la demande, elle a noté d’importantes réserves concernant la poursuite des délibérations.
Le calendrier et le déroulement de la procédure ont été inappropriés, selon la défense. La défense a estimé qu’il était inapproprié que la Chambre demande ses observations sur les questions juridiques de fond avant de prendre connaissance de la réponse de la défense aux arguments de l’Accusation, du greffier, et des représentants légaux des victimes sur les enquêtes de la défense. La Chambre aurait dû examiner cette question en premier lieu, avant de demander des observations sur l’article 25 (3) (d), a déclaré la défense. Au lieu de cela, la Chambre a présenté ses demandes en même temps.
La décision de la Chambre de demander simultanément des informations sur les enquêtes et des observations sur la loi a soulevé un certain nombre de questions, a ajouté la défense, par exemple:
Cela signifiait-il qu’il n’était pas pertinent pour la Chambre de savoir si oui ou non la défense a agi avec la diligence requise, ou si la Chambre a déjà pris position sur la question des enquêtes sans tenir compte des nouvelles observations de la défense sur cette question? Est-ce que la défense doit comprendre que la Chambre semble avoir changé son point de vue quant à la nécessité de mener des enquêtes? Est-ce que la Chambre pense qu’elle peut requalifier le mode de responsabilité indépendamment du fait que la défense a eu une occasion adéquate pour enquêter? (para 10).
En outre, la défense a soutenu que la Chambre doit statuer sur sa double demande de continuer avec le mode original de responsabilité, ou à titre subsidiaire, permettre à la défense de mener des enquêtes supplémentaires (effectuées dans un document confidentiel de mi-septembre 2013, lorsque la défense a fait à la Chambre de première instance un rapport sur la difficulté de recueillir des preuves en RDC ).
La défense n’a pas estimé que ses conclusions sur les données existantes pourraient être considérées, à la place des preuves supplémentaires trouvées cours de ses investigations renouvelées. Faire des observations sur les données existantes ne va pas compenser l’effet négatif de l’incapacité à mener les enquêtes et à trouver de nouvelles preuves, a estimé la défense.
Des investigations supplémentaires auraient permis à Katanga de contester ou de compléter les preuves, a indiqué la défense. Selon la défense, la preuve existante a été obtenue sur la base d’un mode distinct de responsabilité, de sorte que la preuve reflète un point de vue particulier qui est complètement différent de celui en rapport avec les nouvelles accusations possibles.
La Chambre doit procéder au jugement – sur la base des charges d’origine
La défense a également fait valoir que tout retard supplémentaire dans la procédure serait inutile et pourrait mettre en danger le droit de Katanga à un procès rapide. Par conséquent, compte tenu notamment de la poursuite des violences en RDC, la défense a demandé que la Chambre passe directement au jugement – sur la base du mode original de responsabilité.
Ce serait la seule option pour respecter le droit de Katanga à un procès équitable, a fait valoir la défense. Selon la défense, le droit de Katanga à un procès équitable serait violé si on procède à la modification car la défense n’a pas assez de détails sur les éléments de preuve sur lesquels la Chambre a l’intention de s’appuyer en cas de modification du mode de responsabilité.
Cependant, la défense a fait valoir que si la Chambre insiste pour procéder au changement, elle va demander un délai supplémentaire pour mener des enquêtes.
« Pris entre le marteau et l’enclume l’accusé préfèrera se voir accorder ce temps supplémentaire, malgré les effets sur la rapidité du procès, que d’être placé dans une situation désavantageuse en matière de preuves et faire face à une condamnation injustifiée » , a ajouté la défense (paragraphe 91).
La défense a également fait valoir que cette procédure renverse implicitement la charge de la preuve. L’Accusation est tenue de prouver hors de tout doute raisonnable la façon dont les faits justifient l’adoption de ce nouveau mode éventuel de la responsabilité, a fait remarquer la défense. Cependant, la défense a été invitée à bien s’expliquer et présenter ses arguments avant que l’Accusation ne présente sa plaidoirie sur la façon dont Katanga est coupable en vertu des nouvelles charges, a soutenu la défense. La défense a fait valoir qu’elle doit avoir le dernier mot et que l’Accusation ne doit pas être autorisée à jouir d’une position avantageuse que lui conférerait l’utilisation des arguments de la défense pour renforcer sa nouvelle position.
Conformément aux articles 64 (2) et 69 (4) du Statut de Rome, la Chambre pourrait choisir d’exclure ou de ne pas s’appuyer sur des preuves qui soient très préjudiciables à Katanga, a fait valoir la défense. La défense a rappelé que le fondement apparent pour le changement de mode de responsabilité était la preuve obtenue par les juges lors du témoignage de Katanga. Lors de son témoignage, Katanga n’était pas au courant que les accusations pourraient être modifiées dans un sens qui affecte son droit de ne pas s’incriminer lui-même, a soutenu la défense. Sur cette base, a ajouté la défense, la Chambre devrait exclure ou ne pas s’appuyer sur la preuve que Katanga a donnée de sa contribution à l’attaque de Bogoro.
En dépit de ces questions soulevées par la défense, elle a présenté ses observations à la Cour sur l’article 25 (3) (d) en fonction des faits, qui ont largement réitéré ses arguments précédents. Ces arguments ont été discutés précédemment, ici, ici et ici. Les arguments les plus récents peuvent être trouvés ici.