Germain Katanga & Mathieu Ngudjolo Chui in court
qui sommes Germain Katanga &
Mathieu Ngudjolo Chui?

Par Wakabi Wairagala

Trois ans après la date fixée pour sa libération après avoir purgé la peine prononcée par la Cour pénale internationale (CPI), l’ancien chef de milice Germain Katanga reste incarcéré dans sa prison congolaise. Son procès devant un tribunal militaire congolais pour des chefs d’accusation additionnels à ceux pour lesquels il a été condamné à La Haye est au point mort et, désormais, son avocat veut que la Présidence de la CPI ordonne la fin des poursuites à son encontre et sa libération immédiate.

En mai 2014, M. Katanga s’était vu infliger une peine de 12 ans de prison à la suite d’une condamnation prononcée en début d’année. En novembre 2015, les juges d’appel de la CPI avaient cependant réduit cette peine à trois ans et huit mois en raison de sa coopération permanente avec la Cour et de son sincère désaveu de ses crimes. La nouvelle date du terme de sa peine avait été fixée au 18 janvier 2016. Le 19 décembre 2015, M. Katanga avait été remis aux autorités de la République démocratique du Congo (RDC) afin de purger le reste de sa peine dans son pays d’origine, que la Présidence a désigné en tant qu’État d’exécution de la peine.

La Présidence de la CPI avait approuvé la demande du Congo de traduire en justice M. Katanga devant la Haute Cour Militaire de Kinshasa pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité dans une décision d’avril 2016. La Présidence avait conclu que les poursuites proposées au niveau national ne « porteraient pas attente aux procédures ou principes fondamentaux du Statut de Rome ou affecteraient autrement l’intégrité de la Cour » et seraient conformes au droit à bénéficier d’un procès équitable inclus dans la constitution du Congo et dans les autres instruments internationaux pertinents ratifiés par le pays.

Dans un document déposé le 30 janvier 2019, David Hooper, l’avocat de la défense de M. Katanga, a déclaré souhaiter que la Présidence révoque l’autorisation qu’elle avait accordée à la RDC pour traduire en justice M. Katanga et qu’elle ordonne la clôture de la procédure à son encontre. « Malgré la longue période qui s’est écoulée, il n’y a eu aucun progrès dans les poursuites », a soutenu Me Hooper. Il a ajouté, « Aucune Présidence raisonnable n’aurait donné son accord à la RDC pour engager des poursuites si elle avait pu connaître les conséquences de la décision »

En réponse, le juge Chile Eboe-Osuji, qui dirige la Présidence, a invité le gouvernement congolais à présenter ses observations sur toutes les questions soulevées par l’avocat de M. Katanga. Ces dernières comprennent le fait de savoir si la Présidence peut réexaminer une décision prise en vertu de l’article 108 du Statut de Rome et le fait de fournir à la Présidence des informations relatives à l’avancée et à l’état actuel de la procédure portée à l’encontre de M. Katanga, notamment la manière dont le droit à un procès équitable de M. Katanga a été assuré.

La décision initiale autorisant les autorités congolaises à juger M. Katanga a été considérée comme importante puisqu’il s’agissait de la première fois où la CPI interprétait l’article 108 du Statut de Rome. Cet article prévoit qu’un État qui détient une personne condamnée doit avoir l’approbation de la Cour s’il a l’intention de la traduire en justice pour « un comportement antérieur à son transfèrement dans l’État chargé de l’exécution ».

Cependant, Me Hooper a indiqué que des événements postérieurs avaient montré que cette décision « était manifestement erronée et que ses conséquences étaient évidemment insatisfaisantes », puisque la RDC s’était montrée incapable de fournir à M. Katanga les éléments de base nécessaires à un procès équitable.

Katanga, un ancien chef de la milice armée de la Force de Résistance Patriotique en Ituri, a été condamné en mars 2014 comme complice des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité découlant d’une attaque de civils menée en février 2003 dans le village de Bogoro, en RDC. Les crimes en cause au Congo sont imputés pour un comportement allégué avant son arrestation par la CPI et ne sont pas liés à l’attaque de Bogoro.

