La défense de Germain Katanga a demandé à la chambre préliminaire II de la Cour pénale internationale (CPI) de prononcer une suspension permanente des procédures, juste deux mois avant que M. Katanga n’entende le jugement de la chambre de première instance dans cette affaire.
Contexte
Le procureur avait initialement accusé M. Katanga et son co-accusé Mathieu Ngudjolo Chui de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre qui auraient été commis lors d’une attaque de Bogoro, un village de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Ils ont été accusés en vertu de l’article 25(3)(a) d’avoir commis les crimes par le biais d’une « co-perpétration indirecte » par laquelle M. Katanga et M. Ngudjolo auraient utilisé des organisations hiérarchisées (respectivement la Force de résistance patriotique en Ituri (FRPI) et le Front Nationaliste et Intégrationniste (FNI)) pour perpétrer les crimes selon un plan commun présumé de M. Katanga et de M. Ngudjolo pour nettoyer Bogoro.
Lorsque les parties auront prononcé leurs exposés finaux, la majorité de la chambre de première instance, le juge Christine Van den Wyngaert ayant un avis dissident, a notifié aux parties qu’il était probable qu’elle modifierait le mode de responsabilité de M. Katanga pour une responsabilité « de personnes agissant de concert » en vertu de l’article 25(3)(d)(ii). Les juges peuvent réaliser cette modification en vertu de la Règle 55 du Règlement de la Cour. Étant donné ce développement dans l’affaire contre Katanga, les juges ont séparé les deux affaires et ont ensuite acquitté M. Ngudjolo. L’accusation a fait appel de son acquittement.
M. Katanga a fait appel de l’éventuelle modification des charges. Une majorité de la chambre d’appel, le juge CunoTarfusser ayant un avis dissident, a confirmé la décision de la chambre de première instance. Selon cette majorité, la décision ne violait pas le droit de M. Katanga à bénéficier d’un procès équitable. Elle a toutefois reconnu qu’il demeurait un risque que la chambre de première instance puisse violer le droit de M. Katanga à bénéficier d’un procès équitable en fonction de la manière dont les procédures additionnelles seraient menées. La majorité de la chambre d’appel est particulièrement préoccupé par la violation du droit de M. Katanga à bénéficier d’un procès équitable dans un délai raisonnable, étant donné la date tardive de la décision de la chambre de première instance.
La majorité de la chambre préliminaire II fournira des informations complémentaires ultérieurement sur la modification éventuelle. Pourtant, la défense a soutenu qu’elle ne disposait pas d’informations suffisantes sur nouveau mode de responsabilité éventuel. Bien que la défense se soit vue accordé un délai pour mener de nouvelles enquêtes, il semblerait qu’elle ne soit pas en mesure de les réaliser. La défense a déclaré qu’elle rencontrait d’importantes difficultés pour lancer l’enquête, en raison, notamment, de la détérioration de la situation en matière de sécurité dans l’est de la RDC.
La défense : Le jugement pourrait violer le droit à bénéficier d’un procès équitable
La chambre de première instance a récemment prévu une audience pour le jugement final en février 2014, sans accorder à la défense d’autres possibilités de mener des enquêtes sur l’éventuelle modification. La défense fait valoir qu’aboutir à un jugement final dans ces circonstances serait d’une « iniquité manifeste » pour M. Katanga. Par conséquent, la défense a soutenu que, à moins qu’il ne soit acquitté ou que le jugement ne soit rendu sur la base des charges initiales, une suspension permanente du procès était la seule manière de protéger les droits de M. Katanga.
La défense a fondé ses arguments sur les décisions de la chambre d’appel de la CPI qui indiquent que l’on peut mettre un terme à la procédure lorsqu’un procès équitable devient impossible. Dans l’affaire Thomas Lubanga, par exemple, la chambre d’appel a estimé que :
Lorsqu’un procès équitable devient impossible du fait de la violation des droits fondamentaux de […] l’accusé[…], il est contradictoire de juger cette personne. La justice ne peut être rendue. Un procès équitable est le seul moyen de rendre justice. Si un procès équitable ne peut être tenu, l’objet de la procédure judiciaire est mis en échec et il convient d’y mettre un terme. (Arrêt relatif à l’appel interjeté par M. Thomas Lubanga Dyilo contre la décision du 3 octobre 2006 à l’exception d’incompétence de la Cour soulevée par la Défense en vertu de l’article 19(2)(a) du Statut, 14 décembre 2006, paragraphe 37).
Une suspension de la procédure peut être permanente ou provisoire. Si les droits de l’accusé à un procès équitable sont violés par une situation à laquelle on peut remédier, la Cour peut ordonner une suspension provisoire de la procédure. Le procès peut ensuite reprendre une fois que la violation des droits a cessé, tant que la reprise du procès ne viole pas le droit d’être jugé dans un délai raisonnable.
La défense de M. Katanga a fait valoir que la chambre de première instance devrait suspendre de manière permanente la procédure car il sera impossible pour l’accusé d’enquêter efficacement sur les faits liés à la modification éventuelle des charges soulevée après la conclusion du procès. La défense a soutenu à de nombreuses reprises que ces enquêtes étaient nécessaires pour protéger ses droits à un procès équitable si la chambre de première instance décidait de modifier les charges portées à son encontre.
La défense a argué qu’une suspension de la procédure était également nécessaire pour préserver l’équité générale du procès. La défense a affirmé que toute suspension de la procédure devait être permanente étant donné l’avancée du procès et du fait de la nécessité d’être jugé sans retard inutile.
La défense a fait valoir que le risque de violation du droit à un procès équitable pour M. Katanga est particulièrement élevé étant donné la « nature et l’étendue » de la modification proposée et « l’avis extrêmement tardif » de l’éventuelle modification, plus d’un an après que les parties aient conclu leurs présentations d’éléments de preuve et six mois après que la chambre de première instance se soit retirée pour délibérer. Une autre année est passée depuis que la chambre de première instance a signalé l’éventuelle modification et, à l’audience prévue pour le jugement final, cela fera plus de six ans que M. Katanga a été remis à la CPI et près de neuf ans qu’il a été arrêté en RDC.