La défense affirme que le tribunal militaire en charge n’a pas fait progresser l’affaire et qu’il s’est réuni de façon irrégulière sans aborder le fond des questions. Aucune audience consacrée à l’examen des preuves ne s’est tenue et la dernière convocation du tribunal militaire, « où rien de notable n’a été fait », a eu lieu en février 2018. « Pendant l’année dernière, il n’y a même pas eu de cour constituée puisque deux des juges se sont retirés de l’affaire. Nous avons la nette impression que la RDC est incapable ou réticente à faire progresser l’affaire portée à son encontre, préférant le laisser en détention sans le juger », a déclaré Me Hooper.

Selon lui, alors que les allégations formulées à l’encontre de M. Ntaganda concernent des événements situés en Ituri qui sont similaires à ceux poursuivis par la CPI, le procureur congolais n’a pas, jusqu’à présent, mené d’enquête en bonne et due forme en Ituri pour étayer les allégations. Il a ajouté que l’affaire Katanga rejoignait celles d’Emery Goda Supka, de Floribert Ndjabu Ngabu et de MbodinaIribi Pitchou qui sont restés en détention pendant 13 ans et qui ne sont toujours pas jugés.

En outre, la défense a déclaré que M. Katanga avait reçu trop peu de documents démontrant la nature des charges et des preuves retenues à son encontre. Cette situation violerait l’article 67(1)(a) du Statut de Rome, l’article 6(3)(a) de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 9(2) le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

« Le ‘dossier’ présumé, dont l’accès est payant pour M. Katanga, qui ne concerne pas son implication dans les crimes imputés à son encontre mais qui est composé de documents collectés par le passé, en grande partie par des ONG [Organisations non gouvernementales], n’a aucun lien avec la procédure engagée en RDC », a précisé Me Hooper. Il a ajouté que ce dossier ne constituait en aucun cas un dossier d’accusation et portait sur des événements et des personnes qui ne concernaient pas M. Katanga.

L’absence d’une représentation adéquate de M. Katanga a également été abordée. Me Hooper a déclaré que, en juin 2016, M. Katanga avait informé les juges de la cour militaire qu’il ne disposait pas d’argent pour payer un avocat et avait fait une demande d’aide juridique. Cependant, il n’a reçu, jusqu’à présent, aucune aide juridique.

Les avocats de M. Katanga ont tenté, en 2016, de faire appel de la décision permettant au Congo de juger l’ancien milicien mais leur tentative a échoué lorsque la Chambre d’appel de la CPI a décidé qu’elle n’était pas compétente pour délivrer de telles décisions. Néanmoins, la Chambre d’appel a déclaré qu’elle considérait « qu’il était fondé que l’Assemblée des États parties tranche si les textes juridiques sous-jacents de la Cour doivent être modifiés afin de permettre un réexamen en appel d’une décision émise en vertu de l’article 108 du Statut »

Dans son dernier document, Me Hooper soutient que bien que le Statut de Rome soit silencieux sur la question, les chambres de la CPI avaient reconnu leur pouvoir inhérent à réexaminer leurs propres décisions à la demande de l’une des parties ou à leur propre initiative. Il a rappelé que, dans le procès Lubanga, la Chambre de première instance I avait fait remarquer que « le motif permettant l’exercice de ses pouvoirs discrétionnaires est, notamment, ce qui permet de conserver la confiance du public dans le système de justice pénale ».

Il a souligné que, lors du procès de Dominic Ongwen, la Chambre de première instance IX avait affirmé à maintes reprises que « le réexamen est une mesure exceptionnelle qui ne doit être prise que si une erreur manifeste de raisonnement avait été démontrée ou s’il était nécessaire pour empêcher une injustice. L’apparition de nouveaux faits et arguments depuis la délivrance de la décision doivent être pris en compte ».

Me Hooper a estimé que, bien que les règles de la Cour indiquaient clairement que certaines décisions de la Présidence étaient définitives, aucune référence à un caractère définitif n’était faite pour l’article 108. D’après lui, puisqu’il est impossible de faire appel auprès de la Chambre d’appel ou d’une autre instance, le seul recours lorsqu’une décision prise par la Présidence est démontrée être manifestement erronée par des événements postérieurs et par des conséquences évidemment insatisfaisantes repose sur la capacité de la Présidence à réexaminer sa propre décision.

 


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